Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du vendredi 4 février 2022 à 9h00
Évolution statutaire de la collectivité de corse — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Nous devons agir ici et maintenant. La rupture d'égalité est manifeste.

Par le présent texte, je vous propose de répondre, à droit constitutionnel constant, au problème du foncier, aux articles 1er à 3, et à celui des compétences normatives de la collectivité de Corse, à l'article 4.

L'article 1er , qui a été réécrit en commission afin de renforcer sa constitutionnalité et son opérationnalité, prévoit d'instaurer à titre expérimental, pour cinq ans, un droit de préemption spécifique au profit de la collectivité de Corse. Ce droit ne concernerait que les aliénations à titre onéreux supérieures à un certain montant : un décret en Conseil d'État, pris après avis de l'Assemblée de Corse, déterminerait le seuil, exprimé en prix au mètre carré, à partir duquel le droit de préemption pourrait s'appliquer dans les zones concernées, elles-mêmes choisies par délibération de la même Assemblée.

Cet article se justifie tout d'abord par le fait que la collectivité élabore le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC). Par ailleurs, sur l'île, du fait de leur petite taille, les communes et les intercommunalités n'ont pas du tout les moyens financiers de rendre efficace un droit de préemption urbain si tant est qu'elles le détiennent car 80 % d'entre elles ne peuvent l'exercer en l'absence de plan local d'urbanisme (PLU) approuvé. Les valeurs immobilières sont exponentielles tandis que les budgets restent très étriqués. Par ailleurs, la collectivité de Corse est la seule collectivité de dimension régionale à être dotée de la clause de compétence générale. Elle est, à ce titre, un acteur institutionnel incontournable, partenaire dans de nombreux domaines des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dont les représentants ont d'ailleurs approuvé sans réserve cette proposition de loi.

Il ne sert à rien de créer un droit de préemption si son titulaire n'a pas les moyens d'en user. Aussi l'article 2, également réécrit en commission, permet-il à l'Assemblée de Corse de créer une taxe sur les résidences secondaires assise sur la valeur vénale réelle du bien considéré. Le produit de cette taxe lui reviendrait et plusieurs garde-fous sont prévus pour éviter qu'elle ne vienne frapper aveuglément les patrimoines familiaux ou les propriétaires modestes, comme certains le craignent. Les résidences dont la valeur vénale est inférieure à un certain seuil ne seraient pas non plus concernées. Par ailleurs, l'Assemblée de Corse pourra prévoir des exonérations sur critères sociaux ou des modulations au niveau communal à partir d'autres critères, notamment les taux communaux de résidences secondaires.

Sur cette proposition de taxe, le débat a progressé et il est en passe d'aboutir à un compromis satisfaisant. C'est la raison pour laquelle, d'une part, je soutiendrai l'amendement de mes collègues Jean-Paul Mattéi et Bruno Millienne portant sur une taxation territoriale sur les transactions, donc sur les flux et non sur les stocks, et, d'autre part, je proposerai d'élargir la surtaxe sur la taxe d'habitation appliquée aux résidences secondaires, en l'adaptant à toutes les communes de Corse, et de créer une part territoriale de la taxe d'aménagement en Corse sur le modèle de ce qu'a instauré la région Île-de-France. Il est important de conforter ces nouveaux outils dans la convergence et le compromis, car rien ne serait pire que d'introduire un droit de préemption qui s'apparenterait, en l'absence de financement spécifique, à une coquille vide.

L'article 3 prévoit quant à lui de créer, par l'intermédiaire du PADDUC, des zones sans activités liées à la grande distribution et à la location de meublés touristiques de type Airbnb. L'aménagement du territoire doit d'abord répondre aux besoins de la population résidente, qu'il s'agisse de logements ou d'activités économiques. Je vous présenterai un amendement central qui permettra d'aller plus loin en étendant aux communes de Corse la procédure d'autorisation de changement d'usage des locaux destinés à l'habitation afin de lutter contre la « airbnbsation » incontrôlée des logements.

Enfin, l'article 4 traite des compétences normatives de la collectivité de Corse, à laquelle il ouvre, à titre expérimental, une faculté d'adaptation législative, qui fut censurée en 2002. L'article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales (CGCT) confère déjà à la collectivité de Corse la capacité de proposer, de « demander », la modification ou l'adaptation des dispositions réglementaires ou législatives qui la concernent. Toutefois, ces dispositions sont, dans la pratique, restées systématiquement lettre morte. Le constat que je dresse ne donne pas lieu à polémique : il est partagé par de nombreux juristes. Je souhaite que cet article permette de mettre fin à la situation absurde qui veut que, quarante ans après le premier acte de la décentralisation, la Corse soit encore laissée à l'écart de la détermination des règles qui la concernent dans nombre de cas où l'adaptation des lois générales relève du bon sens dès lors que l'on prend véritablement en considération les spécificités de l'île.

Je déplore que cet article 4, qui avait été adopté par cette assemblée et intégré à l'article 1er bis du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit 3DS, ait été supprimé par la commission mixte paritaire pour des motifs de frilosité constitutionnelle largement contestables. De manière plus générale, je ne peux que regretter que ce projet ne permette pas, du moins en ce qui concerne la Corse et les problématiques qui lui sont propres, de dépasser l'égalitarisme formel qui est souvent source des plus grandes inégalités réelles concernant l'île.

Voulons-nous que les insulaires n'aient le choix qu'entre partir, être dépossédés ou devenir des Indiens parqués dans leurs réserves ? Voulons-nous vraiment envoyer le signal que la démocratie et le droit sont impuissants et que l'État reste sourd aux préoccupations légitimes des insulaires quand elles sont démocratiquement exprimées, à une très large majorité et à intervalles réguliers, depuis des années ? Ce ne serait ni juste ni de très bon augure quand on connaît l'histoire de ce pays ainsi que le lien charnel profond que les insulaires ont noué avec leur terre depuis des siècles. Depuis des décennies, toutes les réactions populaires contestataires fortes en Corse, qui se sont manifestées à l'occasion de combats difficiles, avec leur cohorte de drames, ont eu pour point commun la défense de la terre, le refus des agressions environnementales et de la dépossession.

Aujourd'hui, nous devons faire la démonstration que la convergence démocratique s'opère pour donner des réponses. La loi doit défendre et protéger contre cette spéculation galopante. Elle doit conforter, enraciner la paix dans l'île et donner un horizon de développement durable maîtrisé pour les insulaires qui veulent tout simplement vivre dignement.

Si les phénomènes de résidentialisation et de spéculation immobilière atteignent un niveau hors normes en Corse, qui justifie cette proposition de loi, les mêmes tendances lourdes existent ailleurs, dans les Alpes, au Pays basque, en Bretagne et dans d'autres territoires.

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