Intervention de Jean-Louis Masson

Réunion du mercredi 24 janvier 2018 à 9h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Masson :

Déposée par le groupe La France insoumise, la proposition de loi que nous examinons a un double objet : limiter les cas dans lesquels les forces de l'ordre peuvent procéder à des contrôles d'identité et rendre obligatoire l'établissement d'un récépissé lors de ces contrôles.

Je le dis d'emblée : le groupe Les Républicains est tout à fait opposé à ce texte.

Tout d'abord, les contrôles d'identité étant des outils indispensables, il serait irresponsable d'en restreindre le champ. L'article 1er limite les possibilités pour les forces de l'ordre d'y avoir recours, en ne permettant les contrôles d'identité que dans l'hypothèse où il existe des raisons « objectives et individualisées » de penser qu'une infraction a été ou va être commise, au lieu d'une raison « plausible ». Dans un contexte de menace terroriste maximale et de hausse continue de la délinquance, il convient à l'inverse d'accroître les possibilités de procéder à de tels contrôles.

Ensuite, nous sommes opposés à l'établissement de récépissés lors des contrôles d'identité, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les contrôles d'identité sont d'ores et déjà encadrés. L'article R. 434-16 du code de la sécurité intérieure dispose que : « Lorsque la loi l'autorise à procéder à un contrôle d'identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler. Le contrôle d'identité se déroule sans qu'il soit porté atteinte à la dignité de la personne qui en fait l'objet. » Il est en outre prévu d'assurer une identification des auteurs du contrôle d'identité : pour cela, le matricule de l'agent concerné est apposé sur son uniforme. Enfin, les caméras piétons des agents de police dans les zones de sécurité prioritaires sont désormais utilisées sur le fondement d'un décret d'application de la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté.

Votre proposition est un signe inacceptable de défiance à l'égard des forces de l'ordre. Pour reprendre l'expression d'un responsable de la police nationale : « On stigmatise la police comme étant raciste. Cette mesure jette le discrédit sur l'honnêteté morale des policiers en laissant penser qu'ils font des contrôles en dehors de la loi. » Doit-on rappeler que chaque jour, vingt et un policiers et gendarmes sont blessés en mission opérationnelle ? Contrairement à ce qui est affirmé, les abus policiers sont marginaux. En 2016, le ministère de l'intérieur a publié le chiffre de 294 plaintes pour discrimination déposées en cinq ans. Ces plaintes ne sont d'ailleurs pas toujours justifiées.

Puisque vous avez cité l'exemple concret du jeune Mamadou, je vous citerai un autre exemple : le mien. Ayant été gendarme pendant vingt-six ans, j'ai commandé plusieurs milliers de militaires tout au long de ma carrière. J'ai toujours constaté un très grand respect des gendarmes et des policiers à l'égard de la personne humaine, un respect de la déontologie et une conscience professionnelle élevée. Je n'ai nullement connaissance de la course aux chiffres dont vous parlez. J'ai eu, par contre, l'occasion à plusieurs reprises, au cours de ces vingt-six années, d'aller dans des familles de gendarmes pour prévenir leurs épouses que leur mari ne rentrerait pas parce qu'il avait été tué en service commandé. Ces morts sont bien plus graves que de simples contrôles d'identité.

Le récépissé serait préjudiciable à l'efficacité de l'enquête pénale. La mesure que vous proposez paraît trop bureaucratique et lourde à gérer alors même que les forces de l'ordre sont d'ores et déjà débordées. Elle engendrerait un surcroît important de travail sur le terrain : les agents devraient non seulement remplir ces récépissés mais aussi les traiter à leur retour au commissariat. L'heure est à la simplification des tâches administratives et pas à leur accroissement. Il n'est donc pas opportun de compliquer de manière déraisonnable le travail des forces de l'ordre sur le terrain. Par ailleurs, la CNIL a émis des réserves fortes quant à la faisabilité juridique de ce dispositif et s'est inquiétée des possibilités de fichage, voire de traçage, des individus contrôlés.

Enfin, l'efficacité de ce dispositif n'est pas avérée. Le rapport du Défenseur des droits, en 2012, concluait que « la solution du récépissé, y compris dans sa forme la plus aboutie », c'est-à-dire telle qu'elle peut apparaître dans certains pays anglo-saxons, « ne règle pas au fond le problème des contrôles discriminatoires » mais « apparaît, par ses seuls effets mécaniques, comme une source de réduction du nombre des contrôles et, par suite, du nombre de contrôles abusifs ».

Pour toutes ces raisons, alors même qu'il s'agissait d'un engagement du candidat Hollande en 2012 et que plusieurs amendements ont été déposés en ce sens, la précédente majorité a refusé la mise en place d'un tel récépissé.

Comme le disait Portalis : « Il faut être sobre de nouveautés en matière de législation parce que s'il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l'est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir. »

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