Intervention de Paul Molac

Séance en hémicycle du lundi 10 mai 2021 à 16h00
Gestion de la sortie de crise sanitaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Molac :

Depuis novembre 2015 et l'instauration de l'état d'urgence pour lutter contre le terrorisme, les Français ont davantage vécu sous un régime d'exception que sous le régime ordinaire. Ce constat n'est pas forcément fait pour me réjouir.

Le nouveau régime de sortie de l'état d'urgence que vous proposez demeure un état d'urgence qui ne dit pas son nom : le projet de loi tend à prolonger de cinq mois supplémentaires la succession de régimes d'exception sous lesquels nous vivons depuis le début de la crise sanitaire. Eu égard aux possibilités offertes par le droit commun dans le code de la santé publique, que le groupe Libertés et territoires a rappelées de nombreuses fois, la prorogation sans limite de cet état d'exception nous inquiète. En outre, elle conduit à un dessaisissement des pouvoirs du Parlement. Or j'aurais tendance à penser que, si nous siégeons ici en qualité de représentants du peuple, ce n'est pas pour rien. Dès lors, la moindre des choses serait de coconstruire ces mesures avec le Parlement.

De nombreux Français supportent de moins en moins les restrictions, dont certaines sont difficiles à comprendre, admettez-le. Un couvre-feu à dix-neuf heures dans une région où le virus ne circule absolument pas est fondamentalement difficile à concevoir et, partant, à accepter.

Selon le calendrier de vaccination défini, 30 millions de Français, soit les deux tiers de la population adulte, seront vaccinés d'ici à l'été. Or la vaccination semble faire obstacle à la propagation du virus. Dans ce cas, pourquoi prolonger le régime de sortie jusqu'à une échéance aussi éloignée que le 30 octobre ?

Derrière ces régimes de restriction de liberté, il y a un véritable problème de confiance. La mesure de couvre-feu, que vous souhaitez proroger, ou le système d'attestation, qui a déjà valu à nos concitoyens plus de 2,2 millions de verbalisations, se fondent sur une suspicion permanente. Pourtant, la grande majorité de la population est vertueuse. La lutte contre la pandémie nécessite au contraire la responsabilisation et la coconstruction. D'autres démocraties européennes affrontent l'épidémie en faisant davantage confiance à leur population.

Par ailleurs, le Gouvernement ne semble toujours pas avoir pris la mesure de la nécessité de respecter le Parlement. Comme toujours, le Président de la République décide, le Gouvernement exécute, le Parlement et les élus locaux sont priés d'acquiescer. Pourtant, ce n'est pas le rôle du Parlement, pas plus que celui des élus locaux, qui sont eux aussi des élus du peuple. La volonté du Gouvernement de conserver pendant deux mois supplémentaires la possibilité de prononcer un état d'urgence territorialisé sans consulter le Parlement l'atteste. Nous nous réjouissons donc que cette mesure ait été supprimée en commission et espérons que suffisamment de voix s'élèveront pour qu'elle ne soit pas rétablie en séance.

Nous relevons néanmoins un point positif : il semblerait que le Gouvernement commence à prendre conscience de la nécessité d'adapter les mesures aux contextes locaux. Après plus d'un an de mesures décrétées presque exclusivement de manière uniforme sur l'ensemble du territoire, mieux vaut tard que jamais !

J'en viens, dans le détail, aux mesures présentées.

Nous nous opposons à l'instauration d'un pass sanitaire, quand bien même il s'appliquerait seulement pour des événements précis. En effet, cela créerait un dangereux précédent. Adoptant un amendement bienvenu de sa présidente, la commission des lois a précisé explicitement que le pass ne pourra pas être réclamé pour d'autres buts que ceux prévus. Ainsi, il ne pourra pas l'être dans la vie quotidienne, par exemple lorsque l'on va au restaurant ou au cinéma. Toutefois, qu'en sera-t-il si l'épidémie se prolonge ? Qu'en sera-t-il lors de la prochaine épidémie ? Le Parlement ne peut ouvrir une telle boîte de Pandore, car cela pourrait aboutir à la généralisation de ce type de pratiques discriminatoires à l'ensemble des aspects de la vie des citoyens.

Nous nous opposons à la prolongation du couvre-feu jusqu'au 30 juin. Il nous paraît invraisemblable de conserver cette mesure attentatoire à la plus fondamentale des libertés, celle de se déplacer, alors même que le déconfinement s'accélère et que les bars, restaurants et salles de sport vont rouvrir.

Vous proposez que l'État puisse s'opposer au choix du lieu retenu par une personne pour son placement en quarantaine. Cette mesure atteste elle aussi le manque de confiance que j'ai évoqué.

Nous ne pouvons accepter que le Gouvernement puisse continuer d'ordonner la fermeture de catégories entières d'établissements, alors que les commerces ont payé un lourd tribut lors de cette crise et prennent toutes les mesures sanitaires nécessaires pour accueillir le public en sécurité. Il faut laisser la possibilité d'ouvrir, moyennant la mise en place de mesures sanitaires strictes pour l'accueil des clients.

En matière de droit du travail, le texte tend à prolonger jusqu'au 31 octobre la possibilité pour un employeur d'imposer à ses salariés de prendre leurs congés à n'importe quel moment et à aggraver cette mesure en portant de six à huit le nombre de jours concernés, cela au moment même où se profile la première période de vacances véritables pour les travailleurs. Nous ne comprenons pas ce qui justifie cette mesure, combattue par la totalité des syndicats.

Enfin, si nous soutenons les mesures d'adaptation prévues pour l'organisation des élections régionales – ces mesures sont selon nous nécessaires –, pourquoi avoir supprimé en commission la disposition prévoyant que le service public a la charge d'organiser un débat entre les candidats, ce qui apporterait pourtant de sérieuses garanties ?

En définitive, la grande majorité des membres du groupe Libertés et territoires votera contre ce texte, encore bien trop restrictif et attentatoire aux libertés pour un présumé régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire.

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