Intervention de Maina Sage

Réunion du mercredi 10 janvier 2018 à 14h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaina Sage :

Monsieur le rapporteur, en réponse à vos interrogations sur la répartition des compétences, je vous renvoie à la loi du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française. La collectivité a une compétence de principe dans tous les domaines, sauf, très précisément, ceux visés à l'article 14, qui relèvent de l'État. Quelques prérogatives relèvent par ailleurs des communes, sachant que celles-ci ne disposent pas de la clause générale de compétence.

Les successions sont clairement de la compétence de l'État. C'est la raison pour laquelle tous les spécialistes recommandent ces adaptations.

Par ailleurs, même si cette proposition de loi ne vise pas directement le code civil, cela n'empêche pas de le modifier. Beaucoup de textes votés dans cette assemblée – et dans cette commission – comportent des articles codifiés, d'autres non, voire modifient plusieurs codes.

Nous profitons simplement d'un véhicule qui correspond au sujet : l'important, c'est le titre de la loi, qui évoque l'indivision en outre-mer. Il est donc assez large pour porter des sujets relatifs à nos collectivités. Il pourrait s'agir de la Nouvelle-Calédonie ou d'autres territoires.

Notre choix de ne traiter que de la Polynésie française n'est pas dicté par des raisons juridiques. Nous avons fait ce choix parce nous savons que chaque territoire doit bénéficier de mesures adaptées. Ce qui est valable dans d'autres collectivités ou départements n'est pas forcément valable pour notre territoire.

Premièrement, ce texte est adapté aux amendements que je présente. Deuxièmement, nous sommes bien dans le domaine des compétences d'État. Troisièmement, nous avons des raisons de ne pas avoir cherché à amender l'article 1er. La question s'est posée. Sur les points évoqués dans cet article 1er, il y a un partage de compétences. Un gros volet du code civil, qui comporte notamment tout ce qui touche à l'organisation judiciaire, relève de la Polynésie. L'État est compétent pour exercer la justice mais c'est la Polynésie qui établit une partie du code de l'organisation judiciaire. Le code de procédure civile est essentiellement une compétence polynésienne et c'est pourquoi nous devons examiner ces sujets avec soin.

Je comprends les interrogations qui touchent à ces domaines de compétence mais je peux vous assurer que les nombreux travaux, menés au cours des dix dernières années, conduisent aux mêmes conclusions. Tous les experts du domaine se sont exprimés ; des rapports ont été élaborés par notre commission des Lois en 2015 et par la délégation sénatoriale en 2016 ; des rapports ont été commandités par les deux derniers gardes des Sceaux – Mme Christine Taubira et M. Jean-Jacques Urvoas. Tous parviennent aux mêmes conclusions. Je voudrais vous en faire prendre conscience.

Je peux comprendre que vous ayez besoin d'un délai pour y réfléchir, pour regarder encore cela de près. Même pour nous, il n'est pas évident d'utiliser la voie d'une proposition de loi. Après le débat de ce matin, je profite de la présence de mon collègue Dominique Potier pour dire qu'il n'est pas évident de traiter en un mois – particulièrement en décembre – un texte aussi consistant. Je voudrais que nos collègues en tiennent compte comme je le fais pour mes amendements. Il ne faudrait pas que ceux-ci soient systématiquement rejetés après une analyse superficielle. Regardez tous les travaux et la jurisprudence de ces trente dernières années, qui m'ont guidée pour la rédaction de ces propositions.

L'amendement CL4 porte sur le droit de retour. Après les réformes de 2001 et 2006 sur les successions, la famille nucléaire – le ménage et les enfants – a été privilégiée par rapport au lignage. Replaçons cette réforme dans le contexte local. En Polynésie française, certaines successions sont ouvertes depuis plus d'un siècle et impliquent des centaines de co-indivisaires, ce qui est la norme, voire parfois un millier. Tout ce qui relève de l'héritage familial peut être très mal vécu lorsqu'il n'y a pas de descendance et que le patrimoine revient au conjoint survivant, ce qui revient à transférer le droit de propriété à une autre famille.

En ces matières, vous devez tenir compte d'un aspect culturel : l'attachement particulier des Polynésiens à leur espace terrestre et maritime. Dans la société traditionnelle polynésienne, il n'y a pas de frontières. Les Polynésiens s'approprient globalement un espace qui comporte 99 % d'eau pour 1 % de terre, et qui représente une surface grande comme l'Europe. Dans ces conditions, ce qui est octroyé en termes de gestion de surface à une famille, à une communauté, intègre aussi l'espace maritime. À ceux qui sont passionnés par la thématique du droit de propriété et du droit foncier, j'indique qu'il y a en Polynésie française des exceptions tout à fait remarquables. Dans certaines îles, il y a une appropriation de l'espace lagonaire et cela fait partie des rares exceptions acceptées au sein de la République.

L'attachement que peut avoir une famille à son territoire terrestre ou maritime a une portée réelle mais qui est peu perceptible à 20 000 kilomètres de là. Je vais vous donner un autre exemple pour que vous preniez conscience de l'importance et de la constance de cet attachement. À sa naissance, le placenta de chaque enfant polynésien est enterré. À cet endroit, on plante un arbre avec lequel il aura un lien fort et qui représentera en quelque sorte un message pour sa vie. On choisit l'arbre en fonction de la personnalité de l'enfant. C'est pourquoi il est si important de relier les habitants à cet espace.

Le droit de retour n'est donc pas une régression au détriment du conjoint survivant. Ce n'est pas du tout notre manière de le voir. Il s'agit de préserver cette transmission et ce lien culturel très fort dans une famille, son attachement à sa terre.

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