Intervention de Marguerite Deprez-Audebert

Réunion du mercredi 22 juillet 2020 à 16h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarguerite Deprez-Audebert, rapporteure :

Nous pensons que cette solidarité stratégique doit désormais se matérialiser dans un domaine où prévalent aujourd'hui les intérêts nationaux, à savoir la solidarité industrielle.

La solidarité industrielle européenne est le terrain des « occasions manquées ». On se souvient de la fusion manquée entre Schneider et Legrand, en 2001. En 2007, le Tribunal de l'Union a condamné la Commission à indemniser le groupe Schneider pour avoir interdit cette fusion qui aurait dû être autorisée vu le droit européen de la concurrence : mais c'était trop tard. Plus récemment, le refus de la fusion entre Alstom et Siemens a suscité un grand émoi en France et en Allemagne. La Commission européenne affirmait que le Chinois CRRC ne représentait pas « à moyen terme » un concurrent sérieux pour les entreprises européennes. Quelques mois plus tard, CRRC rachetait le groupe allemand Vossloh et faisait ainsi son entrée sur le marché européen.

Les Traités doivent être modifiés car on peut avoir le sentiment peut-être que tout se passe comme si le droit européen de la concurrence et son corollaire, le régime des aides d'État, n'avait pas pour but de permettre à nos entreprises de faire concurrence aux entreprises chinoises ou américaines mais de s'assurer qu'elles se fassent concurrence entre elles, ce qui finit inévitablement par les affaiblir.

Par le passé, il est même arrivé que les entreprises européennes fassent alliance avec des entreprises asiatiques pour gagner des parts de marché face à leurs rivales… européennes ! Dans les années 2000, plusieurs entreprises occidentales – dont Siemens – ont consenti à des transferts de technologie en faveur des industriels chinois pour prendre des parts de marché à Alstom. Aujourd'hui, ces entreprises sont obligées de s'allier pour survivre face à CRRC. De la même manière, la concurrence entre les entreprises européennes Alcatel, Nokia et Ericsson ont servi les intérêts de Huawei à qui nous sommes désormais obligés d'avoir recours pour déployer les réseaux 5G – ce qui pose, comme vous savez, des questions légitimes de sécurité.

On peut aussi s'interroger sur les transferts de technologie dont va bénéficier la Chine à la suite du rachat de l'entreprise suédoise Volvo, qui avait développé une compétence reconnue en matière de moteurs hybrides.

À l'inverse, la solidité d'Airbus – secteur où il y a un monopole européen mais un duopole mondial – lui a permis de résister aux pressions de ses concurrents chinois et de préserver pour quelques années encore son avance technologique. En 2017, Airbus a racheté plusieurs programmes de Bombardier et empêché ainsi que le Chinois Comac bénéficie d'un bond technologique qui en aurait fait le « CRRC de l'aéronautique ». Dans ce secteur comme dans tous les secteurs à forte densité capitalistique, l'unité des entreprises européenne est la seule façon de préserver nos atouts dans la compétition mondiale.

J'aimerais en outre revenir sur la décision du Tribunal de la semaine dernière, relative à l'affaire des « aides d'État » accordées à Apple par l'État irlandais. La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) considère que la Commission a qualifié à tort « d'aide d'État » les conditions fiscales favorables que le gouvernement irlandais a octroyées à Apple. Voici le message envoyé à nos concitoyens : la réglementation européenne interdit d'aider nos entreprises, mais elle n'interdit pas d'aider les multinationales ! Quelle va être la crédibilité de la Commission à présent quand il s'agira de défendre les intérêts financiers et économiques de l'Union face aux GAFAM ?

En matière industrielle il n'existe donc aucune solidarité, et je dirais c'est même pire : la réglementation européenne a pour effet d'inciter :

– nos entreprises à faire alliance avec leurs concurrents étrangers, qui échappent bien sûr à notre juridiction ;

– les États membres à accorder des régimes fiscaux avantageux à des multinationales en situation de monopole, dont ne bénéficieront pas les nouveaux entrants européens.

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