Intervention de Thomas Cazenave

Réunion du mercredi 10 janvier 2018 à 12h50
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance

Thomas Cazenave, délégué interministériel à la transformation publique :

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation.

Lorsque le projet de loi sera adopté, madame la présidente, nous n'aurons probablement même pas fait la moitié du chemin ! Ce texte, en effet, a au moins deux vertus. Premièrement, il définit une cible, une vision. Or, pour mener à bien un programme de transformation publique, il est nécessaire d'indiquer une ambition, de déterminer notre vision de la transformation, axée sur les notions de bienveillance, de droit à l'erreur, de conseil et d'accompagnement. Les agents et les manageurs publics ont en effet besoin que l'on définisse précisément ce que l'on attend d'eux. J'y reviendrai, mais leur engagement est l'une des clés de la réussite du programme de transformation publique et, pour susciter leur mobilisation, il faut avant tout être au clair sur notre vision. La deuxième vertu du projet de loi est de poser des fondations, constituées de briques juridiques qui permettront d'aller plus loin dans la transformation des relations entre l'administration et ses usagers. En effet, la transformation publique ne peut être uniquement de nature juridique. C'est pourquoi je me retrouve dans votre interpellation, madame la présidente.

Votre rapporteur m'a demandé de présenter la direction interministérielle de la transformation publique. J'ai, en effet, une double casquette, puisque je suis à la fois délégué interministériel à la transformation publique et chargé d'une nouvelle direction, la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), placée sous l'autorité de Gérald Darmanin et qui a notamment pour mission d'être la cheville ouvrière du programme de transformation publique du Gouvernement. Concrètement, elle met donc en oeuvre ce programme, anime les travaux du Comité d'action publique (CAP) 2022 – c'est-à-dire la commission d'experts qui travaille avec les ministères à l'élaboration des grands programmes de transformation ministérielle –, anime et conduit des chantiers transversaux : développement du numérique, gestion des ressources humaines, organisation territoriale de l'État, gestion budgétaire et comptable, simplification et qualité du service. Nous avons armé ces grands programmes transversaux car la transformation publique passera, au-delà des politiques publiques, par la transformation interne de la manière dont on mène l'action publique.

La DITP porte, en outre, des programmes interministériels en propre, qu'il s'agisse du chantier « Simplification et qualité de service » que m'ont confié le Premier ministre et Gérald Darmanin – j'y reviendrai, notamment à propos de la place de l'évaluation et de la satisfaction – ou du programme d'investissement et de modernisation des services publics puisque, pour la première fois, on associe à un grand programme de transformation un programme de modernisation et d'investissement dans le secteur public.

Cette direction s'efforce donc d'armer ce programme, puis d'accompagner, grâce à notre expertise, le changement, notamment dans les ministères dont la feuille de route comprend des engagements très forts en matière de modernisation et de transformation.

Par ailleurs, nous nous efforçons d'être le centre de l'innovation publique. Je pense au rôle du nudge, ce « coup de pouce », à l'exploration d'autres modalités d'intervention que le droit de timbre, par exemple, à l'application des sciences comportementales à l'information et à l'orientation des usagers... Le rôle de cette direction est également de promouvoir l'innovation publique et de diversifier nos modes d'action.

Outre la DITP, placée sous l'autorité de Gérald Darmanin, la DINSIC, placée sous l'autorité de Mounir Mahjoubi, s'occupe, quant à elle, des systèmes d'information (SI) de l'État. Plusieurs directions, donc, mais un seul programme de transformation de l'action publique. C'est la raison pour laquelle j'ai une double casquette, puisque je suis également délégué interministériel sous l'autorité d'Édouard Philippe. Quelle que soit la complexité de notre organisation, nous avons un cadre et un objectif communs, au service duquel chacun met ses compétences respectives en matière de numérique, d'accompagnement du changement… Je pourrais également citer à ce propos le rôle de la direction générale de la fonction publique, qui est chargée du levier « ressources humaines ».

Quant à « Action publique 2022 », je vais tenter de présenter ce programme en deux mots. Nous avons lancé, avec chaque ministère, des travaux approfondis pour qu'à l'échéance du mois de mars ou d'avril, ils nous présentent leur propre feuille de route. Pour y parvenir, nous avons mobilisé des experts, qui composent le CAP 2022, coprésidé par Véronique Bédague, Frédéric Mion et Ross McInnes. Ces experts, au nombre d'une quarantaine, se répartissent entre les grands champs de politique publique et ont des échanges très réguliers avec les ministères pour élaborer, conformément au mandat qui nous a été confié par le Président de la République et le Premier ministre, la feuille de route la plus ambitieuse possible. Celle-ci doit répondre à trois objectifs : améliorer la qualité du service proposé aux citoyens ainsi que les conditions de travail des agents publics et contribuer au programme pluriannuel de baisse de la dépense publique. CAP 2022 repose sur ces trois piliers ; le programme « Action publique 2022 » est composé des travaux de cette commission d'experts et des chantiers transversaux que j'ai évoqués.

Par ailleurs, pour mobiliser les usagers et les agents publics, nous avons lancé le Forum de l'action publique. Celui-ci comprend une plateforme numérique, ouverte il y a quelques semaines, qui leur permet de contribuer à la réflexion, de faire des propositions et de réagir aux orientations qui leur sont suggérées, ainsi que des forums organisés en région par des ministres, des secrétaires d'État et des préfets autour des enjeux de transformation publique.

J'en viens à la place de l'usager, qui est l'objet, me semble-t-il, du projet de loi. Tout d'abord, comment prend-on en compte l'avis des usagers – qu'il s'agisse des citoyens, des contribuables ou des entreprises ? C'est un élément fondamental pour la direction interministérielle de la transformation publique, qui a la responsabilité de mettre en oeuvre l'engagement présidentiel de rendre publics les résultats de tous les services publics. En effet, ces résultats comprennent notamment le jugement que les usagers portent sur la manière dont ils ont été accueillis, informés et accompagnés. Nous croyons beaucoup à cette évolution : c'est le socle sur lequel nous pourrons bâtir l'indispensable transformation managériale du secteur public. Au-delà des dispositions juridiques du projet de loi, nous ne saurons que nous avons réussi à bâtir une administration bienveillante, qui conseille et accompagne, que si nous créons un dispositif qui permet de savoir si la relation entre l'administration et les usagers a changé et quel regard ces derniers portent sur la façon dont ils sont accompagnés au quotidien. Pour cela, il est indispensable – c'est une priorité – de généraliser les enquêtes de satisfaction au sein du service public.

Ensuite, la transformation en profondeur de la manière dont l'action publique est mise en oeuvre suppose, au-delà des évolutions juridiques, une transformation managériale interne. Par exemple, pour qu'un agent public puisse jouer son rôle de conseil et adapter sa réponse à la situation particulière de l'usager qui est en face de lui, il doit disposer des marges de manoeuvre nécessaires. Si le service public est trop uniforme, trop corseté et ne laisse aucune marge de manoeuvre à cet agent, nous ne réussirons pas la transformation publique. En même temps que nous faisons évoluer le cadre normatif, nous devons donc déconcentrer radicalement le secteur public, pour redonner du pouvoir à l'agent qui se trouve au plus près du terrain afin qu'il puisse adapter sa réponse sans devoir interroger son supérieur hiérarchique, lequel interrogera lui-même son propre supérieur hiérarchique… Si nous voulons relever le défi qui nous est lancé – je pense à l'instauration du droit à l'erreur et au rôle de conseil et d'accompagnement de l'administration –, nous devons donc réaliser une profonde transformation interne en « décorsetant » l'administration, en allégeant le poids du règlement, car la culture administrative interne a été trop façonnée par la sacro-sainte norme.

Ensuite, si nous voulons rétablir la confiance entre l'administration et ses usagers, nous devons élever le niveau de confiance entre l'administration et ses agents. Pour cela, j'y reviens, il faut susciter l'adhésion des agents et des manageurs publics à notre programme de transformation publique et donc définir clairement ce que l'on attend d'eux. Longtemps, cette absence de vision a nui à la capacité d'engagement et à la confiance de nos agents publics, qui ressentent parfois une certaine forme de découragement. Il faut donc impérativement regagner leur confiance en leur indiquant quel est notre projet, comment nous allons le réaliser, quelle sera leur place et comment nous les accompagnerons, faute de quoi nous ne pourrons pas relever le défi.

Le Premier ministre vient de lancer, avec les grands élus du bassin de vie de Cahors, une expérimentation qui illustre bien ce défi. Il a en effet réuni, avec le maire de Cahors et le président du conseil général du Lot, les cadres des services publics de l'État, des collectivités territoriales et des opérateurs, et leur a laissé carte blanche pour reconstruire le service public « par le bas ». Car ce sont eux, au fond, qui savent comment celui-ci doit être organisé en fonction notamment des spécificités territoriales. Il s'agit donc de leur demander comment, en oubliant le cadre réglementaire et législatif existant et les frontières actuelles entre l'État, les collectivités locales et les opérateurs, ils rebâtiraient le service public. Le Premier ministre leur a laissé deux mois pour lui faire des propositions. Redonner du poids au terrain est la seule manière de rebâtir profondément le secteur public. Je crois que cette expérimentation, que nous allons étendre à trois ou quatre autres territoires, stimulera l'imagination et permettra de trouver de nouveaux axes de transformation. J'insiste sur ce point, car je crois que si le projet de loi n'est pas accompagné d'initiatives de ce type, nous aurons beaucoup de mal à atteindre ses objectifs, explicites et implicites.

En ce qui concerne l'évaluation, j'ai indiqué qu'il fallait généraliser la mesure des résultats des services publics et les enquêtes de satisfaction. À ce propos, l'institut Delouvrier, avec lequel nous avons un partenariat, interroge régulièrement les Français sur leur vision du service public. La première chose qui me frappe dans le résultat de ces consultations, c'est l'écart entre le jugement que ces derniers portent de manière générale sur l'administration et la perception que les usagers ont d'un service public particulier. En effet, 44 % seulement des Français se disent satisfaits du service public mais, lorsqu'on les interroge en tant qu'usagers sur la qualité perçue, cet indice de satisfaction atteint 77 %. Je sais que, sur la publication des résultats, le débat est difficile. Celle-ci doit se faire au niveau le plus fin, dans chaque service public de proximité : la caisse d'allocations familiales (CAF), l'agence de Pôle Emploi… Mais je crois que les agents publics ont tout à gagner à une telle opération de transparence, qui permettra non seulement de réduire cet écart de perception mais aussi d'identifier les services les plus en difficulté, pour lesquels il faut faire des efforts particuliers.

Même si cette consultation révèle plutôt une amélioration de la satisfaction des usagers, cet écart de 30 points suscite forcément des interrogations. Je précise du reste que, pour certains services publics, l'indice de satisfaction a réalisé un bond exceptionnel. C'est le cas notamment du service public de l'emploi, qui a gagné 13 points dans le dernier baromètre de l'Institut Paul-Delouvrier. De fait, l'opérateur a réalisé beaucoup de transformations internes. Pôle Emploi affiche d'ailleurs les résultats de ces agences partout en France. Extrêmement critiqué en 2012 – je le sais pour y avoir passé quatre ans et demi –, il va désormais très loin dans la transparence. Assumer la vérité des prix, assurer la transparence des résultats, parler de satisfaction des demandeurs d'emploi plutôt que de taille du portefeuille : telle est, me semble-t-il, la bonne orientation. Cet exemple mérite donc d'être étudié, de même que celui du secteur de la santé, qui fait également preuve d'une grande maturité.

Par ailleurs, il ressort des baromètres dits « de complexité » que la complexité administrative demeure un défi : il faut faire plus simple. Mais la réactivité prime désormais sur l'exigence de simplicité. De fait, dans leur vie quotidienne, les citoyens obtiennent des réponses à leurs questions beaucoup plus rapidement qu'auparavant, et ils souhaitent que l'administration adopte le même rythme. Au demeurant, si la simplification est une nécessité, il y a parfois une tension entre l'exigence de simplification et la volonté d'avoir un service public « cousu main ». Ainsi, Pôle Emploi a beaucoup diversifié son offre de services – ce qui entraîne une certaine complexification – mais pour l'améliorer.

Enfin, en ce qui concerne l'accompagnement de la transformation publique, j'estime qu'au-delà de l'évolution du cadre normatif, la réussite de ce programme dépend de deux leviers fondamentaux : le numérique et la gestion des ressources humaines. Quel contrat social conclut-on avec les agents publics pour les prochaines années afin de donner du sens à notre action et de les embarquer dans un projet positif ? Il faut en finir avec la vision décliniste et parfois stigmatisante du secteur public : celui-ci est capable de se réformer, mais il faut créer les conditions d'un nouveau contrat social. Quant au numérique, il contribuera à enrichir la qualité du service et sa réactivité et il permettra aux agents publics de réinvestir le coeur de leur métier, qui est l'accompagnement. Reprenons l'exemple du service public de l'emploi. Grâce au numérique, on peut aller très loin dans la dématérialisation de la demande d'allocation-chômage, de sorte que l'agent qui était chargé de la liquidation des droits est en mesure de réinvestir une partie de sa mission à laquelle il consacrait moins de temps : l'explication des droits et de la réglementation. Le numérique permet ainsi aux agents d'être davantage au contact du public, d'expliquer et d'accompagner, ce qui fait, du reste, la beauté de leur mission. Mais, cela suppose un programme de formation extrêmement important. En effet, le numérique, l'utilisation des données et de l'intelligence artificielle peuvent avoir un impact très fort sur de nombreux champs de la politique publique. Il faut donc bâtir un programme de formation qui anticipe ces impacts et accompagne les agents publics vers de nouveaux métiers ou vers un exercice un peu différent des métiers actuels.

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