Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du mardi 23 janvier 2018 à 15h00
État au service d'une société de confiance — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi affiche de prime abord les meilleures intentions. A priori, la conjonction des mots « État », « service », « société » et « confiance » a une connotation positive. Néanmoins, et nous le savons tous ici, la bonne loi est fondamentalement un art d'exécution. Je ferai deux constats sur la méthode avant de dresser deux interrogations de fond sur la philosophie même du projet.

Mon premier constat est celui d'un débat diminué. Je l'ai dit en commission spéciale, ce projet de loi est examiné selon la procédure accélérée, dans le cadre de laquelle les débats sont raccourcis puisque le Gouvernement peut demander la réunion de la commission mixte paritaire après une seule lecture dans chaque assemblée. Nous ne cessons de parler de la nécessité de revaloriser la place et le rôle du Parlement, mais le choix, par le Gouvernement, d'une procédure qui n'accorde finalement pas aux parlementaires le temps nécessaire, me laisse dubitative. Comme le disait l'éminent constitutionnaliste Guy Carcassonne : « Le Gouvernement utilise la procédure accélérée pour montrer sa détermination, c'est souvent de la pure communication. » C'est d'autant plus étonnant que le Gouvernement revendique, s'agissant de ce texte, la mise en place d'« une culture nouvelle ». De nombreux rapports ont en effet montré que les lois votées en procédure accélérée ne sont appliquées qu'au terme de plusieurs mois, faute de décrets d'application – je n'évoque même pas ici les habilitations demandées au Parlement pour que le Gouvernement se substitue à lui et adopte certaines dispositions.

Mon second constat se rapporte à l'insuffisance d'analyse des effets du projet de loi. Il est accompagné d'une étude d'impact qui, à bien des égards, apparaît insuffisante. Le Conseil d'État lui-même en a souligné le caractère lacunaire sur plusieurs dispositions phares, comme l'instauration d'un droit à l'erreur, l'opposabilité des textes de l'administration ou la généralisation des rescrits. L'étude d'impact fait aussi un peu l'impasse sur le bilan de l'existant pour en tirer les leçons pour l'avenir et, chose étonnante, elle ne procède à aucune approche comparée avec les autres pays européens. À titre d'exemple, je le rappelle, la loi du 12 novembre 2013 a renversé le principe classique selon lequel le silence gardé par l'administration vaut rejet, mais le requérant, le malheureux administré doit, avant de formuler sa demande, s'assurer que son objet ne figure pas parmi les 1 300 exceptions listées dans 41 décrets ! Ce constat est étonnant car il me semblait que la volonté du Président de la République était de donner la priorité à l'évaluation des textes et de retenir ce qu'il y a de meilleur chez nos voisins proches.

Ces deux observations sur la forme et les outils étant formulées, je souhaite vous faire part de deux interrogations, monsieur le ministre.

La première porte sur le fond du dispositif et la réalité des améliorations supposées être apportées par les dispositions phares du projet. Pour les administrés, deux dispositions sont mises en avant : le droit à l'erreur et le droit au contrôle. Le mécanisme du droit à l'erreur vise a priori le citoyen perdu dans le labyrinthe des normes, procédures et services. Je reprendrai à mon compte la question posée initialement par la juriste Juliette Gaté : le citoyen est-il vraiment titulaire d'un droit ? La présomption de bonne foi s'accompagne d'une appréciation de celle-ci par l'administration elle-même, ce qui revient à soumettre l'exercice du droit à une décision administrative préalable. Le mécanisme du droit au contrôle appelle, lui aussi, la même interrogation. Certains juristes estiment, à juste titre, me semble-t-il, que la consécration d'un droit de l'administré au contrôle ne sera pas sérieusement opposable à l'administration. En effet, le contrôle demandé devra intervenir dans un délai qualifié de « raisonnable » et pourra être refusé en cas de mauvaise foi, de demande abusive ou lorsque la demande aura pour effet d'entraver le bon fonctionnement du service. C'est donc à l'administration que reviendra in fine le droit d'apprécier le caractère abusif du contrôle ou le dysfonctionnement qu'il entraînerait – ces deux types de décisions pourront être contestées devant le juge administratif. Dans les deux cas, il aurait convenu, selon moi, d'introduire la possibilité d'un droit à un examen contradictoire par une instance indépendante non juridictionnelle, à l'instar de la CADA – la Commission d'accès aux documents administratifs – pour l'exercice du droit à l'accès aux documents administratifs, à moins d'encourir le risque de priver ce droit de toute réalité. Il s'agit pour moi d'un problème de fond.

L'autre grand sujet d'interrogation, sur lequel nous avons insisté lors des débats en commission, porte sur les moyens des institutions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.