Intervention de Antoine Petit

Réunion du mardi 16 janvier 2018 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Antoine Petit :

Monsieur le président, comme vous avez presque tout dit de mon parcours, je le présenterai brièvement avant de vous exposer plus en détail mes intentions pour le CNRS.

Pendant une vingtaine d'années, j'ai eu une carrière classique d'enseignant-chercheur. Je suis aujourd'hui professeur des universités de classe exceptionnelle à l'École normale supérieure de Cachan, devenue Paris-Saclay, comme vous le savez.

C'est à partir de 2002 que mes activités se sont orientées vers la définition et la mise en oeuvre de politiques scientifiques, tout d'abord au sein du ministère de la recherche pendant les deux années où j'ai été chargé, à la direction de la recherche, du secteur des mathématiques et des sciences et technologies de l'information et de la communication (STIC). En 2004, j'ai rejoint le CNRS où j'ai été successivement directeur du département des STIC puis directeur interrégional pour la région Sud-Ouest. En 2006, je suis entré à l'INRIA où j'ai occupé successivement les postes de directeur du centre de recherche Paris-Rocquencourt, puis de directeur général adjoint à partir de 2010, enfin de président-directeur général depuis octobre 2014.

En tant que président, je mets en oeuvre une stratégie qui peut se résumer par le slogan suivant : « L'excellence scientifique au service du transfert technologique et de la société ». Il est important de rappeler que cette excellence scientifique est la base de tout. Elle se traduit d'abord par une attractivité très forte au niveau international : plus de la moitié des chercheurs recrutés chaque année par l'INRIA ne sont pas français ; près de cent nationalités sont présentes dans nos équipes-projet. Elle se traduit aussi par des résultats tout à fait exceptionnels à l'European Research Council (ERC). Cette même excellence scientifique nous a permis de construire de nouveaux partenariats stratégiques avec des grands groupes étrangers comme Fujitstu, Samsung ou Facebook, mais aussi des groupes français comme Orange et Safran. Elle nous a par ailleurs conduits à doubler le nombre de start-up créées chaque année à partir des travaux de l'INRIA.

Nous avons également beaucoup investi dans des actions d'aide, de conseil et d'expertise. Je pense en particulier à la plateforme Software Heritage, que nous avons coutume d'appeler la « bibliothèque d'Alexandrie du logiciel » ou encore la plateforme TransAlgo, qui repose sur la transparence des algorithmes.

Bien sûr, j'ai à coeur de consacrer du temps et de l'énergie à la vie interne de l'établissement INRIA.

En résumé, ce parcours riche et varié m'a donné une bonne connaissance des milieux académiques, institutionnels, industriels et internationaux dans lesquels le CNRS évolue. La gestion administrative et scientifique d'un grand organisme de recherche a été une expérience très enrichissante.

J'en viens à la présentation de mes propositions pour le CNRS.

Le CNRS évolue dans le paysage complexe de l'enseignement supérieur et de la recherche français que le terme de « mikado institutionnel » définit assez bien. Nous n'avons pas d'autres choix que de faire avec. L'enjeu se situe en effet à un autre niveau. La question est de savoir quelle place la France veut occuper sur la scène internationale à une époque où la science est ou doit être le moteur d'une société de progrès. Notre très forte tradition scientifique donne à notre pays tous les atouts pour ambitionner une place de choix. À cet égard, le rôle du CNRS est essentiel. Sa vision globale et son spectre disciplinaire en font un acteur unique. Le CNRS est le vaisseau amiral de la recherche française. Il doit avoir l'ambition de conforter cette place en développant encore davantage de partenariats avec l'ensemble des acteurs, en veillant à chaque fois à la valeur ajoutée de chacune des actions auxquelles il participe.

Ma candidature s'appuie sur ces convictions fortes. Elle se situe dans la continuité de l'action menée par Alain Fuchs et ses équipes durant huit ans. Cette volonté de continuité s'accompagne toutefois d'une volonté tout aussi forte de prendre en compte les évolutions des contextes nationaux, européens et internationaux dans lesquels le CNRS s'inscrit aujourd'hui, comme des attentes dont il est l'objet.

Le CNRS doit agir en organisme national à travers une politique globale unique, et non pas comme une fédération d'instituts plus ou moins autonomes travaillant en silo. Il doit cependant tenir compte des spécificités de chaque grand champ disciplinaire et cette politique globale unique ne se déclinera pas nécessairement de la même manière selon les instituts.

Dans ce cadre général, j'ai proposé dans ma lettre d'intention six priorités dont je vais vous présenter les grandes lignes.

La première est de soutenir dans tous les domaines une recherche fondamentale au meilleur niveau mondial.

Comme leur nom l'indique, les recherches fondamentales forment le socle sur lequel repose à peu près tout : les succès scientifiques, bien sûr, mais aussi la capacité à conduire une politique de transfert et de partenariats industriels et à éclairer la société et les décideurs. Ainsi le CNRS doit-il mener de telles recherches dans tous les champs disciplinaires qu'il a l'ambition de couvrir.

Il convient de veiller à ce que ce soit des recherches à risques et à fort impact potentiel. La science doit toujours se préoccuper de son impact, qu'il soit social, économique ou industriel. Pour autant, cet impact n'est pas toujours immédiat, il l'est même rarement, la science s'inscrivant le plus souvent dans le temps long.

Il me semble important que le CNRS soit sélectif et ambitieux dans le choix de ses sujets de recherche et qu'il cherche à chaque fois à se positionner au meilleur niveau mondial. Il convient de veiller au renouvellement des sujets de recherche, en particulier dans une période de stabilité et a fortiori de diminution des effectifs.

Deuxième priorité : promouvoir l'interdisciplinarité, en particulier autour des grands problèmes de société.

Le CNRS est le seul organisme de recherche qui abrite en son sein des chercheurs et des équipes de quasiment tous les grands champs disciplinaires. Il devrait être à ce titre le champion de l'interdisciplinarité. Or, force est de constater que ce n'est pas tout à fait le cas même si de gros progrès ont été réalisés grâce à la mise en place, en 2010, de la mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires, à l'initiative d'Alain Fuchs. Le développement de la pluridisciplinarité passera aussi par des actions communes avec les autres organismes de recherche et impliquera universités et écoles. Enfin, et peut-être surtout, je crois beaucoup à une interdisciplinarité de terrain qui consiste à réunir pour une durée déterminée des chercheurs relevant d'unités mixtes de recherche (UMR) différentes, sans les couper de leurs racines disciplinaires.

Troisième priorité : travailler en lien avec les acteurs industriels et économiques sur les innovations de rupture.

Le temps pas si lointain où l'on opposait recherche fondamentale et transferts est aujourd'hui révolu, fort heureusement. La recherche fondamentale donne régulièrement naissance à des innovations de rupture et, en retour, les problématiques industrielles sont souvent l'occasion d'identifier de nouveaux verrous scientifiques. Il me semble donc essentiel de réaffirmer l'importance de cette mission de transfert pour le CNRS. Elle est indispensable pour notre pays si nous voulons que nos inventions, dont la qualité est reconnue dans le monde entier, se transforment en innovations et soient ainsi à l'origine de création de valeur et d'emplois.

Le CNRS doit travailler plus et mieux avec l'ensemble des acteurs industriels, qu'il s'agisse de start-up, de petites et moyennes entreprises, d'entreprises de taille intermédiaire ou de grands groupes. Il doit augmenter les interactions avec ce monde industriel en ouvrant davantage ses laboratoires.

Quatrième priorité : jouer un rôle moteur pour promouvoir la présence de la recherche française dans la recherche internationale, en particulier dans les grands programmes et autour des grandes infrastructures.

La France doit avoir à coeur d'être plus influente sur la scène scientifique internationale. Notre pays est notoirement moins présent que d'autres, notamment dans la préparation en amont des programmes-cadres de la Commission européenne. Dans beaucoup de domaines, il me semble que le CNRS est l'établissement naturel pour coordonner, sous la tutelle des ministères concernés, le travail de lobbying – n'ayons pas peur de ce mot – qui est nécessaire pour que la voix de la France soit prise en compte au stade de la conception des appels à propositions. Je considère en particulier essentiel que la France et le CNRS soutiennent avec force l'European Research Council, programme d'une grande rigueur scientifique qui offre aux lauréats une grande liberté pour conduire des recherches très originales.

Enfin, le CNRS mène une politique active de collaboration avec les meilleures institutions à travers le monde. Il importe de la poursuivre en proposant aux universités qui le souhaitent de s'y associer, institution étrangère par institution étrangère.

Cinquième priorité : refonder les partenariats avec des universités autonomes.

Je suis convaincu que la France a besoin d'universités fortes et d'organismes de recherche forts, travaillant ensemble dans un souci de complémentarité. Ils ne doivent pas se perdre dans des querelles franco-françaises qui me semblent dérisoires eu égard aux enjeux pour notre pays et qui sont coûteuses en temps et en énergie. Le CNRS doit pouvoir travailler sur tous les sites en veillant à chaque fois à construire des partenariats ad hoc. Il peut y avoir de l'excellence scientifique partout mais il faut aussi avoir l'honnêteté de reconnaître que tout n'est pas excellent partout. Le CNRS doit faire des choix en les explicitant clairement et il doit apporter dans chacun des sites où il est présent sa vision nationale, internationale et pluridisciplinaire.

De manière générale, il est essentiel que ces partenariats refondés avec des universités autonomes se construisent autour de projets concrets, c'est ce qui fait à la fois leur intérêt et leur qualité.

Sixième et dernière priorité : apporter une culture et une expertise scientifiques aux décideurs et à la société.

Si vous me permettez un petit aparté respectueux, j'ai été surpris de constater que ni le mot « sciences », ni le mot « recherche », ni le mot « innovation » ne figure dans les intitulés des commissions permanentes de l'Assemblée et du Sénat compétentes sur ces sujets. Au XXIe siècle, c'est pour le moins surprenant.

Il me semble important que le CNRS puisse apporter aux décideurs et au grand public son expertise et son savoir-faire, c'est ce qui leur permettra de mieux appréhender des questions aussi diverses que le réchauffement climatique, le développement durable, les énergies renouvelables, la mobilité, les territoires intelligents – qu'il s'agisse de villes, de campagnes, d'usines – l'intelligence artificielle, l'alimentation ou encore la médecine personnalisée, les vaccins, le travail, les mutations, les radicalisations. Autant de sujets qui appellent des approches interdisciplinaires pour lesquelles l'expertise du CNRS me semble majeure.

Il doit fournir conseils et aides pour définir et mettre en place les politiques de recherche, bien sûr pour son ministère de tutelle mais aussi pour les autres ministères et les collectivités territoriales.

Enfin, une bonne intégration de la science dans la société passe aussi par la capacité à traiter les questions d'éthique et d'intégrité scientifique. Le CNRS a été précurseur en ce domaine en créant dès 1994 un comité d'éthique.

Ces six grandes priorités ayant été définies, je voudrais insister sur deux sujets transversaux qui me semblent essentiels : les ressources humaines et financières et les partenariats.

Il n'est jamais inutile de rappeler que la force numéro un des organismes de recherche réside dans leurs personnels, scientifiques bien sûr, mais aussi d'appui. À ce titre, le CNRS doit résoudre une équation assez complexe rassemblant trois éléments. Premièrement, il s'agit de recruter chaque année des chercheuses et chercheurs permanents dans tous les domaines qu'il a l'ambition de couvrir en évitant les désastreux effets de montagnes russes. Deuxièmement, il convient de stabiliser les personnels d'appui à la recherche et je tiens à souligner que ces personnels sont absolument essentiels dans tous les secteurs même si l'équilibre entre personnels scientifiques, fonctions de soutien ou fonctions de support peut varier d'un champ disciplinaire à un autre. Troisièmement, il importe de se donner les moyens de recruter régulièrement des personnels non permanents – doctorants, post-doctorants, ingénieurs – qui sont indispensables pour initier et soutenir de nouvelles directions de recherche.

Évidemment, la solution à cette équation complexe dépend du budget du CNRS, mais aussi d'actions que je poursuivrai ou que j'initierai dans une logique pluriannuelle, indispensable à prendre en compte. Ces actions sont au nombre de quatre : premièrement, affiner les prévisions de départs à la retraite pour chaque grand type d'emplois ; deuxièmement, identifier avec chaque institut les principaux besoins en personnels, qu'il s'agisse de personnels scientifiques ou de personnels d'appui à la recherche, de personnels permanents ou pas ; troisièmement, travailler sur les mobilités avec les universités et les écoles en utilisant bien sûr le système des délégations mais aussi des doubles positions ; quatrièmement, favoriser les échanges avec le monde économique et associatif en favorisant les doubles positions qui existent dans de nombreux pays et dans nombre de disciplines, et qui sont trop peu répandues chez nous.

De manière générale, il est absolument essentiel que le CNRS et la France se donnent les moyens d'attirer les meilleurs chercheurs dans une compétition de plus en plus féroce au niveau international, mais aussi de les conserver.

S'agissant des ressources financières, il est indispensable pour le CNRS de retrouver des marges de manoeuvre. En interne, les pistes de réflexion sont limitées mais elles existent. C'est un sujet délicat mais je ne crois pas que la force du CNRS se mesure uniquement à l'aune de son nombre d'employés. Il doit être capable de fournir à l'ensemble de ses chercheuses et chercheurs des conditions correctes pour travailler. Cela me paraît essentiel.

Les avis sur le fonds de roulement du CNRS sont divers. Je demanderai un audit sur ce sujet mais il ne semble pas impossible de dégager quelques dizaines de millions d'euros pendant trois ou quatre ans, avant que les départs à la retraite ne soient plus nombreux.

En externe, les possibilités sont sans doute un peu plus nombreuses et s'inscrivent dans des logiques de partenariat. Le CNRS doit mieux travailler avec les agences de financement européennes et françaises, au premier rang desquelles l'Agence nationale de la recherche (ANR), de façon à ce qu'il y ait une plus grande cohérence entre les priorités du CNRS et celles de ces agences.

Je ne reviens pas sur les partenariats industriels. J'en ai fait l'une de mes priorités. Leur nombre peut être accru, bien entendu en tenant compte des spécificités de chaque grand champ disciplinaire.

Je crois également que des partenariats doivent être recherchés avec d'autres ministères de tutelle ; les ministères en charge de la santé, de l'environnement, de la justice, de la défense, de l'agriculture ou encore du sport, ont des problématiques pour lesquelles ils ont besoin de la recherche publique. Ces problématiques sont le plus souvent nationales et pluridisciplinaires. Le CNRS est là encore un interlocuteur naturel pour construire des partenariats fructueux avec l'ensemble des acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Enfin, le CNRS doit redéfinir ses relations de travail avec les collectivités territoriales, au premier rang desquelles les conseils régionaux. Il doit offrir à celles-ci sa vision nationale, internationale et pluridisciplinaire.

Je suis convaincu que notre pays a besoin d'avoir un CNRS fort. Je l'ai déjà dit mais j'insiste sur ce point : il n'y aura pas d'universités fortes sans un CNRS fort et réciproquement. Je propose que ce CNRS mette en oeuvre les six grandes priorités que je viens de vous présenter rapidement. Je crois aussi qu'un CNRS fort sera un CNRS qui augmente son agilité et sa réactivité. Un CNRS fort sera avant tout un CNRS qui sache faire des choix en se posant, pour chacune de ses actions, la question de sa valeur ajoutée.

Guider le CNRS dans ces directions nécessitera un soutien fort de l'État. Ces ambitions devront également être partagées par l'ensemble des personnels du CNRS, en particulier les membres de l'équipe de direction.

Voici un résumé rapide du CNRS dont je pense que la France a besoin. Avec ses partenaires, ce CNRS mettra au coeur de son activité l'avancée des connaissances pour le rayonnement de la France, pour une société de progrès et pour des innovations de rupture. Ainsi, le CNRS sera utile à la France et la France pourra en être fière.

Les évolutions nécessaires demanderont du temps, de l'écoute, de la pédagogie, de la force de conviction et un travail collectif important, j'en suis pleinement conscient.

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