Intervention de Serge Letchimy

Réunion du mercredi 10 janvier 2018 à 14h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy, rapporteur :

Je remercie notre collègue Vuilletet pour sa disponibilité et son écoute. Il a eu raison d'indiquer qu'il s'agissait d'un texte sensible, qui a trait à des réalités humaines très douloureuses puisque des personnes sont actuellement dépossédées de leur propre patrimoine. Cette situation est ainsi à l'origine de graves blocages, car ces personnes ne peuvent invoquer leur titre de propriété pour entreprendre une démarche auprès des banques. En outre, les familles sont presque systématiquement renvoyées devant le juge, ce qui relève, en effet, d'une forme de violence. De fait, le juge applique le droit et fait forcément des mécontents.

On a évoqué un choc d'offre ; je suis d'accord. Mais je n'ai pas souhaité que ce texte soit une réponse à un besoin purement immobilier. Ce serait s'inscrire dans une démarche spéculative, « capitalistique », dont le seul souci serait de débloquer des terrains pour y construire des logements. Les dispositifs de défiscalisation ont leur intérêt, mais ils peuvent aboutir à des situations que nous ne souhaitons pas, car les Martiniquais, les Guadeloupéens et les Polynésiens sont très attachés à leur terre. Ne laissons donc pas croire que ce texte a pour unique objectif de débloquer les choses pour permettre la construction d'immeubles de grand luxe avec vue sur la baie de Fort-de-France ou de Pointe-à-Pitre ! L'expression « choc d'offre » n'est juste que si elle inclut le partage et, sur ce point, je rejoins notre collègue Olivier Serva. Des raisons juridiques s'opposent-elles au partage ? Non.

Il faut que le dispositif soit solide : je souhaite rester dans le cadre constitutionnel. Pour autant, cela ne sert à rien d'être parlementaire si l'on n'est pas capable d'imaginer des solutions innovantes. Autrement, les Constitutions seraient mortes et les États-Unis n'auraient pas connu l'abolition de l'esclavage. Une Constitution est faite pour vivre. Si nous ne sommes pas capables de la faire vivre, cela n'a pas de sens. Je n'ai pas pris la parole ce matin sur ce point, mais vous imaginez bien qu'aucune liberté ne peut s'émanciper de son droit à l'initiative, de sa capacité à transcender. La Constitution doit aussi s'adapter.

Je le dis aussi clairement que je le pense : l'article 73 de la Constitution est très important. Appliquer de la même manière, avec une mécanique intellectuelle intégriste, une loi à Limoges et à Fort-de-France, sans possibilité de l'adapter aux réalités, est contraire au sens de l'Histoire ! Je crois d'ailleurs que le Président Emmanuel Macron est favorable à cette adaptation normative, y compris pour les régions qui se trouvent en Europe.

L'opérationnalité doit être de mise à deux niveaux : il faut que le Conseil constitutionnel ne censure pas le dispositif – mais si un texte est voté à l'unanimité, il est rare que le Conseil constitutionnel en soit saisi – et le dispositif doit être aussi efficace que possible. Afin de respecter le droit de propriété, nous donnons par exemple la possibilité à quelqu'un qui n'est pas d'accord, qui ne fait pas partie de la majorité absolue, de faire un recours devant le juge. Ce seul recours vaut-il blocage pour revenir au droit commun ? Ou donne-t-on la possibilité au juge de trancher ?

Nous allons travailler au cours des prochains jours sur l'initiative de la saisine du juge. En effet, il me semble qu'il serait curieux de demander aux personnes disposant des cinquante pour cent plus une voix d'effectuer ce recours, plutôt qu'à ceux qui s'opposent au projet. Je vais vous proposer une solution intermédiaire qui devrait satisfaire tout le monde

Madame Sage, je partage votre combat, mais certains points méritent d'être clarifiés. Lorsque l'on a la responsabilité d'un texte, il faut absolument que celui-ci soit transparent et clair. La Polynésie française n'édicte-t-elle pas les règles en matière de droits fonciers depuis la promulgation de la loi organique du 27 février 2004 ? Le rapport du Sénat m'a permis de découvrir – j'avoue que je ne le savais pas – que si l'indivision successorale est de la responsabilité de l'État, l'indivision conventionnelle serait, quant à elle, de la responsabilité du territoire. Si l'État dispose de la compétence, alors votre demande se justifie. Il serait intéressant que le ministère nous aide à clarifier ce point.

Il convient par ailleurs d'éviter l'écueil lié au fait que ce texte n'est pas codifié dans le code civil. Nous avons fait ce choix juridique du fait de sa limitation dans le temps. L'article 1er vise les collectivités de l'article 73 de la Constitution. Il faudrait donc, par le biais d'un amendement, rajouter la Polynésie française, ce qui sécuriserait le dispositif. Mais il faudra s'interroger sur la pertinence de vos amendements qui modifient le code civil, dans une proposition de loi qui ne le modifie pas. Je suis urbaniste, pas juriste. Il nous faut donc opérer quelques vérifications.

Je remercie M. Balanant pour ses propos et pour le soutien de son groupe.

Monsieur Serva, vous savez que nous partageons la même ligne concernant le partage et la vente.

Monsieur Potier, je vous remercie pour votre soutien.

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