Intervention de François Toujas

Réunion du mardi 22 septembre 2020 à 17h15
Commission des affaires sociales

François Toujas :

, président du conseil d'administration de l'Établissement français du sang. C'est avec émotion et fierté que je me présente devant votre commission. Les huit années passées à la tête de l'EFS ont été denses, riches, exigeantes et surtout enthousiasmantes. L'Établissement n'a pas été épargné par les chocs externes que furent les attentats de 2015, 2016 et 2017, les crises régulières d'arboviroses dans les départements d'outre-mer et en métropole, la crise cyclonique aux Antilles en 2017 ; il ne l'est pas davantage par les conséquences de la pandémie de covid-19 dont nous souffrons encore. L'EFS a aussi dû faire face aux défis internes majeurs que posent la requalification du plasma SD en médicament ; l'importante variation des volumes de plasma à livrer ; la fragilisation du modèle économique due au changement de régime de TVA intervenu au début de l'année dernière.

En dépit de ces chocs, l'autosuffisance en produits sanguins labiles a été garantie chaque jour : jamais les équipes soignantes n'ont manqué de produits sanguins pour les malades, ce qui est la première condition de la sécurité transfusionnelle. Je tiens à remercier les magnifiques équipes de l'EFS qui réalisent ce travail quotidien.

De nombreuses mesures ont renforcé la sécurité de la chaîne transfusionnelle : la généralisation de la technique d'atténuation des pathogènes dans les plaquettes, qui a fait disparaître des accidents bactériens ; la modernisation de nos plateaux de qualification biologique des dons ; le renforcement du lien entre l'immuno-hématologie et la délivrance des produits sanguins aux équipes cliniques.

Les chantiers de transformation et d'innovation ont été nombreux : le regroupement des plateaux de qualification, passé de quatorze à quatre, a réduit leur coût de 15 % ; la collecte a été optimisée et modernisée ; surtout, possibilité a été donnée aux infirmières et aux infirmiers de mener l'entretien préalable au don, auparavant uniquement réalisé par les médecins. La réforme de la téléassistance médicale en collecte est enclenchée : nous sommes en train de développer les premières formations à ce sujet. Une base unique des donneurs de sang a été créée. La communication de l'EFS a été modernisée et digitalisée. L'Établissement public est plus intégré : les dix-huit établissements existants quand je suis arrivé ont été ramenés à treize et harmonisés. Un accord national sur le temps de travail a été signé en 2018 avec les organisations syndicales et le management est concentré sur ses missions.

Il restera, au cours du mandat à venir, à relever des défis majeurs et à poursuivre et approfondir certains chantiers.

D'abord, il est vital que l'EFS continue de participer au renforcement de la souveraineté sanitaire. Elle se mesure par différents facteurs. Elle suppose en premier lieu que notre pays dispose de tous les produits sanguins labiles dans le cadre du monopole de collecte et de distribution de ces produits. Un des enseignements essentiels de la pandémie de covid‑19 est que cette autosuffisance n'est jamais acquise : j'ai dû, vendredi dernier et hier encore, faire un appel national aux dons, notre stock de globules rouges étant inférieur de quelque 20 % à ce qu'il est habituellement. C'est que la crise a eu un fort impact sur nos capacités, étant donné la quasi-disparition des collectes dans les universités et dans les entreprises. Le sujet est grave : si depuis la création de l'EFS il y a vingt ans, lors de la réorganisation voulue par les pouvoirs publics à la suite au scandale du sang contaminé, l'autosuffisance en produits sanguins labiles a été constante, la crise sanitaire montre que cette autosuffisance n'est pas un acquis mais un défi quotidien que nous devons relever par la disponibilité des équipes et la protection des donneurs et des collaborateurs, pour assurer la continuité d'activité essentielle au service des malades.

Le renforcement de la souveraineté sanitaire nous impose aussi de mieux structurer et de mieux organiser, pour la solidifier, la filière du plasma pour fractionnement. C'est un réel sujet d'inquiétude. L'EFS collecte des produits sanguins labiles dans le cadre du monopole et du plasma pour fractionnement, utilisé comme matière première pour la fabrication de médicaments tels que les immunoglobulines par le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB). La souveraineté sanitaire demande également que l'EFS continue de sécuriser très fortement certaines de ses fonctions support pour contrer les cyberattaques et les attaques à sa réputation. Certains de nos collègues étrangers ont subi, fortement, de telles attaques.

Le deuxième défi à relever, qui vous importe, je le sais, est le renforcement territorial des capacités de collecte et la modernisation de la collecte, service public ; c'est un axe central des efforts de l'EFS, car que serait une banque de sang sans collecte ? J'ai évoqué le lancement des entretiens pré-don par les infirmières et infirmiers ; j'indique qu'au quatrième trimestre de cette année commenceront les expérimentations de téléassistance médicale à la collecte. Mais nous devons aller beaucoup plus loin car l'enjeu est capital. On compte en France environ 1,7 million de donneurs actifs, ceux qui donnent du sang une fois par an, mais nous en perdons 10 % chaque année, soit 170 000, soit pour une cause médicale – un voyage les exclut du don – soit qu'ils atteignent l'âge limite du don, fixé à 70 ans. Nous devons donc beaucoup travailler sur l'engagement citoyen que représente le don du sang avec les associations et les bénévoles qui nous aident tous les jours à mieux organiser notre mission et que je salue. Il nous faut, évidemment, travailler sur la qualité des produits sanguins pour garantir la sécurité des receveurs, mais aussi sur la sécurité des donneurs, et pour cela améliorer leurs connaissances sur le don et leur capacité à auto-évaluer leur éligibilité au don. Cela passe notamment par le développement d'applications, ce que nous avons fait. Voilà pour la collecte et sa modernisation.

Le troisième axe de mon action sera de replacer l'Établissement dans la chaîne de soins en renforçant ses relations avec les établissements de santé, puisque sa mission est de collecter en fonction des besoins des médecins cliniciens pour les patients. L'EFS n'a pas pour seule activité la collecte, dont on parle beaucoup. Nous avons 160 sites de délivrance de produits sanguins en France et nous donnons des produits sanguins à plus de 1 500 établissements de santé. Ce maillage serré permet aux praticiens de l'EFS d'organiser avec leurs collègues cliniciens des hôpitaux le conseil transfusionnel qui conduit à la meilleure prise en charge possible des patients. Nous avons également commencé de procéder par échanges de données informatisées afin d'éviter les actes redondants et d'accroître la sécurité des receveurs et la qualité des produits ; cette pratique devra être développée.

L'EFS est aussi un établissement innovant en ce qu'il mène des travaux de recherche soutenus sur les types de produits sanguins, notamment des plaquettes de culture, et sur l'immunothérapie. L'Établissement a en ce domaine une place éminente : ses cinq plateformes de médicaments de thérapie innovante en font l'un des acteurs nationaux importants des bio-productions, les médicaments de demain.

Et puis, j'y ai fait allusion brièvement, l'Établissement, dont la situation financière est bancale, devra retrouver un modèle économique, chantier crucial. Le déséquilibre actuel tient à d'abord à l'inversion de l'évolution de la demande de produits sanguins labiles ; après une période de forte demande, nous constatons depuis 2012 la stabilité, sinon la réduction, de la demande de ces produits, et donc une baisse de recettes. Élément aussi préoccupant, la revalorisation tarifaire de ces produits a été faible, alors que nous devons continuer de financer l'augmentation de leurs coûts de production. Il nous faudra donc essayer de trouver l'efficience nécessaire. Je dis souvent, même si cette position est parfois soumise à critique en interne, notamment par les partenaires sociaux, que l'efficience, dans un établissement public tel que le nôtre, est aussi au cœur de l'éthique. Parce que nos produits sanguins sont des dons, nous devons nous astreindre à organiser le mieux possible la mobilisation de nos ressources. À l'EFS, l'efficience participe de l'éthique et gaspiller est impossible. Il est donc nécessaire d'analyser régulièrement les moyens dont nous disposons et les pistes d'économies.

Des économies, nous en avons réalisé, mais nous devons aussi continuer à renforcer notre outil de production, à investir en améliorant l'accueil des donneurs en ouvrant des Maisons du don et en achetant les matériaux nécessaires à la bonne marche de la chaîne transfusionnelle. Cela suppose de dégager entre 40 et 50 millions d'euros par an. Évidemment, le changement du régime de TVA qui a eu lieu il y a presque deux ans ne nous a pas aidés. Il avait pour conséquence potentielle un trou supplémentaire de 80 millions d'euros dans les finances de l'Établissement ; nous avons heureusement réglé une partie du problème, à hauteur de 40 millions d'euros, avec nos autorités de tutelle, que je remercie, après qu'il a été décidé que l'EFS ne serait pas assujetti à la taxe sur les salaires. Nous avons aussi défini un plan qui devrait nous permettre d'économiser 50 millions d'euros en quatre ou cinq ans.

J'appelle toutefois votre attention sur le fait que nous ne pourrons pas retrouver un équilibre de long terme si nous n'obtenons pas la revalorisation de la tarification soit des produits sanguins labiles et du plasma pour fractionnement que nous cédons, soit des actes d'immuno-hématologie.

Enfin, on ne peut, quand on parle de transfusion sanguine, oublier les valeurs essentielles qui doivent être celles d'un service public moderne. J'ai été très surpris, en m'entretenant avec des donneurs, de l'importance qu'ils accordent aux politiques durables : certains nous disent que nous utilisons trop de matières plastiques quand nous servons les collations ; la durabilité, que nous devrons mettre en œuvre, est un enjeu essentiel. Il nous faudra d'autre part continuer d'améliorer la transparence du fonctionnement de notre établissement. Les principes éthiques qui nous gouvernent nous obligent à la démocratie sanitaire associant les utilisateurs de produits sanguins, les associations de donneurs et les associations de patients. Nous avons à cette fin installé des comités nationaux d'échanges.

Si je suis très fier d'être président de l'EFS, c'est aussi parce que j'ai la conviction de promouvoir une solution viable dans d'autres pays. Je juge primordiale notre coopération avec nos amis libanais ou nord-américains et avec une grande partie des pays d'Afrique noire. L'organisation du don du sang dans notre pays est un exemple à suivre ailleurs : gage de citoyenneté et gage de sécurité, sa gestion nationale a pour effet que la qualité du produit sanguin est la même que l'on soit à Saint-Laurent-du-Maroni, à Nice, à Bordeaux ou à Lille. L'EFS assure l'égalité réelle des patients à qui ces produits sanguins sont nécessaires.

Des projets de révision des directives européennes sur le sang sont en cours. Il faudra faire valoir vigoureusement que notre modèle doit non seulement être défendu mais promu, parce qu'il peut aider d'autres pays.

Répondre à ces enjeux importants et difficiles à régler est enthousiasmant. Je suis déterminé et totalement engagé dans cette mission passionnante, d'intérêt capital pour la santé publique.

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