Intervention de Laurence Vichnievsky

Réunion du mercredi 24 janvier 2018 à 9h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Vichnievsky :

J'essaierai pour ma part de ne pas m'exprimer dans un registre trop émotionnel. Dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, les auteurs du texte se fixent comme objectif de « renforcer la confiance accordée par les Français envers les fonctionnaires, agents de la police nationale et gardiens de la paix ». J'ai en tête une récente enquête, publiée par Le Journal du dimanche (JDD), du CEVIPOF, le très sérieux centre de recherches politiques de Sciences Po. Cette enquête nous apprend que l'indice de confiance des Français envers les forces de l'ordre est déjà de 80 %. La police se situe en troisième position, juste derrière les hôpitaux et l'armée. La dernière place du classement est malheureusement attribuée aux partis politiques, avec un indice de 13 %.

Contrairement à ce qui est indiqué dans l'exposé des motifs, l'article du code de procédure pénale qui régit les contrôles d'identité est tout à fait précis. Il n'attribue pas un pouvoir arbitraire aux forces de l'ordre qui doivent objectiver les éléments déclencheurs des contrôles : soit la prévention d'atteintes graves à la sécurité des personnes et des biens, soit la recherche d'infractions, soit la découverte de leurs auteurs. La notion de « raisons plausibles de soupçonner », que la proposition de loi vise à modifier, est très bien connue des services de police : c'est la même qui va les conduire à placer en garde à vue un individu contre lequel ont été réunis certains indices d'infraction. Les juridictions exercent à l'égard de l'usage de cette notion un contrôle très vigilant, croyez-moi.

J'observe aussi que les origines ethniques de notre police sont très variées – il suffit de pousser la porte d'un commissariat pour s'en convaincre – et reflètent largement la diversité de la société française. Notre police est assez efficace, compte tenu des moyens très contraints qui sont les siens. Ce souci d'efficacité entraîne la nécessité pour elle de cibler ses contrôles, de même que les agents des impôts font du ciblage lorsqu'ils envisagent un contrôle fiscal. Dans une affaire de stupéfiants, vous n'allez pas cibler un retraité ou, si jamais elle existe encore, la fameuse ménagère de moins de cinquante ans.

Lorsqu'abus il y a, ils sont sanctionnés par les juridictions. Les arrêts de la Cour de cassation du 9 novembre 2016 étant cités dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, je voudrais rappeler que dans cinq des affaires jugées par la cour d'appel de Paris, l'État avait déjà été sanctionné par les juges du fond et que dans les huit autres, où la responsabilité de l'État avait été écartée, une seule décision a fait l'objet d'un arrêt de cassation fondé sur l'existence d'une possible discrimination.

Nous avons cherché à peser le pour et le contre, l'intention de nos collègues étant louable, mais nous considérons qu'il y a beaucoup plus d'inconvénients que d'avantages à instaurer ce dispositif. Notre collègue Manuel Valls pourrait légitimement en parler, puisqu'il a exposé les raisons pour lesquelles il s'est opposé à l'instauration d'un récépissé en tant que ministre de l'intérieur puis en tant que Premier ministre. Il est beaucoup plus efficace de tabler sur une formation des policiers et des gendarmes – même s'ils sont très sensibilisés à cette question –, de renforcer leur code de déontologie, de multiplier les caméras piétons et d'imposer le port apparent de leur matricule plutôt que de construire une usine à gaz. La Commission nationale de l'informatique et des libertés a en effet appelé notre attention sur le fait que, avec ce récépissé, il allait falloir gérer un énième fichier dans des conditions difficiles alors que tous les services sont déjà fort chargés.

Pour toutes ces raisons le groupe du Mouvement démocrate et apparentés (MODEM) rejettera cette proposition de loi.

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