Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mercredi 20 décembre 2017 à 16h15
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

Madame Cattelot, je verrai d'un bon oeil toute proposition d'amélioration du texte. Je me réjouis donc que vous ayez des propositions de simplification à nous faire dans le domaine agricole. Je sais que de telles mesures sont attendues. J'appelle cependant votre attention sur le fait qu'une bonne idée de l'un peut parfois provoquer le courroux de l'autre. Il faudra donc peser le pour et le contre de chaque mesure, puis trancher dans le sens de l'intérêt général. Mais, pour cela, je fais toute confiance aux parlementaires. En tout cas, je le répète, M. Travert et ses services sont à votre disposition pour vous expliquer les raisons pour lesquelles ils ont retenu telle mesure et rejeté telle autre.

Sur l'utilité du droit comparé, je ne peux qu'être d'accord avec vous. Du reste, je me rendrai moi-même, au mois de janvier, en Grande-Bretagne, en Allemagne et, surtout, aux Pays-Bas, où des mesures de simplification ont contribué à rénover les relations entre l'administration et les usagers. À cet égard, les députés des régions frontalières ou les représentants des Français de l'étranger peuvent nous faire utilement partager leur expérience de ce qui se fait ailleurs. Dans mon ancienne circonscription, il suffit de traverser la Becque pour être soumis à une réglementation différente alors que, d'un côté et de l'autre de la rivière, le temps est le même et on boit la même bière – même si la bière flamande est généralement plus forte que la bière française.

Je ne peux également qu'être d'accord avec vous sur le principe selon lequel le silence vaut continuité. Toutefois, j'ai été un peu échaudé par les 1 200 exceptions que le précédent gouvernement a été obligé de prévoir lorsqu'il a instauré le principe selon lequel le silence de l'administration vaut acceptation. Je comprends néanmoins la philosophie de votre proposition et, si vous déposez un amendement en ce sens, je suis prêt à y travailler avec vous. Encore faut-il que l'on ne soit pas contraint de prévoir un nombre d'exceptions tel qu'il vide le principe de sa substance.

M. Viala nous entend, là où il est… Les délais sont déjà en partie limités. Pour ce qui est du délai de neuf mois, je précise bien qu'il s'agit de neuf mois cumulés. Si une administration prévoit un contrôle de trois mois, le temps disponible pour le contrôle reste de six mois. Je retiens de mes rencontres de terrain qu'au moins, l'administration fiscale, lorsqu'elle décide un contrôle, prévient l'usager et lui indique la durée approximative de ce contrôle. Il semble que ce ne soit pas le cas d'autres administrations, notamment de la sphère sociale. Or, un contrôle mobilise un bureau, un expert-comptable, un directeur des affaires financières. Certes, on consacre volontiers du temps à l'administration, mais le chef d'entreprise aimerait aussi pouvoir s'organiser. Dès lors, peut-être faudrait-il – nous ne l'avons pas envisagé jusqu'à présent, mais pourquoi pas – que l'administration indique au moins la date à laquelle son contrôle se terminera. C'est une forme de politesse, et cela permettrait aux personnes contrôlées de s'organiser. Peut-être est-ce lié à la nature du contrôle ou à des cultures administratives différentes, mais je constate que les modalités du contrôle sont différentes selon les administrations. En tout cas, je crois que l'on pourrait s'inspirer de la pratique de la direction générale des finances publiques dans ce domaine.

La charte Marianne impose déjà de répondre aux courriers et courriels dans les délais annoncés, mais cela peut être précisé par politesse. Quant à la durée cumulée de neuf mois sur trois ans, c'est une expérimentation à faire grandeur nature. Réduire les délais est toujours possible, mais n'ayons pas d'ambitions excessives, qui nous exposeraient au risque de ne pas les tenir ; ce ne serait pas mieux, ce serait pire, et tout le monde n'en serait que découragé.

M. Viala a évoqué l'article 30, mais j'en ai parlé au début de mon intervention. Il est difficile de trouver des mesures de simplification en matière agricole, mais nous en rediscuterons. J'ai bien noté ce qu'avaient dit M. Guerini, M. Pellois et Mme Cattelot.

« Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement » nous a rappelé M. Pellois. Et les mots pour le dire viennent aisément ... Je suis d'accord, et cela ne vaut pas seulement face aux personnes en situation de handicap, aux personnes âgées ou aux personnes rencontrant des difficultés particulières. De manière générale, on note une certaine déshumanisation du courrier administratif et des relations avec l'administration. C'est sans doute dû à une informatisation très poussée et à des flux de données à traiter très nombreux ; chaque lettre ne donne pas lieu à une intervention individuelle. Je l'ai constaté non seulement dans les administrations nationales mais aussi dans les administrations locales, qui gèrent moins de flux. J'ai facétieusement fait suivre à M. le directeur général des finances publiques la lettre d'un ancien ministre, qui se plaint du fait que les lettres qu'envoie l'administration placée sous mon autorité ne sont pas personnellement signées. Cela changerait-il quelque chose qu'il le soit ? Il me signalait au moins une forme d'impolitesse et rappelait que, de son temps, il avait rendu obligatoire cette signature.

J'ai entendu dire que plus le taux de pauvreté est élevé – j'ai moi-même été maire d'une des plus villes les plus pauvres de France – plus la capacité à ouvrir un courrier administratif était réduite. J'ai même retenu que 70 % des habitants des quartiers en politique de la ville n'ouvraient pas leur courrier. J'essaierai de retrouver l'étude dont je tire ce chiffre, mais quiconque a fait du porte-à-porte dans les tours HLM de ces communes a pu voir que le courrier non ouvert s'accumulait. Il y a une sorte de coupure sociologique, psychologique, administrative : certains, pour de nombreuses raisons, notamment sociales, considèrent cette vie administrative comme une réalité qui leur est étrangère – ce n'est pas la « phobie administrative », c'est autre chose. Cela explique un certain nombre de faits, notamment le non-recours aux minima sociaux. Ce sont souvent les écrivains publics, le centre communal d'action social, les assistantes sociales, les élus qui essaient de démêler cela. Nous ne pourrons jamais régler complètement le problème, mais la manière dont l'administration s'adresse à ses interlocuteurs ne leur permet pas d'y voir clair. Moi-même, je ne comprends pas toujours ce que je dois signer – et je le renvoie plusieurs fois. Par exemple, j'ai lu hier les dix-huit pages du projet de circulaire rédigé par les services respectifs du ministère du travail et du ministère de l'action et des comptes publics, soumis aux signatures de Mme Pénicaud et de moi-même, visant à expliquer la nouvelle politique des contrats aidés. Certes, c'est un projet, mais tout de même, dix-huit pages, soyons sérieux ! Trois ou quatre éléments précis permettent de saisir ce que propose le Président de la République pour les publics prioritaires. À l'occasion du Conseil des ministres de ce matin, j'ai eu un échange avec Mme Pénicaud, et nous sommes d'accord : très objectivement, une telle circulaire de dix-huit pages, ce n'est pas raisonnable.

Je ne sais pas combien de préfets lisent exactement les circulaires ministérielles. Je ne sais pas si les ministres eux-mêmes lisent les circulaires qui leur sont préparées. Pour ma part, certes, je suis assez lent pour signer les parapheurs que l'on me soumet, mais je veux comprendre ce que je signe. Si j'ai du mal à comprendre, j'imagine que je ne suis pas le seul. C'est un sujet extrêmement sérieux – et, de même, la feuille de paie mériterait sans doute d'être encore simplifiée. Humaniser le contact, par exemple par des formules de politesse appropriées ou par l'usage d'une langue qui ne soit pas trop administrative, contribuerait à une simplification des rapports avec le public, particulièrement avec des publics plus fragiles.

Tous ces numéros des entreprises – SIRET et autres –, c'est effectivement assez compliqué. De même, les particuliers ont un numéro fiscal et un numéro de sécurité sociale. Faut-il garder tous ces numéros, tous ces identifiants, tous ces mots de passe qu'on oublie ? Sans doute un travail de simplification est-il nécessaire. La question doit-elle être traitée par le projet de loi dont votre commission spéciale est saisie ou dans celui que présentera Bruno Le Maire ? En tout cas, vous pouvez vous y intéresser.

Les questions de l'identifiant numérique, du coffre-fort numérique se posent, et nous pouvons y travailler avec une entreprise publique comme La Poste ou avec la DGFiP, mais les Français ont-ils envie de confier tous leurs documents administratifs à la DGFiP et de lui révéler toute leur vie ? Avec la simplification, certains vont tout de même récupérer de nombreux fichiers. Cela pose d'autres questions. Mme la garde des sceaux a présenté en Conseil des ministres le projet de loi relatif à la protection des données personnelles dont la mission est d'adapter la loi française Informatique et libertés du 6 janvier 1978 au droit européen ; il offrira peut-être l'occasion d'en reparler. Quoi qu'il en soit, c'est extrêmement important.

Je me permets d'indiquer à Mme Louwagie que j'ai évoqué un certain nombre de questions qu'elle soulève au début de mon propos, mais ce n'est pas grave. Je crois que nous avons bien défini ce qu'était le droit à l'erreur dans le texte du Gouvernement, et que nous avons assez mal défini, voire que nous n'avons pas défini, ce que sont le bon sens et le discernement pour l'agent public en général. Certes, la DGFiP leur fait déjà une place, puisque son mot d'ordre est l'« application mesurée de la loi fiscale ». Je pense cependant que vous devriez, mesdames et messieurs les députés, aller plus loin que le Gouvernement dans la définition de ce qu'est le bon sens et de la latitude laissée à l'agent public pour adapter l'application des règles. N'oublions pas la responsabilité de l'agent public. Peut-être le discernement et la latitude qui lui est laissée doivent-ils être soumis à un contrôle, par exemple de son supérieur hiérarchique. Pour l'instant, le projet gouvernemental ne va sans doute pas assez loin.

Aussi nombreuses soient les simplifications et les exceptions que nous prévoyons, la complexité tient parfois plutôt à des règles inadaptées à la réalité. Je souscris totalement à ce que vous dites, même si le terme « discernement » me paraît plus juridique que « bon sens ».

Je ne pense pas que le Gouvernement puisse fournir les projets de décret au cours de la discussion parlementaire. En revanche, tout à l'heure, j'ai pris un engagement en faveur d'un « service après-vote », et j'ai proposé à Mme la présidente de composer, si elle le souhaite, avec les présidents de groupe de l'Assemblée nationale et du Sénat, une structure pluraliste qui pourrait se réunir régulièrement – par exemple, tous les mois. Je m'engage pour ma part à présenter tous les textes qui seront pris sur le fondement de la loi votée – non seulement les ordonnances, pour lesquelles un cadre particulier est prévu, mais aussi les décrets, les arrêtés, les circulaires, les instructions et autres mesures. Ainsi pourrez-vous vérifier que le Gouvernement respecte bien l'esprit de la loi. Je vous mentirais en prétendant que nous pourrons vous présenter tous les projets de décret au cours de la discussion, d'autant que le texte sera sensiblement amendé au fil de son examen et que les projets de décret doivent par ailleurs être soumis au Conseil d'État. En revanche, je peux m'engager à ce que les parlementaires puissent examiner les décrets, les annoter. Le Gouvernement prendra ses décisions, c'est lui qui est investi du pouvoir réglementaire, mais il me paraît de bonne politique qu'il soit ouvert aux observations des parlementaires, a fortiori si je prône une évaluation continue.

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