Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 19 juillet 2017 à 9h10
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

M. Chassaing, M. Aubert et M. Lassalle m'ont interrogé sur l'approfondissement de l'intégration économique dans la zone euro.

Un mot d'abord de l'opinion publique par rapport à l'euro. Je ne doute pas que l'attachement des Français à l'euro sort plutôt renforcé des débats qui nous ont occupés ces derniers mois. L'eurobaromètre, qui existe depuis 2003, mesure tous les semestres, pays par pays, l'attachement des citoyens à l'euro. Il établit que 68 % des Français affirmaient leur attachement à l'euro au second semestre 2016 et qu'ils sont, au premier semestre 2017, 72 %. Cela ne nous donne pas pour autant mandat pour faire le grand saut fédéral.

Quoi qu'il en soit, toute décision concernant l'Union économique et ses institutions relève du pouvoir politique et non des banquiers centraux, qui se bornent à émettre des souhaits économiques. Par ailleurs, ce que les opinions publiques françaises et européennes attendent, ce sont, non pas des progrès institutionnels, mais des résultats concrets sur la croissance et l'emploi.

C'est sans doute le bon moment pour progresser en matière de stratégie économique collective européenne, et favoriser la croissance et d'emploi dans notre pays. La concordance des cycles démocratiques français et allemand, pour la première fois depuis quinze ans, nous offre une fenêtre d'opportunités dont il faut profiter.

Jusqu'où pouvons-nous aller ? Il s'agit d'une décision politique, et je n'ai évidemment pas à commenter, monsieur Aubert, les propos que le ministre a tenus devant vous. Je peux cependant avancer deux idées, qui ne nécessitent aucune révision des traités.

La première consiste en cet accord réformes-relance que j'ai déjà évoqué : davantage de réformes en France et en Italie, non parce que Bruxelles nous le demande mais parce que c'est dans notre intérêt ; davantage de relance, en contrepartie, en Allemagne et aux Pays-Bas. Il ne fait aucun doute que cela contribuera à rehausser le sentier de la croissance et de l'emploi, en France et en Europe. C'est un point sur lequel tout le monde s'accorde, sans que ni la France ni l'Allemagne ne consentent pourtant à faire le premier pas, chacune attendant l'autre depuis des années, alors qu'il faudrait que nous avancions tous ensemble selon une stratégie collective.

La seconde idée consiste à créer un fonds de stabilisation qui permettrait d'aider, grâce à des prêts octroyés à des conditions très favorables, les pays de la zone euro confrontés à un choc ne résultant pas d'une politique économique inadéquate mais des circonstances. La solidarité doit ici pleinement jouer.

Au-delà, si l'on veut inscrire ces progrès dans la durée, ils devront être institutionnalisés, ce qui relève des ministres des finances et du budget. Mais, il faut être clair : même dans cette perspective, l'essentiel des politiques économiques demeurera national. Nous ne tendons donc pas vers une grande politique économique européenne mais vers une union économique, qui substitue aux stratégies nationales une stratégie commune globale, dont les effets seront ainsi renforcés.

Monsieur Guerini, vous m'avez interrogé sur le livret A et les contreparties de son succès auprès des épargnants, c'est-à-dire le fait que les banques surcentralisent vers la Caisse des dépôts. Un accord est en effet intervenu l'an dernier, aux termes duquel les banques ont accepté de réduire le montant de leurs transferts vers la Caisse des dépôts. Il s'agissait d'un accord avec Bercy auquel je ne suis donc pas formellement partie prenante même si je m'y associe, et je le dis clairement : je souhaite que cet accord soit reconduit.

En ce qui concerne le shadow banking, qui préoccupe notamment M. Hetzel et Mme Dalloz, les montants en jeu, qui ont été mesurés pour la première fois, se situent entre 70 000 et 80 000 milliards de dollars à l'échelle mondiale, ce qui est en effet considérable, mais recouvre une multiplicité de réalités.

Une grande partie de ces fonds de placement ou de ces fonds d'investissement sont fort utiles à l'économie et contribuent à financer entre autres la création d'entreprises. Nous avons en France, avec Amundi, le premier gestionnaire d'actifs d'Europe, ce qui est un atout ; or, formellement, c'est du shadow banking. Il ne faut donc pas condamner globalement ces pratiques mais en surveiller les risques. Le principal d'entre eux n'est pas un risque en capital car, contrairement aux banques qui portent le risque et préservent vos dépôts en cas d'accident, les gestionnaires d'actifs ne garantissent pas la valeur de votre épargne : lorsque vous achetez une part d'un fonds, vous endossez le risque de ses placements et, si la valeur des contreparties baisse, votre part baissera. En revanche, il existe un risque de liquidité car si la valeur des entreprises ou des marchés baisse, il se peut que tout le monde veuille vendre ses parts en même temps, provoquant alors un phénomène négatif de boule de neige. La priorité est donc de conduire des stress tests, en d'autres termes, des tests de résistance de liquidité en cas de fortes tensions sur les marchés.

C'est l'une des avancées à laquelle nous sommes parvenus en 2016 dans le cadre du Conseil de stabilité financière présidé par mon collègue de la Banque d'Angleterre, Mark Carney. Reste qu'il ne suffit pas d'un communiqué, repris par le G20 de Hambourg, mais que ces stress tests doivent réellement être mis en oeuvre. J'ajoute qu'ils doivent pouvoir être conduits, y compris aux États-Unis, avant la fin de 2018.

Monsieur Mattei, vous m'avez interrogé sur l'engagement concret des banques au côté des PME et des entreprises. Je ne pense pas que la cotation soit un handicap pour les entreprises qui démarrent. Si vous connaissez néanmoins des cas concrets dans votre circonscription, il faut que vous les examiniez avec le directeur départemental de la Banque de France. Il me semble au contraire que la cotation est un atout pour des entreprises qui ne sont pas très connues. En effet, face à votre banquier, vous n'en n'avez pas besoin, car il vous connaît ; mais si vous voulez diversifier votre financement, notamment au travers des plateformes de financement participatif, la cotation est un réel atout car, depuis les lois votées ces deux dernières années, elle est accessible aux financeurs alternatifs. J'entends d'ailleurs de moins en moins de plaintes au sujet de la cotation, désormais reconnue comme un facteur de diversification potentielle du financement. Et j'ajoute qu'elle est considérée par d'autres pays de la zone euro comme l'une des bonnes pratiques françaises.

Vous avez par ailleurs évoqué la question du financement du besoin en fonds de roulement et, plus largement, de l'investissement immatériel des entreprises. Je partage votre préoccupation à ce sujet, comme je l'avais noté il y a deux ans dans mon rapport sur le financement des entreprises. Les banques financent certes l'investissement immatériel mais moins volontiers que l'investissement matériel, sur lequel elles peuvent prendre une garantie. Dans ce dernier domaine d'ailleurs, la compétition est extrêmement forte, avec pour résultat des conditions de financement qui n'ont jamais été aussi favorables.

Pour en revenir à l'investissement immatériel, il y a la BPI, qui fait des prêts de développement à sept ans, avec différé d'amortissement et sans garantie, sachant qu'il est normal qu'un prêt de ce type, qui est plus risqué, soit plus cher, et il faut donc accepter de payer davantage. Reste que, sans pouvoir me substituer à elles, je souhaite que les banques développent plus largement leurs outils de financement de l'investissement immatériel – elles sont d'ailleurs en train de le faire.

Madame Pires Beaune, je vous remercie d'avoir porté notre attention sur l'indice de Gini. Je suis parfaitement d'accord avec vos propos, même si cet indice n'est pas le seul thermomètre de l'économie française. Si nous avions par hypothèse un taux d'inégalité très bas, mais également un taux de croissance très faible et un niveau de chômage très élevé, notre bulletin de santé serait mauvais.

Reste que, dans le débat sur les inégalités qui est de plus en plus prégnant dans le monde anglo-saxon depuis un an pour des raisons évidentes, l'Europe à quelque chose à dire, qu'elle devrait dire plus fort. Je l'affirme avec toute ma conviction, qui n'est pas dictée par la seule technicité : le modèle européen existe – avec les nuances que vous avez soulevées, monsieur le président. C'est davantage de services publics, davantage de redistribution fiscale et sociale et davantage de dialogue social. Et la bonne nouvelle, c'est que ce modèle est compatible avec le succès économique, pour peu qu'on en adapte les modalités à la croissance. Beaucoup de nos voisins du Nord comme du Sud nous le prouvent : les réformes fonctionnent et ne nous obligent pas à renoncer à ce modèle social. L'Europe doit donc faire entendre sa voix sur la scène internationale pour faire savoir que la réponse aux inégalités, ce n'est pas le protectionnisme, ce n'est pas la dérèglementation financière, ce ne sont pas les baisses d'impôts massives pour les plus favorisés – et je ne vise personne…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.