Intervention de médecin général des armées Maryline Gygax Généro

Réunion du mercredi 17 janvier 2018 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

médecin général des armées Maryline Gygax Généro, directrice centrale du service de santé des armées :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour votre invitation. C'est un grand honneur pour moi de présenter le service de santé des armées pour la première fois devant cette commission, quelques mois à peine après ma prise de fonctions. J'introduirai mon propos par quelques considérations générales sur le service de santé des armées, que je suis extrêmement honorée de diriger.

Le SSA est essentiel à la stratégie militaire de la France, selon trois axes : il est générateur de puissance en assurant le maintien des effectifs, l'économie des moyens et en protégeant le moral des troupes ; il contribue ensuite à la liberté d'action par la maîtrise de l'environnement et l'évacuation des blessés ; enfin, il participe fortement à la sûreté dynamique en évaluant la menace sanitaire, et en établissant les contre-mesures médicales. Il participe clairement aux cinq fonctions stratégiques confirmées dans la revue stratégique de défense et de sécurité nationale présentée au président de la République en novembre 2017 : la protection, avec le développement actuel d'une capacité permanente de sécurité sanitaire ; la dissuasion, à travers sa contribution au domaine nucléaire et radiologique ; l'intervention, à travers le soutien santé opérationnel ; la connaissance et l'anticipation, à travers la prospective en santé identifiant notamment les risques émergents ; enfin, la prévention, à travers sa participation à l'approche globale des conflits.

La France est ainsi, avec les États-Unis, l'une des rares nations occidentales actuellement en mesure de déployer une chaîne santé complète et autonome sur un théâtre d'opérations. Cette faculté concourt à la conservation de sa pleine autonomie stratégique et permet de décider d'« entrer en premier » sur un théâtre d'opérations, comme ce fut le cas au Mali en 2013, puis en Centrafrique en 2014. Le SSA apparaît ainsi comme un acteur déterminant de l'engagement opérationnel des forces. Le SSA français a cette particularité d'être engagé aux côtés des soldats, parmi les soldats, au plus près des combats sur les théâtres d'opérations et d'être exposé aux mêmes dangers. Il en paie parfois le prix. Si notre formation et notre métier nous placent au carrefour des mondes de la santé et de la défense, nous sommes avant tout des soignants militaires, voire des militaires soignants.

Comme vous le savez, le service est engagé depuis quelques années dans une profonde transformation. Celle-ci a débuté dans le cadre de la loi de programmation militaire en cours et se prolongera avec la prochaine, en phase d'élaboration. La période actuelle est donc cruciale pour le service de santé des armées et ses missions. C'est la raison pour laquelle, je vais d'abord, si vous me le permettez, vous présenter ce service et ses missions, avant de vous dresser un point de situation de la réorganisation débutée en 2015 et de vous livrer mon analyse des défis qu'il nous faut relever.

Pour commencer par une rapide présentation globale, j'indique que le SSA est un service interarmées, placé sous l'autorité du chef d'état-major des armées pour ce qui concerne l'emploi de ses moyens au profit des forces et sous celle de la ministre des Armées pour ce qui relève de sa participation au système national de santé. Il est formé de 15 500 personnes, dont 70 % de militaires et 60 % de personnels féminins, auxquelles il faut ajouter près de 3 000 réservistes. Sa mission première est d'assurer le soutien médical opérationnel des armées et de la gendarmerie nationale en tout temps, en tous lieux, et en toutes circonstances. Cela signifie que le SSA soutient les activités des forces armées pendant les opérations intérieures ou extérieures, en tous milieux particuliers – dans le froid, le chaud, en montagne, en forêt, dans le désert, en milieu aéronautique, en mer et sous la mer – ou encore dans des contextes sécuritaires difficiles. Cette mission régalienne constitue la raison d'être du SSA. Elle fonde son dimensionnement et son organisation. Cette mission implique d'apporter à tout militaire exposé à un risque lié à son engagement opérationnel, un soutien santé lui garantissant la prévention la plus efficace ainsi que la meilleure qualité de prise en charge en cas de blessure ou de maladie, afin de préserver ses chances de survie et, le cas échéant, de moindres séquelles tant physiques que psychologiques. Elle se traduit par le déploiement d'une chaîne médicale complète et autonome qui assure la prise en charge optimale et continue des militaires blessés depuis le lieu de survenue de la blessure, jusqu'à leur réhabilitation complète, sur le territoire national, dans un hôpital d'instruction des armées (HIA).

Des délais cliniques contraignants conditionnent les modalités d'organisation de cette prise en charge. Dans les dix premières minutes suivant la blessure, pendant lesquelles se joue sa survie, le blessé doit bénéficier des premiers soins prodigués par lui-même ou ses camarades de combat. Pour cela, chaque soldat est formé au sauvetage au combat, mis au point et enseigné par le SSA. Dans la première heure suivant la blessure, le blessé doit avoir accès à des soins médicaux en complément des actes de sauvetage au combat. Et avant la fin de la deuxième heure, le blessé doit pouvoir bénéficier d'une prise en charge chirurgicale de sauvetage pour le stabiliser avant évacuation et limiter les séquelles. Pour atteindre ces objectifs, le soutien médical des opérations repose actuellement sur un concept français, basé sur trois grands principes : la médicalisation de l'avant, la réanimation et la chirurgicalisation de l'avant, ainsi que l'évacuation médicale systématique et précoce vers un hôpital d'instruction des armées, par voie aérienne dans la majorité des cas, pour le traitement définitif. La chaîne santé opérationnelle est ainsi organisée en quatre niveaux de prise en charge qu'on appelle les « rôles », délivrant des soins de plus en plus spécialisés. La relève et les soins d'urgence et de réanimation – médicalisation de l'avant – sont réalisés au niveau des postes médicaux, ou « rôles 1 », des unités de combat par nos médecins des forces – c'est-à-dire nos médecins de premier recours –, nos infirmiers et nos auxiliaires sanitaires, formés à la prise en charge de blessés polytraumatisés en situation d'isolement et en milieu hostile. Le triage médico-chirurgical et le traitement des extrêmes urgences sont effectués par des anesthésistes réanimateurs et des chirurgiens dans des antennes chirurgicales légères, ou « rôles 2 », placées au plus près des unités de combat et vers lesquels les blessés sont évacués généralement par hélicoptère. C'est ce qu'on appelle l'évacuation tactique sur le théâtre. Un traitement plus spécialisé des blessés peut intervenir au sein des hôpitaux médico-chirurgicaux, ou « rôle 3 », sur le théâtre d'opérations. Enfin, le traitement définitif des blessés est réalisé sur le territoire national dans les HIA, ou « rôle 4 », vers lesquels les blessés ont été évacués par voie aérienne le plus souvent. C'est ce que nous appelons les évacuations stratégiques. Actuellement, les blessés sont essentiellement évacués vers les HIA d'Île-de-France, HIA Percy et HIA Bégin.

La mission du SSA s'entend également avant cette phase opérationnelle, d'une part par la sélection des candidats à l'exercice du métier de militaire, le nombre des candidats étant par essence supérieur au nombre de militaires recrutés, ensuite par le contrôle tout au long de leur carrière de l'adéquation entre leur état de santé et leur fonction ou leur mission – leur aptitude médicale –, et enfin par leur mise en condition avant projection sur les théâtres d'opération. Cette mise en condition correspond aux vaccinations, aux mesures de prophylaxie, à l'éducation sanitaire propre à la zone de déploiement, etc. Toute cette gamme d'activités implique dès ce stade une parfaite connaissance des conditions d'emploi des militaires, ainsi que des spécificités liées au milieu dans lequel se dérouleront les missions. Ceci impose et ne peut naître que d'une grande proximité entre le SSA et chacune des armées ou de la gendarmerie nationale. Cette mission s'entend aussi après le désengagement, tout au long du parcours des militaires dans l'institution, dans le cadre du contrôle périodique et du suivi de leur état de santé, et, lorsqu'ils ont malheureusement été blessés, par leur prise en charge lors des différentes étapes qui ponctuent le long parcours de réadaptation, de réhabilitation et de réinsertion des blessés de guerre. Elle implique enfin la prise en compte, à tous les stades que je viens d'évoquer, de la menace nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC), toujours d'actualité.

Au total, le SSA assume un rôle essentiel au sein des armées, en soutien médical des femmes et des hommes qui défendent les intérêts de la France et qui parfois gardent dans leurs chairs les marques indélébiles de leur engagement. Lorsqu'ils sont déployés en opérations, ces femmes et ces hommes n'ont, Mesdames et Messieurs les députés, que le SSA pour leur assurer une prise en charge optimale en cas de blessure ou de maladie. Pour être complète, j'ajouterai qu'au quotidien, le SSA participe également à la politique de santé publique et à l'offre de soins à travers ses établissements. Cette activité est nécessaire pour le maintien et le développement des compétences de ses professionnels de santé. Elle participe au budget du service à hauteur d'environ 390 millions d'euros sur le total annuel de 1,326 milliard d'euros.

Après cette présentation globale, je voudrais maintenant présenter les spécificités du SSA et ses caractéristiques intrinsèques qui en font un acteur si unique en France et même à l'international. Les savoir-faire du SSA sont la résultante de 300 ans d'histoire, au cours desquels il n'a eu de cesse de s'adapter aux évolutions de son environnement et aux conditions d'engagement opérationnel. Ils résultent d'aptitudes particulières, d'une expertise acquise sur les théâtres d'opérations et se concrétisent sous la forme de capacités, pour employer un terme militaire.

Quelles sont ces aptitudes particulières ? Elles sont au nombre de cinq, dont la combinaison au niveau d'une même entité est unique en France.

En premier lieu, l'aptitude à exercer en milieu hostile, que ce milieu soit lié aux conditions de combat, ce qui constitue une spécificité, ou aux conditions d'isolement, en forêt guyanaise, dans le désert malien ou sur un bâtiment de la marine. La rusticité et la robustesse qui caractérisent cette aptitude sont portées par la fraternité d'armes qui oblige, c'est-à-dire la volonté de participer aux côtés de ses camarades, quels que soient les risques.

Deuxièmement, l'aptitude à s'adapter et à réagir, qui permet de changer facilement de posture et de mobiliser, sur court préavis, des équipes constituées et entraînées, comme on a pu le voir pour les attentats auxquels vous faisiez allusion, Monsieur le président, ou lors de l'ouragan Irma pour le soutien des forces. Cette réactivité s'exerce notamment au travers du dispositif santé de veille opérationnelle, qui comporte plusieurs niveaux d'alerte et de montée en puissance. Près de 3 000 personnels du SSA sont ainsi inscrits dans ce dispositif de veille chaque année.

Une troisième aptitude concerne l'aptitude à gérer les flux médicaux, qu'il s'agisse de flux de blessés, de flux de forces médicales projetées avec leur environnement, que nous appelons le soutien logistique santé intégré, ou de flux d'informations grâce à notre système de veille.

Quatrième élément, l'aptitude à organiser et commander, qui nous amène à savoir planifier, concevoir, commander et conduire nos actions. Le pivot en est l'état-major opérationnel santé (EMO Santé), intégré au pôle opérationnel de l'état-major des armées. Il a la possibilité de puiser dans des viviers de personnels constitués pour les projeter dans le délai souhaité, y compris très court – nous projetons parfois des neurochirurgiens dans un délai de trois heures –, et dirige en permanence l'échelon opératif placé en opérations extérieures, outre-mer ou en métropole.

Enfin, la cinquième aptitude consiste à savoir conceptualiser notre action, de l'emploi à la doctrine, sans laquelle rien ne serait possible. Elle permet de se doter de procédures et de cadre d'emploi. Elle régit nos activités opérationnelles. Elle se nourrit de l'analyse permanente des expériences en opérations, de l'expertise acquise par les travaux de recherche ou de développement et par la veille scientifique et technique. Elle garantit l'emploi de moyens adaptés à la situation par des équipes médicales correctement formées et présentes au bon endroit, au bon moment.

La détention de ces cinq aptitudes potentialise des expertises reconnues, acquises sur les théâtres d'opérations, et qui ne sont pas dissociables de la pratique ni de la recherche. Je citerai notamment le traumatisme de guerre, par le développement d'approches visant à assurer la survie sans chercher à apporter immédiatement une réponse thérapeutique définitive, qu'il s'agisse de sauvetage au combat ou de damage control. Cette expertise repose sur l'analyse régulière de situations opérationnelles, des travaux de recherche clinique, le développement de matériels originaux et de techniques de réparation tissulaire, de réadaptation ou d'appareillage. Elle vise à une approche globale du blessé, associant l'ensemble des acteurs – soignants, armées, familles, associations… – autour de lui, et dans un souci de prise en compte de la blessure physique et psychique. Le SSA détient également une expertise dans le diagnostic et le traitement des pathologies liées aux agents NRC, pour lesquelles il entretient des moyens dédiés au niveau de l'institut de recherche biomédical des armées (IRBA), du service de protection radiologique des armées (SPRA) et des HIA, par exemple l'HIA Percy. Dans ce domaine le SSA s'inscrit dans des réseaux d'experts internationaux, reconnus notamment par l'organisation mondiale de la santé (OMS), participe à l'analyse des risques sur le terrain, met au point des contre-mesures médicales et participe à la conception et l'organisation des plans de défense et de sécurité de l'État. Troisième expertise, la démarche intégrée en infectiologie, recouvrant l'ensemble des aspects de ce domaine, qu'il s'agisse d'études, de développement de travaux spécifiques, de prévention, de surveillance, de diagnostic, de prise en charge, ou de formation, pour son application permanente au profit des forces. Dernière expertise : l'expertise dans le domaine environnemental, alimentée par la veille prospective, pour l'hygiène en campagne ou la lutte anti-vectorielle. Elle est assurée en particulier par nos vétérinaires, qui disposent d'une expertise tout terrain dans la sécurité de l'eau et de l'alimentation.

La conjonction de ces aptitudes et de ces expertises aboutit à la constitution de véritables capacités, mises en oeuvre au profit des forces armées. Elles reposent sur une organisation spécifique, du personnel formé et rompu à la pratique de la médecine de guerre, ainsi que des équipements qu'on appelle les unités médicales opérationnelles, qui apportent à ce personnel l'environnement et les moyens d'assurer leur mission.

Les capacités ainsi offertes sont une capacité d'offre de soins, regroupant la médecine des forces au niveau des centres médicaux des armées, et des capacités médico-chirurgicales au sein des hôpitaux d'instruction des armées ; une capacité de médicalisation des vecteurs d'évacuation (terrestres, aériens et maritimes) mis à disposition par les armées ; en complément, une capacité d'approvisionnement en produits de santé qui implique de constituer et d'entretenir, dès le temps de paix, tous les produits pharmaceutiques, équipements médico-chirugicaux et produits sanguins labiles nécessaires au soutien des forces en France et en opérations, avec des équipes prêtes à conditionner et à distribuer ces produits à tout moment ; par ailleurs, une capacité d'ingénierie de formations et d'entraînements opérationnels spécifiques (au niveau du centre de formation opérationnelle santé, ou des quatre centres d'enseignement et de simulation à la médecine opérationnelle) ; et enfin, une capacité de recherche biomédicale de défense, pour développer et améliorer sans cesser les réponses apportées par le service aux besoins « santé » de la défense. Les cinq capacités que je viens d'énoncer recouvrent les cinq composantes du SSA. Elles forment un ensemble cohérent et indissociable indispensable à la mission régalienne du service.

J'en viens maintenant à la seconde grande mission du SSA, en tant qu'acteur de la résilience de la Nation, qui prend toute sa dimension lors de la survenue de situations sanitaires exceptionnelles. De tout temps, les capacités et le savoir-faire détenus par le SSA l'ont conduit à venir renforcer les acteurs civils de la gestion de crise. C'est à ce titre que le SSA a apporté une large contribution, en 2014, à la politique nationale de lutte contre l'épidémie de maladie à virus Ebola, en appui du ministère des Affaires étrangères et du ministère en charge de la Santé. Cet appui, je le rappelle rapidement, s'est notamment concrétisé par le déploiement, en Guinée, dans un délai court d'un centre de traitement des soignants (opération Tamarin) et par la prise en charge en France, et avec succès, par l'HIA Bégin, des deux seuls patients infectés rapatriés sur le territoire national. Plus proche de nous, en 2015, comme vous l'avez rappelé, Monsieur le président, les deux hôpitaux de l'ensemble hospitalier militaire nord (Percy et Bégin) ont appuyé le service public de santé lors des terribles attentats qui ont marqué la capitale, en prenant en charge dans la nuit du 13 novembre, 52 blessés, dont 18 urgences absolues sur les 98 qui ont été dénombrées dans les hôpitaux franciliens. Ces réponses du SSA ont été rendues possibles dans ces circonstances variées grâce à l'action d'ensemble et coordonnée des cinq composantes du service. Ces événements ont démontré que le SSA pouvait être amené, dans certaines circonstances, à agir non pas seulement en ultime recours dans les cas où les moyens civils similaires sont inexistants, indisponibles, insuffisants ou inadaptés – c'est ce que nous appelons la règle des « 4i » –, mais en primo intervenant. Cette évolution vient d'être introduite dans la doctrine d'engagement des armées sur le territoire national sous la forme du concept de capacité permanente de réponse sanitaire. Cette contribution s'entend en complémentarité des acteurs civils en charge de la réponse et principalement lors de la réponse initiale – effet « starter » –, pour permettre ensuite au SSA de se régénérer rapidement et sans fragiliser sa capacité à remplir sa mission prioritaire de soutien des forces.

Ce qu'il faut retenir au final, c'est la possibilité pour le service de santé des armées d'utiliser les capacités détenues dans le cadre de sa mission première au profit des armées, pour venir en renfort des acteurs civils de la gestion de crise et ainsi contribuer à la résilience de la Nation. Cette mission ne fonde cependant pas son dimensionnement et son organisation, et doit s'effectuer sans fragiliser sa capacité à assurer sa mission première.

J'en viens maintenant à la transformation ambitieuse dans laquelle le SSA s'est engagé en 2015. Je vais tout d'abord en rappeler très brièvement les raisons, puis vous en présenter les objectifs et les grands principes, avant d'en dresser un bilan à mi-parcours. Les raisons de la profonde réorganisation du SSA sont multifactorielles. Elles procèdent tout d'abord du positionnement particulier du SSA, au carrefour des mondes de la santé et de la défense. Face à des contraintes tenant aux évolutions majeures du contexte de la défense et à la transformation rapide du monde de la santé, le SSA restait construit sur des bases historiques qui devenaient inapplicables même avec les adaptations progressives qui avaient été mises en place. La situation était devenue intenable. Il s'agissait donc de repenser le SSA dans son ensemble en passant d'une logique d'adaptation à une logique de réforme de son modèle, pour lui permettre de continuer à assumer pleinement et de façon soutenable sa mission fondamentale de soutien santé des forces armées, en répondant à ces différentes contraintes, tout en garantissant le fonctionnement de ses établissements, la qualité de la prise en charge des patients et la condition de son personnel.

Le SSA a ainsi amorcé en 2015 une transformation majeure à travers un nouveau modèle nommé « SSA 2020 », qui a réinterrogé ses missions, son organisation et tout son fonctionnement. Ce modèle repose sur trois principes fondamentaux : la concentration, l'ouverture et la simplification.

La concentration vise à recentrer les activités du service sur le besoin actuel et à venir des forces armées, et à densifier ses équipes et ses structures pour leur permettre de mieux résister à la sujétion opérationnelle qui pèse sur elles. La concentration du SSA se fait sur son coeur de métier, sur ses compétences essentielles au soutien santé des forces armées, pour optimiser l'utilisation de ses propres ressources.

L'ouverture est le corollaire indissociable de la concentration. Elle a pour objectif de rompre avec l'isolement historique du SSA, notamment dans les territoires de santé, pour s'inclure dans la réforme des parcours de soins et ainsi garantir un seuil d'activités indispensable au maintien des compétences. Elle vise à un nouveau positionnement du SSA dans l'offre de soins nationale, avec un triple objectif : être un acteur à part entière de la santé publique, connu et reconnu, au quotidien comme en cas de crise ; être au coeur des réseaux et nouer des partenariats étroits ; et enfin jouer un rôle expert dans la communauté de santé afin de contribuer à préparer le système national de santé à participer à l'effort de défense. Cette ouverture s'entend à l'interministériel, en particulier au système public de santé, comme je viens de le mentionner, mais aussi à l'international, pour obtenir de nouvelles ressources et des appuis pérennes.

Enfin, la simplification, vise à réformer la gouvernance, simplifier les organisations, alléger les échelons de commandement et fluidifier les flux d'information, tout en générant des économies de fonctionnement. Elle vise à responsabiliser les acteurs au moyen de délégations élargies et à développer les interactions directes entre les composantes du service pour en renforcer les synergies.

Aujourd'hui, en 2018, le SSA a accompli un peu plus de la moitié du chemin dans la mise en oeuvre du modèle « SSA 2020 ». Je voudrais faire en premier lieu un inventaire des avancées réalisées. Le chemin parcouru au cours des dernières années est conséquent.

Je souhaiterais tout d'abord souligner la qualité des actions engagées depuis cinq ans dans le cadre de la transformation du service et par là-même le travail considérable mené par mon prédécesseur, le médecin général des armées Debonne. Il a impulsé le mouvement de transformation du service alors même qu'il constituait un changement de paradigme, presque une révolution. La cohésion, l'agilité et la réactivité du service n'ont pas été mises en défaut, malgré les difficultés en effectifs, ni sur le territoire national ni en opérations extérieures, même si l'effort à fournir pour y parvenir est de plus en plus important. Le blessé de guerre a bien été placé au coeur du projet médical du SSA et les nombreuses innovations réalisées ces dernières années lui sont destinées, à toutes les étapes de sa prise en charge. Concernant la phase initiale, sur le théâtre d'opérations, il faut mentionner la préparation des intervenants, grandement améliorée par la généralisation d'une formation graduée au secourisme au combat de trois niveaux 1 à 3, et par la participation des centres médicaux des armées (CMA) aux structures d'urgence hospitalières et pré-hospitalières de leurs territoires, dans le cadre du perfectionnement des médecins des forces dans la prise en charge des urgences. La conception puis la mise en oeuvre en opérations du « module de chirurgie vitale » ont également permis de rapprocher le chirurgien du blessé quel que soit le mode de déploiement des forces. Sur le territoire national, les hôpitaux ont mis l'accent sur la prise en charge des syndromes de stress post-traumatique, sur l'accueil de l'entourage des blessés – la Maison des blessés et des familles de l'HIA Percy fonctionne bien et rend de très grands services –, ainsi que sur des projets de recherche clinique dédiés à l'étude du choc septique et des infections.

S'agissant de la longue phase de reconstruction des blessés, une approche intégrée en réseaux a été mise en place. Chaque HIA, y compris les ensembles hospitaliers civils et militaires (EHCM), comporte un pôle de réhabilitation physique et psychique, en lien avec les CMA, afin d'améliorer la proximité des prises en charge lorsque le blessé peut rentrer à son domicile. Le SSA a élaboré avec l'Institution nationale des Invalides (INI) un projet médical commun, qui doit être mis en oeuvre d'ici 2020, et qui renforce la phase post-aiguë de la prise en charge des blessés de guerre et des victimes d'attentats. Le SSA a également renforcé ses liens avec les cellules des blessés et les associations, et soutient des événements tels que les Rencontres militaires « blessure et sport ».

Un effort d'investissement conséquent a été réalisé pour le renouvellement des matériels opérationnels, stabilisant celui-ci à environ huit millions d'euros par an contre cinq millions d'euros avant 2013.

Un effort particulier a également été porté sur la prise en compte du risque NRBC, avec, depuis quatre ans, une actualisation de nos capacités en matière de prise en charge médicale de ce type de victimes. Par ailleurs le SSA a fait du site de Percy une référence mondiale du traitement des irradiés grâce à son expertise en matière de réparation tissulaire (thérapie cellulaire), reconnue par l'Agence internationale pour l'énergie atomique. Enfin, la prise en charge des victimes d'agents NRBC constitue un axe prioritaire de la fonction recherche.

Une division des opérations a été créée, actuellement en préfiguration au niveau de la direction centrale, chargée de structurer et coordonner la réponse opérationnelle du SSA, et d'animer un réseau de responsables des opérations mis en place au niveau de chaque entité du service.

Le remodelage de l'offre de soins hospitalière militaire est en bonne voie, quasiment achevé. En application du principe de concentration, des activités sans lien avec la mission opérationnelle comme la radiothérapie, la néphrologie, la dialyse, ont été progressivement transférées au milieu civil et des partenariats forts sont en cours de mise en oeuvre au sein des quatre EHCM. Inversement, des activités à forte valence opérationnelle ont été densifiées au niveau des ensembles hospitaliers militaires (EHM). Deux HIA (Percy à Clamart et Sainte-Anne à Toulon) ont été labellisés « trauma center » de niveau 1 par les agences régionales de santé (ARS) qui reconnaissent ainsi leur aptitude à prendre en charge les blessés les plus graves. Les HIA Bégin à Saint Mandé et Laveran à Marseille sont des pôles de référence en infectiologie.

Le dispositif de formation du SSA a été recentré sur la finalité opérationnelle, en se reposant sur le ministère de l'Enseignement supérieur pour assurer l'intégralité du volet universitaire des cursus de formation initiale médicale et, depuis 2016, paramédicale au profit du personnel soignant du SSA. Les établissements de formation du service se concentrent désormais sur la préparation opérationnelle des professionnels de santé militaires.

Le SSA a su conserver une image d'excellence tant au sein de la défense qu'auprès des acteurs extérieurs, qu'il s'agisse de l'opinion publique après les attentats ou des armées étrangères notamment. Les expertises du service sont appréciées et désormais réclamées en interministériel – citons les contre-mesures COP 21 grâce aux productions de la pharmacie centrale des armées, les formations NRBC ou au damage control demandées par les autorités civiles pour la préparation de l'Euro de football et au-delà, la conception et la production de kits de prise en charge de victimes d'attentats, pour ne citer que quelques exemples.

Dans le cadre de la politique d'ouverture, le SSA est désormais connu et reconnu dans les instances dirigeantes de la santé, qu'il s'agisse du ministère, des ARS, des centres hospitaliers régionaux universitaires (CHRU), des fédérations hospitalières, etc. Il est pris en compte dans les textes législatifs et réglementaires de la santé : la loi du 26 janvier 2016 comme la future ordonnance SSA-INI, dont la parution est imminente. Les éléments du SSA, en particulier les HIA, sont désormais pleinement inscrits dans les territoires de santé au travers de la création des EHCM, mais aussi de leur association aux groupements hospitaliers de territoires (GHT) et aux travaux des ARS, par exemple pour les futurs plans régionaux de santé (PRS) en discussion, y compris pour les EHM. La présence des éléments du SSA est largement souhaitée pour répondre aux besoins des territoires : les HIA notamment, mais aussi les CMA dès qu'ils seront en mesure de répondre aux sollicitations.

Par ailleurs, le SSA a renforcé ou développé de nombreux partenariats avec les acteurs de la santé, en valorisant les produits du ravitaillement sanitaire, en concluant des accords avec la recherche civile, des facultés de médecine ou l'École des hautes études de santé publique (EHESP), en améliorant l'accès des internes et infirmiers civils aux HIA, et en signant des accords-cadres avec des ARS, ou des conventions avec plusieurs partenaires hospitaliers ou des fédérations hospitalières.

La signature par les deux ministres, du protocole interministériel santé-défense en avril 2017 a consacré au plus haut niveau la place du SSA dans le système de santé français au titre de ses savoir-faire spécifiques et du soutien qu'il peut apporter à la santé publique sur certains créneaux, notamment en termes de préparation et de gestion de crises. De son côté, la santé publique porte un nouveau regard, inédit, sur les besoins de santé de défense et s'approprie une authentique mission de défense visant à appuyer les organismes du SSA dans le cadre de leur mission de soutien des forces.

Vous le voyez, de nombreuses actions ont donc été menées, des avancées significatives ont été obtenues mais il reste encore du chemin à parcourir. J'en arrive maintenant à la dernière partie de mon intervention et je vais tenter de livrer mon analyse des difficultés rencontrées et des défis qu'il nous faut relever.

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