Intervention de Pierre-Yves Bournazel

Séance en hémicycle du lundi 7 juin 2021 à 16h00
Bioéthique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Yves Bournazel :

Nous examinons en troisième lecture le projet de loi relatif à la bioéthique. Nous approchons ainsi de la fin d'un processus parlementaire entamé il y a près de deux ans, qui a suscité des débats riches et passionnants, parfois vifs, au cours desquels les sensibilités, les doutes et les convictions de chacun ont pu s'exprimer, se renforcer ou évoluer. Je tiens d'abord à saluer le travail effectué par les rapporteurs et par notre collègue Agnès Firmin Le Bodo, qui a présidé avec exigence et sens des responsabilités la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi.

La science a longtemps été du côté du progrès humain, comme force de lutte contre l'obscurantisme et instrument d'émancipation et de vie meilleure. Le XXe siècle a bousculé cette évidence : si les évolutions scientifiques, médicales ou technologiques étaient jusqu'alors source de bienfaits, l'histoire a montré qu'elles pouvaient aussi conduire au pire. Il nous faut, dès lors, opérer une distinction entre progrès technique et progrès humain, le premier ne pouvant en aucun cas attenter au second. C'est là qu'intervient l'éthique, c'est-à-dire la traduction normative du corpus de valeurs humaines et philosophiques qui structure notre civilisation.

Pour ce qui touche au vivant, nous avons inventé la notion de bioéthique qui, face aux innovations de la science, fixe les limites que nous nous refusons collectivement à franchir. Elle nous permet d'arbitrer entre ce qui est souhaitable pour notre société et ce qui ne l'est pas. Je reprends bien volontiers les mots de Jean-François Mattei pour qui « L'éthique désigne […] la morale en application, face à de nouvelles situations. » Même si nous traitons de disciplines scientifiques nouvelles et complexes telles que l'intelligence artificielle, les nanotechnologies, les biotechnologies ou les neurotechnologies, et parce que ces révolutions technologiques sont capables de changer notre conception même de l'être humain, ces situations ne doivent pas échapper au débat démocratique. C'est le sens des lois de bioéthique.

Il incombe donc au législateur la lourde responsabilité de trouver l'équilibre entre, d'une part, l'ouverture de nouveaux droits en faveur du bien-être, de la liberté, de l'égalité et de l'émancipation des Français et, d'autre part, la garantie que ces évolutions s'exercent bien dans le respect de nos valeurs intrinsèques et que c'est bien l'éthique qui définit les orientations de la science, et non l'inverse. En somme, notre tâche consiste à faire en sorte que le progrès humain reste humain.

À cette fin, comme l'a rappelé le Conseil d'État dans son étude sur la révision de la loi de bioéthique adoptée en 2018, tout ce que nous entreprenons en la matière doit se fonder sur trois piliers. Le premier est celui de la dignité, qui recouvre des principes tels que la primauté de la personne humaine, le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ou l'inviolabilité du corps.

Le deuxième pilier est celui de la solidarité, qu'illustre l'altruisme des donneurs de gamètes, de sang ou d'organes. Je saisis d'ailleurs cette occasion pour remercier nos compatriotes qui, par leur générosité, sauvent chaque année des milliers de vies et permettent à d'autres de la donner – car le principe de solidarité implique aussi d'entendre la souffrance exprimée par celles et ceux qui sont confrontés à la douleur de ne pouvoir bâtir un projet familial.

Le troisième pilier est celui de la liberté, qui vise à préserver la part de vie privée, donc l'autonomie de l'individu dans ses choix les plus intimes, notamment celui de se déterminer en formant un couple ou une famille, qu'elle soit monoparentale, hétéroparentale ou homoparentale. C'est aussi la liberté de choisir son identité afin de se construire et de s'épanouir dans la société. Dignité, solidarité, liberté : voilà le triptyque sur lequel repose notre modèle de bioéthique depuis plus de vingt-cinq ans.

Si les débats qui ont accompagné les précédentes lois de bioéthique ont été chaque fois passionnés, la société en est ressortie grandie et les droits nouveaux qui en découlent nous paraissent désormais bien naturels. En 1994, trois lois de bioéthique ont ainsi posé le principe du respect du corps humain et encadré la gestion des données pour la recherche médicale, les dons d'organes et de gamètes, l'assistance médicale à la procréation ainsi que le diagnostic prénatal. En 2004, le législateur a fait le choix d'interdire le clonage, qu'il soit reproductif ou thérapeutique, d'élargir le champ des personnes pouvant procéder à un don d'organe et d'autoriser la recherche sur les embryons de manière très encadrée. En 2011, les parlementaires ont autorisé le don croisé d'organes en cas d'incompatibilité entre proches et ont redéfini les modalités et les critères permettant d'autoriser l'AMP. Dix ans plus tard, il nous revient, en tant que législateurs, d'adapter le droit existant aux évolutions de la technique, en veillant sans cesse à satisfaire le socle éthique sur lequel se fonde notre législation depuis maintenant un quart de siècle.

La troisième lecture, par essence, n'est pas le temps de l'ouverture de nouveaux débats. Ce n'est pas non plus le moment de raviver les désaccords sur lesquels nous nous sommes déjà prononcés. J'ai la conviction que la restauration par la commission spéciale des équilibres atteints en deuxième lecture par notre assemblée fera honneur à la représentation nationale, au-delà des clivages politiques.

Ce texte est en effet le fruit d'un travail au long cours, entamé en 2018 avec le lancement des états généraux de la bioéthique, qui ont associé pendant six mois citoyens, associations, professionnels de santé et scientifiques. L'ensemble de ces contributions a fait l'objet d'un rapport de synthèse publié par le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé. La réflexion a ensuite été alimentée, la même année, par le rapport du Conseil d'État et par celui de l'OPECST. Le texte est enfin l'aboutissement d'un processus parlementaire au cours duquel, pendant deux ans, sénateurs et députés ont pu exprimer et défendre la diversité de leurs sensibilités au cours d'un débat de qualité, serein et respectueux des positions de chacun.

Ce travail de fond, mené sur tous les bancs de l'hémicycle de manière transpartisane, a permis de modifier en profondeur le texte originel. Le projet de loi reflète donc le juste équilibre entre progrès social et préservation de nos principes éthiques. Je tiens à saluer les avancées sociales majeures que nous nous apprêtons, je l'espère, à voter à l'issue de cette nouvelle lecture.

L'ouverture et la prise en charge par l'assurance maladie de l'assistance médicale à la procréation pour toutes les femmes – en couple lesbien ou célibataires – en est une. Comme je l'ai dit précédemment, je pense à cet instant à ces femmes, qui attendent qu'on leur accorde le droit essentiel à construire une famille – leur famille. Cette disposition concrétise un engagement de campagne du Président de la République. Elle met fin à l'inégalité de fait qui existait entre couples hétérosexuels et homosexuels, mais aussi entre les femmes disposant des moyens suffisants pour réaliser leur projet parental à l'étranger et celles qui ne le pouvaient pas – la souffrance économique s'ajoutant alors à celle de ne pouvoir construire une famille.

L'adoption du projet de loi apportera une réponse à une réalité sociale que nous ne pouvons ignorer. Elle sécurisera les mères qui s'engagent dans un projet d'amour et protégera l'enfant du risque d'être privé de l'un de ses parents en cas de séparation. Pour ces enfants, le projet de loi crée un droit d'accès aux origines : à sa majorité, l'enfant né d'une AMP avec tiers donneur, devenu adulte, pourra accéder aux informations non identifiantes et à l'identité de son donneur de gamètes. Les nouveaux donneurs devront dès lors accepter, avant de procéder à un don, que leur identité puisse être levée un jour à la demande de l'enfant.

Parmi les autres avancées permises par ce texte, soulignons la possibilité offerte à chacun de conserver ses gamètes sans raison médicale pour prévenir le risque d'infertilité, ou encore l'assouplissement des conditions de dons croisés d'organes et de greffes.

C'est bien l'honneur de l'Assemblée nationale que de défendre de tels progrès médicaux et sociaux, qui sont attendus par bon nombre de nos concitoyens et font appel aux expériences de vie et aux sentiments les plus profonds de chacun d'entre nous. Je souhaite que les débats qui s'ouvrent cet après-midi soient nourris d'échanges féconds, respectueux des convictions et croyances personnelles, sans outrances ni provocations inutiles. Nous le devons à celles et ceux qui nous écoutent et qui attendent de notre assemblée le respect et la dignité qui s'imposent lorsque nous débattons de tels enjeux, qui touchent à l'intime.

Plus que tout autre texte, les lois de bioéthique s'accommodent mal des consignes de vote. Les élus du groupe Agir ensemble se montreront donc constructifs dans les débats et libres dans leur vote, lequel fera appel à la conscience de chacun. Pour ma part, vous l'aurez compris, je m'engage pleinement à voter en faveur de ce texte et je remercie toutes celles et tous ceux qui ont éveillé ma conscience et m'ont permis de me forger une conviction. Je suis très heureux d'accompagner ces avancées et ces droits nouveaux pour les femmes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.