Intervention de Étienne de Poncins

Réunion du mercredi 4 mai 2022 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Étienne de Poncins, ambassadeur de France en Ukraine :

L'arrivée d'armes de technologie récente va changer le conflit. En effet, les Ukrainiens ont démarré la guerre avec un armement de type soviétique ; grâce aux armes de type OTAN, ils sont en train d'opérer un saut technologique ; mais ce saut ne fait que répondre à l'évolution tactique de la guerre et à l'escalade décidée par la Russie dans le Donbass. La confiance des Ukrainiens tient notamment au fait qu'ils disposent de matériel de ce niveau et pas les Russes, qui rencontrent au contraire des problèmes d'approvisionnement.

La francophonie est effectivement une réalité en Ukraine. Il faudra relancer les actions dans ce domaine une fois la paix revenue, ou en tout cas après un cessez-le-feu. Il existait un délégué à la francophonie et, à la Rada, certains députés parlent très bien le français. Les Ukrainiens souhaiteront donc sans doute renouer des liens.

L'élan de solidarité des Français est très impressionnant vu de Kiev. Les Ukrainiens y sont très sensibles. Il y a eu de nombreux reportages montrant le déploiement de drapeaux ukrainiens en France et l'accueil très chaleureux qui est réservé aux réfugiés, notamment par les municipalités. Il est donc très émouvant pour moi d'être ambassadeur de France en Ukraine. Des pompiers de toute la France ont accompagné les convois jusqu'à la frontière ukrainienne : chaque service départemental a mis l'un de ses camions à disposition.

Toute la France soutient le peuple ukrainien dans son malheur et admire son courage. En ce qui concerne les étudiants étrangers, les universités ukrainiennes faisaient venir des milliers d'étudiants des pays du tiers-monde, notamment d'Inde, d'Égypte et du Maroc, pour les former à la médecine ou encore à l'économie. Ces étudiants se sont trouvés pris au piège au moment du déclenchement de la guerre ; ils ont été victimes du conflit. À Soumy, par exemple, une ville attaquée dès le début de la guerre, plusieurs centaines d'étudiants indiens étaient restés bloqués et se trouvaient dans une situation très difficile. Leur ambassadeur s'est donné beaucoup de mal pour les faire sortir. Certains de ces étudiants étrangers se sont réfugiés en France. Il faut les accueillir le mieux possible. La question est de savoir s'ils vont pouvoir y poursuivre leurs études. C'est le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation qui est chargé du dossier.

Il m'est difficile de dire quels sont les buts de guerre de Vladimir Poutine, car nous ne sommes pas dans sa tête. Par ailleurs, je ne suis pas en poste à Moscou. J'ai donc beaucoup de peine à interpréter ce que disent et pensent les dirigeants russes.

On sait à peu près ce que le président de la Fédération de Russie voudrait, à savoir dominer l'Ukraine et la transformer en un pays satellite, à l'image de la Biélorussie. Sur le plan purement militaire, ses objectifs sont clairs : à partir de la Crimée, il souhaite atteindre les sources d'eau, à Kherson. En effet, il n'y a pas d'eau dans la péninsule. Celle-ci est alimentée par un canal creusé du temps de Staline. Pour le reste, Vladimir Poutine voudrait chasser complètement l'Ukraine de la mer d'Azov, voire de la mer Noire. Mais entre les buts de guerre et la réalité, il y a évidemment une différence.

Au départ, le président russe espérait sans doute que la Biélorussie entrerait en guerre. Or les Biélorusses ont été assez intelligents pour ne pas se lancer dans l'aventure. Ils ont également été freinés par la diplomatie ukrainienne – car les relations entre les deux peuples étaient très bonnes. Les Ukrainiens ont bien joué. Ils ont déconseillé à Loukachenko d'entrer dans le conflit et le président biélorusse lui-même, au bout de quelques jours, a vu comment les choses tournaient pour les Russes, ce qui a dû modérer son enthousiasme. Par ailleurs, il a probablement eu peur de perdre son pouvoir. Il a donc continué à louvoyer.

En ce qui concerne la situation en Moldavie, notamment en Transnistrie, nous sommes vigilants. Il n'y a que 1 500 soldats russes dans ce territoire. Sous toute réserve, ils ne sont pas très opérationnels. Les Russes voulaient très certainement, au départ, prendre Odessa et rejoindre la Transnistrie mais cela risque d'être compliqué.

Dans ce conflit, le renseignement joue effectivement un rôle considérable.

La situation économique, quant à elle, est une vraie préoccupation. Il faut fournir environ 5 milliards d'euros par mois à l'Ukraine. L'Union européenne est prête à donner beaucoup d'argent, y compris pour la reconstruction du pays – car le président Zelensky est désormais tourné vers cet objectif ; il insiste même beaucoup sur ce point auprès de ses interlocuteurs. À ses yeux, il y a deux axes principaux. D'une part, il faut commencer à penser à la reconstruction et y travailler dès à présent. D'autre part, chaque pays devrait prendre en charge une ville en particulier – on retrouve là l'organisation qui se fait autour des villes. Il s'agirait d'une sorte de partenariat ou de jumelage. Par exemple, les Suédois ont fait savoir qu'ils s'occuperaient de Jytomyr. Nous allons devoir réfléchir nous aussi au choix d'une ville. Le plus évident, mais certainement pas le plus simple, serait que nous prenions en charge Marioupol puisque nous avions déjà cette relation particulière que j'évoquais.

L'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne est désormais l'une des priorités du président Zelensky. C'est un de ses rares points d'accord avec Moscou – car, selon lui, les Russes n'auraient pas d'opposition de principe à ce que l'Ukraine rejoigne l'UE, contrairement bien sûr à son adhésion à l'OTAN.

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