Intervention de Étienne de Poncins

Réunion du mercredi 4 mai 2022 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Étienne de Poncins, ambassadeur de France en Ukraine :

Des deux : ils n'ont jamais réussi à éliminer complètement l'aviation, même si elle est limitée, et la défense antiaérienne se renforce. Kiev est désormais assez bien protégée.

La stratégie retenue n'a pas été bonne : attaquer l'ensemble de l'Ukraine était sans doute le signe d'une trop grande confiance. En fait, seule l'offensive menée à partir de la Crimée constitue un succès, sachant qu'il n'y avait aucune force ukrainienne pour bloquer l'isthme permettant l'accès à la Crimée – peut-être à tort. Les Russes ont donc pu atteindre Kherson, à 120 kilomètres au nord, mais il s'agit d'un succès dans le vide. Dès qu'ils se heurtent à une résistance, ils n'arrivent pas à progresser. On nous parle actuellement d'une grande offensive dans le Donbass, mais ils avancent péniblement, kilomètre par kilomètre.

Donetsk n'est toujours pas vraiment dégagée. Quant à Marioupol, qui n'est pas encore prise, elle aurait dû l'être dans les premières heures par un coup de main, car elle se situait à 20 kilomètres de la ligne de contact.

Le commandement a également échoué. L'absence de sous-officiers constitue manifestement un énorme problème car il manque un échelon intermédiaire crucial entre les soldats et les officiers, notamment pour s'occuper et prendre soin du matériel. C'est l'une des raisons des nombreux abandons de blindés.

Après deux mois, on constate donc que les Ukrainiens progressent chaque jour, par leur volonté et grâce au soutien occidental, alors que les Russes reproduisent avec leur offensive dans le Donbass les mêmes erreurs que celles commises aux alentours de Kiev. Un pays a fait beaucoup mieux qu'attendu, et l'autre beaucoup moins bien. On a probablement surestimé l'armée russe du fait de sa supériorité numérique en blindés.

Un flot continu d'aide se déverse. Chaque jour supplémentaire renforce donc la confiance des Ukrainiens et entraîne un durcissement de leur position, renforcé par la découverte des crimes de guerre.

Aujourd'hui, il n'y a pas de réelles négociations. C'est compréhensible, mais inquiétant pour la sortie de crise. Le risque pour le président Zelensky, comme me le disent nombre de mes interlocuteurs, est qu'il bénéficie actuellement d'un taux de confiance de 80 % ou 85 %, ce qui est exceptionnel, mais que s'il venait à signer un accord en renonçant par exemple au Donbass, voire même à la seule Crimée, il s'exposerait à l'opposition de l'ensemble de la population comme de l'armée, qui ne le comprendrait pas, après autant de souffrances et de destructions. La popularité du commandant en chef des armées, le général Zaloujny, progresse énormément, avec un taux de confiance de 95 %. Cela témoigne aussi de la foi du pays dans la victoire – alors que souvent lors des guerres les chefs militaires font plutôt l'objet de critiques. Le peuple ukrainien sent qu'il tient le bon bout et qu'il va peut-être ou sans doute l'emporter. Mais jusqu'où ? Alors qu'elle paraissait absurde il y a quelques semaines, l'hypothèse d'une grande contre-attaque bousculant l'armée russe n'est plus complètement exclue même si bien sûr on est encore loin sur le terrain d'en être là.

S'agissant de l'évacuation des civils de Marioupol, les marges de manœuvre sont malheureusement limitées. Des discussions se poursuivent entre Ukrainiens et Russes. Une intervention avait été envisagée avec les Turcs car ils disposent d'un bateau qui aurait pu accoster à Berdiansk, mais l'idée n'a pas prospéré.

Vladimir Poutine est à la recherche d'un succès pour le 9 mai. Il n'en a pas actuellement, sauf à dire qu'il a finalement conquis Marioupol. Il n'aura pas beaucoup plus que cela : il n'arrivera pas à occuper la totalité des oblasts de Lougansk et de Donetsk. Le plan A consistait à soumettre l'ensemble de l'Ukraine par un coup de force réalisé en quelques jours. Il a échoué. Le président Poutine s'est rabattu sur un plan B qui visait à couper l'Ukraine de tout accès à la mer d'Azov et à la mer Noire puis à remonter jusqu'à la Transnistrie. Mais il existe un écart entre le plan et sa réalisation. Odessa ne peut plus être prise par la mer, un débarquement étant impossible compte tenu du renforcement de la défense sol-mer. L'erreur a été de penser que cette ville, russophone, basculerait du côté russe. Cela n'a pas été le cas et Odessa est restée fidèle, alors qu'on pouvait s'interroger sur ce point. Le peuple ukrainien est à l'origine un peuple paysan : le sud, vers Kherson –zone de steppe peu propice à l'agriculture – ou le Donbass industriel sont des régions où il est ethniquement moins représenté, mais Odessa reste hors de portée de Vladimir Poutine. Qu'il la veuille, c'est possible ; mais qu'il puisse l'avoir paraît très compliqué.

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