Intervention de Guillaume Vuilletet

Réunion du mercredi 10 janvier 2018 à 14h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Vuilletet :

Ce texte utile porte sur un sujet sensible. Je veux dire d'emblée que le groupe majoritaire s'y associera moyennant quelques réserves que je vais énoncer. Il répond en effet à une réalité incontournable dont l'analyse fait consensus et dont chacun comprend les conséquences : les problèmes de succession et d'indivision bloquent en moyenne 40 % du foncier en outre-mer. Cela pose de nombreux problèmes en matière d'aménagement, tout d'abord : comment reconstituer le tissu urbain et l'adapter aux nécessités du temps lorsque la moitié voire les trois quarts du foncier sont immobilisés, et lorsque le moindre coup de pioche est susceptible de provoquer un contentieux ?

Se posent également des difficultés d'ordre public, dans la mesure où les biens laissés en déshérence peuvent poser des problèmes de sécurité, mais également des troubles sociaux, lorsqu'il faut en déloger les résidents, ou encore des menaces sanitaires. C'est une réalité connue de tous, et qu'avait d'ailleurs mise en lumière le sénateur Thani Mohamed Soilihi dans son rapport de 2016 sur le foncier outre-mer.

Parler de la terre autour de laquelle se nouent des relations familiales complexes, c'est évoquer aussi le recours à la justice et une forme de violence qu'on ne doit pas manquer de prendre en compte lorsqu'on poursuit les trois objectifs de ce texte.

Il s'agit d'abord de clarifier et de pacifier des conflits familiaux qui perdurent depuis des générations, parfois du fait de la mauvaise volonté de certains mais souvent car les personnes concernées sont réellement démunies face à la situation.

Il s'agit ensuite de mettre fin aux désordres publics que j'ai évoqués : occupations illicites ou réseaux sanitaires hors d'usage, qui font que des quartiers entiers se nécrosent et se replient sur eux-mêmes faute d'aménagement et d'entretien, jusqu'à devenir sinon des zones de non-droit, du moins des zones en marge de la société.

Il s'agit enfin de faire droit au nécessaire aménagement du territoire. Or, lorsque 40 % d'un territoire est en quelque sorte « intouchable », il devient difficile d'aménager l'espace urbain. Le Gouvernement entend provoquer un choc d'offre en matière de logement – c'est le terme que vous avez repris dans votre exposé des motifs, et je le trouve particulièrement pertinent en l'occurrence : comment envisager en effet de loger correctement une population en constante évolution, lorsque près de la moitié d'un territoire est littéralement figée ?

Si nous approuvons entièrement ces objectifs, il nous semble que le texte qui les porte doit être opérationnel et solide. On peut parfaitement élaborer un texte qui contienne les dispositifs les plus sécurisés qui soient mais s'apercevoir au bout du compte qu'il ne fait rien bouger. Face à une réalité complexe, dans laquelle, par exemple, trois familles revendiquent le même terrain, au nom du droit ou de l'histoire familiale, ne s'en remettre qu'au droit tel que le dit la loi est voué à l'échec. Vous-même êtes conscient de ce risque, monsieur le rapporteur, puisque vous prenez la précaution de vous en tenir d'abord à une période de dix ans, afin de pouvoir ensuite évaluer la situation pour confirmer ou réorienter les dispositifs mis en place.

La loi doit non seulement être opérationnelle mais solide, en d'autres termes respecter la Constitution. Sans être paralysés par la peur du Conseil constitutionnel, nous estimons qu'il n'est pas nécessaire de voter des textes de loi lorsque l'on sait aller dans le mur ! Lorsqu'il existe un doute, mieux vaut prendre des précautions, et c'est ce que nous entendons faire. En effet, les mesures que vous proposez peuvent apparaître potentiellement efficaces mais elles se heurtent au fait qu'elles tordent le bras à des indivisaires, qui sont donc potentiellement propriétaires. Or la propriété, c'est aussi le droit de ne rien faire. Contraindre des propriétaires nécessite donc que l'on puisse arguer d'un intérêt public évident.

Je ne méconnais pas l'article 73 et les adaptations qu'il permet pour l'outre-mer ; pour autant, si nous voulons produire une loi opérationnelle, la première des conditions est qu'elle survive à une éventuelle censure du Conseil constitutionnel.

Tout cela fait que nous voterons cette proposition de loi, à trois réserves près, que nous entendons voir lever d'ici à l'examen du texte en séance.

La première tient à la notion de partage. Nous considérons que le texte doit être précisé pour savoir à quel moment intervient ce partage. Dans la rédaction actuelle, il semble qu'il n'intervient qu'au moment où est prise la décision de vente ou de liquidation de la succession. Selon nous, il convient également de prendre en compte les situations dans lesquelles le bien doit être divisé, ce qui implique de considérer l'aspect constitutionnel du dispositif, sur lequel nous devons progresser d'ici l'examen en séance.

La deuxième tient à la personne susceptible de prendre l'initiative de la saisine du juge en cas de contestation de l'accord intervenu. Vous proposez que cette initiative revienne à celui qui contesterait l'accord. À l'inverse, nous considérons qu'elle peut échoir à la partie ayant demandé la dérogation au droit commun, dans le cas où cette dérogation serait contestée.

Notre troisième réserve enfin tient à la publicité, qui, en l'occurrence, n'a rien d'anecdotique. En effet, les indivisaires ne sont pas toujours identifiés, et il importe qu'ils aient le maximum de chances d'être prévenus d'un éventuel accord. Il nous paraît donc important de réfléchir à des moyens de mieux diffuser cette information afin que les droits des indivisaires soient défendus du mieux qu'il est possible.

En ce qui concerne les amendements déposés par Mme Maina Sage, nous entendons bien que parler de l'outre-mer en général revient à faire fi de la spécificité de chacun des territoires. Néanmoins, il ne nous paraît pas possible de les adopter en l'état actuel des choses, mais sans doute suivrons-nous en la matière l'avis du rapporteur.

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