Intervention de Carlos Ghosn

Réunion du mercredi 17 janvier 2018 à 9h35
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Carlos Ghosn, président-directeur général du groupe Renault :

Vos questions étant très nombreuses, je vais tenter de les regrouper.

Une question tournait autour de l'affirmation qu'en 2040 on assisterait à l'interdiction des véhicules thermiques. 2040, c'est dans vingt-deux ans. En tant que constructeurs automobiles, nous travaillons sur des horizons beaucoup plus proches. Nous n'avons donc pas de plan pour 2040, même si nous avons quelques options jusqu'à cette échéance.

Nous avons des plans précis sur six ans, parce qu'au-delà, cela devient un peu « vaseux ». Cependant, quand un pouvoir politique annonce clairement qu'il n'y aura plus de véhicules thermiques à partir de 2040, il donne un signal très clair à tous les acteurs du secteur. Ceux-ci doivent réfléchir à l'option selon laquelle, à cette date, il n'y aura plus de véhicules thermiques sur le marché.

Est-ce que cela s'arrêtera en 2040, ou avant, ou après ? Personne n'en sait rien. Cependant, par cette annonce, le pouvoir politique crédibilise le travail des constructeurs qui feront en sorte d'être prêts au cas où cela arriverait – et au cas où cela arriverait non seulement en France, mais aussi en Europe et dans d'autres pays. Il crédibilise tout ce que l'on est en train de faire sur la voiture électrique, et nous incite à renforcer nos investissements en matière de voiture électrique et d'énergies alternatives comme, par exemple, les piles à combustible – même si on n'est pas très optimiste les concernant.

Donc, l'affirmation qu'il n'y aura plus de véhicules thermiques en 2040 a un l'impact sur nous, dans la mesure où aucun constructeur automobile ne peut l'ignorer. Nous sommes obligés de le prendre en considération et d'évoquer cette éventualité, y compris auprès de nos conseils d'administration. C'est donc sérieux. Cela n'a pas d'impact dans l'immédiat, mais cela dévie quelque peu nos priorités en matière d'investissement dans les véhicules propres.

Une autre question, qui n'est d'ailleurs pas nouvelle, m'a été posée : le véhicule électrique est-il vraiment propre ? Tous ceux qui sont opposés au véhicule électrique mettent en avant le fait que, si vous brûlez du charbon pour produire de l'électricité et que vous faites rouler un véhicule électrique avec, celui-ci pollue finalement davantage que s'il roulait avec le meilleur diesel et la meilleure technologie. C'est vrai. Mais si les constructeurs automobiles ne prennent pas la responsabilité d'offrir une technologie propre, comment atteindrons-nous nos objectifs de lutte contre le réchauffement climatique ?

Je signale que la Chine est en train de fermer ses usines à charbon et ses mines. J'ai moi-même pu constater des différences en matière de qualité de l'air dans certaines régions chinoises. En trois ans, un travail extraordinaire a été accompli.

Il existe aujourd'hui des technologies qui permettent de réduire totalement les émissions de CO2 d'une voiture. Vous pouvez entrer dans votre salon avec votre voiture électrique ! Le plus grand émetteur de pollution dans une voiture électrique, c'est le conducteur. Nous savons que nous ne pouvons pas résoudre tout seuls tous les problèmes d'environnement. Mais si nous n'apportons pas notre pierre à un édifice qui sera forcément collectif, où est notre responsabilité ?

Avec de l'hydraulique et des voitures électriques, il y a zéro émission. Avec du nucléaire et de la voiture électrique, il y a zéro émission. Il y a de très nombreux moyens pour fabriquer de l'énergie, de telle façon que le cycle du transport se fasse sans aucune émission. Certes, le couplage « charbon plus voiture électrique » n'est pas aussi performant que la dernière technologie diesel. Mais cela ne nous dédouane pas de nos responsabilités. En tant que constructeurs, nous devons présenter des technologies qui, dans la plupart des conditions, permettront de résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Le véhicule électrique est un véhicule propre. L'électricité peut ne pas être propre. Mais c'est de la responsabilité des États de s'assurer que l'électricité est propre. Dans tous les cas, nous savons très bien que la lutte contre le réchauffement climatique est collective. On ne va pas la gagner avec des constructeurs très vertueux si les autres parties prenantes continuent à faire comme avant. Ma conception est que la contribution de l'industrie automobile consiste à présenter des véhicules zéro émission, et bien sûr à faire pression sur les fournisseurs d'énergie pour qu'ils la suivent dans cette logique.

Vous m'avez posé de nombreuses questions sur l'un de nos fonds d'investissement, Alliance Ventures. Vous avez fait un rapprochement avec le dispositif que nous avions mis en place avec PSA. Mais il s'agissait en l'occurrence d'une action de soutien, à caractère quelque peu défensif, et destinée à certains fournisseurs sur le sol français, alors que celle-ci est offensive, mondiale, et regroupe les contributions de Renault, Nissan et Mitsubishi.

Nous visons toute entreprise qui peut apporter en matière de mobilité ou de services de mobilité une innovation à laquelle nous n'avons pas accès ou que nous ne connaissons pas, que nous avons intérêt à développer par son intermédiaire et pas par nous-mêmes. Cela arrive, par exemple, quand nous pensons que c'est une bonne idée – laquelle peut ou non aboutir – mais que nous ne souhaitons pas l'intégrer en interne, sans pour autant nous en désintéresser. Donc nous investissons, et nous la suivons. Au cas où elle aboutirait, nous serions déjà dedans ; et si elle n'aboutissait pas, notre risque serait limité.

Il faut savoir en effet que le taux de succès des start-up est d'à peu près 10 %. Voilà pourquoi, lorsque nous faisons un investissement de ce type, nous restons très prudents. Il y a beaucoup de déchet, mais c'est dans la nature des start-up. Celles-ci se lancent à l'assaut d'innovations, tout en étant conscientes que leurs chances de succès sont très faibles.

Quoi qu'il en soit, toute start-up française peut aujourd'hui soumettre son dossier si elle pense pouvoir apporter une innovation en matière de mobilité ou de services de mobilité. L'avantage est qu'il y a un endroit où cela se passe, avec M. François Dossa, le responsable de ce fonds et son équipe. Les uns et les autres parlent pour l'alliance Renault, Nissan, Mitsubishi. C'est-à-dire que si l'on adopte son idée, la start-up aura comme marché 10 600 000 voitures – et pas seulement le marché de Renault. C'est l'avantage. Je vous propose donc d'encourager les start-up de vos départements ou de vos villes à venir nous voir si elles ont de bonnes idées en matière de mobilité ou de services de mobilité.

Au CES de Las Vegas, 900 start-up se sont présentées, alors qu'elles avaient été des milliers à vouloir s'inscrire. La prolifération de ces entreprises est fabuleuse. Mais nous ne savons pas les sélectionner. Elles doivent à tout prix se manifester vis-à-vis de nous. Le nombre d'idées qui tourne autour de la mobilité est extraordinaire.

J'en viens au cadre législatif pour les véhicules autonomes. Mme Anne-Marie Idrac est en contact avec nos équipes. Elle a testé nos voitures. Elle est montée dans des véhicules autonomes Renault. Nous veillons à la maintenir au courant de toutes les évolutions, de façon à lui faciliter la préparation de ce cadre législatif. Nous ne sommes pas uniquement responsables de la technologie, nous le sommes aussi de la communication avec le régulateur, de façon que celui-ci accompagne l'évolution technologique, qu'il se tienne prêt et qu'on ne perde pas de temps le jour où il faudra absolument réglementer ou légiférer pour permettre la diffusion commerciale de ces technologies. Je vous rassure là-dessus : toutes nos évolutions techniques se font en contact très étroit avec l'administration concernée.

Plusieurs questions portaient sur les batteries. J'ai parlé tout à l'heure de LG Chemical, puisque c'est un fournisseur de Renault. Mais il n'a pas vocation à l'être indéfiniment, ni à être le seul. Un fournisseur, ça entre et ça sort en fonction de l'évolution technologique.

Quand je dis que je suis personnellement favorable à l'émergence d'un fournisseur de batteries européen, c'est pour trois raisons : d'abord parce que cela va augmenter la concurrence, ce qui est très bien ; ensuite parce que cela signifie que nous avons des productions locales, ce qui est très bien, notamment parce que, sur le plan logistique, cela représente moins de risques ; enfin, parce que nous ne sommes pas obligés d'avoir un seul fournisseur de batteries. Je ne le souhaite d'ailleurs pas, parce que je pense qu'il faut maintenir une compétition au sein de l'alliance.

Nous restons avec l'entreprise LG Chemical parce que nous pensons qu'aujourd'hui c'est la plus compétitive. Pour autant, elle n'a pas de monopole sur le marché des batteries. Il y a de la place pour un fournisseur de batteries européen compétitif – d'autant plus que s'il est européen, il intéressera tous les constructeurs européens. Il y a donc des enjeux de marge et d'échelle derrière.

Nous travaillons en permanence sur la sécurité routière, et pas seulement sur la sécurité routière active et passive. C'est aussi l'un des objectifs de ce que nous appelons la conduite augmentée : quand vous conduisez votre voiture, de multiples mécanismes prennent le contrôle si jamais un incident est détecté. Cela se développe, et c'est une préoccupation fondamentale non seulement de Renault mais aussi de Nissan et de Mitsubishi : à terme, nos véhicules devraient n'être responsables d'aucun accident. Techniquement, nous sommes aujourd'hui en mesure de l'envisager, grâce aux radars, caméras, senseurs, alerte et à toute l'électronique. Si vous dormez au volant, si vous avez envie de faire quelque chose de fou au volant, la voiture reprend le contrôle grâce à tous ces mécanismes.

Les accidents de voiture font 1,4 million de morts par an, dont un grand nombre de piétons. Les piétons sont souvent fauchés, dans certains pays, sur des routes dépourvues d'éclairage, de balisage, d'asphalte, ou lorsque les conditions climatiques sont mauvaises. Si vous équipez la voiture elle-même de telle sorte qu'il lui soit interdit de rouler dans des conditions dangereuses, vous empêchez l'accident. Si des senseurs détectent un objet – qui peut aussi être un animal ou un être humain –, la voiture freinera et s'arrêtera, que vous le décidiez ou non. Un certain nombre de mécanismes que nous installons dans les voitures permettront d'améliorer nettement la sécurité routière, et ce sera forcément le cas avec les véhicules autonomes. Par définition, en l'absence de conducteur, le véhicule autonome respecte toutes les règles – limitation de vitesse, arrêt au feu rouge, interdiction de franchir les lignes continues. Aucune possibilité n'existe d'enfreindre quelque règle que ce soit, tant et si bien que vous pouvez vous retrouver dans une situation où la voiture ne bouge plus parce qu'elle est entourée d'interdits. C'est l'un des problèmes que nous devons résoudre. Que se passe-t-il si un camion bloque la route et qu'une ligne continue interdit de le dépasser ? La voiture s'immobilise. Nous sommes en train de mettre en place un système dans lequel un être humain, dans une tour de contrôle, pourrait prendre connaissance de la situation grâce aux caméras et radars de la voiture et donner au véhicule l'autorisation de franchir la ligne continue. La sécurité routière s'améliorera donc grandement. Je suis confiant ; pas une administration au monde ne s'opposera à des développements qui contribuent tant à la sécurité routière.

Nos sous-traitants nationaux sont forcément favorisés. Les ingénieurs français de Renault apprécient de travailler avec d'autres ingénieurs français, qui parlent français, qui ont la même formation, etc. La tendance naturelle est de s'adresser au fournisseur français. De même, les équipes japonaises de l'alliance travaillent plus facilement avec des Japonais, les Russes avec des Russes, etc. Si vous laissez faire, ce sont les fournisseurs proches qui sont privilégiés. D'ailleurs, le succès des grands fournisseurs français comme Michelin, Valeo ou Faurecia est lié à leurs parts de marché très importantes sur le marché des constructeurs français. Notre préoccupation est de nous assurer de la compétitivité de nos sous-traitants français et de ne jamais les placer dans une position où un marché captif les dispenserait des restructurations et des efforts de compétitivité nécessaires – dans une compétition mondiale, il est impossible de s'en sortir ainsi. Si nous avons bien sûr tendance à favoriser les sous-traitants nationaux, nous ne devons pas moins veiller à leur pérennité, ce qui implique une gestion saine et une appréhension saine des enjeux.

Renault est numéro un en Afrique. Nous dominons les marchés d'Afrique du Nord, plus gros marchés du continent, avec une part de marché supérieure à 40 % tant au Maroc qu'en Algérie, et le marché d'Afrique du Sud. Les marchés prometteurs sont situés en Afrique « intermédiaire » ; un pays comme le Nigeria, très riche, très vaste, compte plus de 200 millions d'habitants, mais il ne s'y vend que 50 000 voitures par an. À titre de comparaison, malgré la crise, il se vend 2,5 millions de voitures au Brésil ! Nous sommes donc présents au Nigeria car il est évident – toutes les conditions sont réunies – que les ventes vont exploser, mais nous ne savons pas quand. Sachez en tout cas que nous sommes numéro un en Afrique et que nous comptons bien le rester.

Notre présence au Pakistan illustre le fait que nous ne négligeons aucun marché. Nous y sommes entrés par l'intermédiaire d'un distributeur local, comme nous le faisons souvent lorsque nous ne connaissons pas bien le pays. Une fois établie la première base industrielle, nous pourrons développer une présence beaucoup plus massive. Ainsi, en Iran, où nous avons commencé avec une base iranienne, qui ne nous appartient pas, nous essayons de passer à une deuxième phase, avec l'implantation d'usines appartenant à Renault. J'espère que l'évolution sera la même au Pakistan. Il n'y a pas de petit marché pour nous, nous voulons nous positionner partout, car nous pensons que la mobilité se développera dans tous les pays. La question qui se pose est celle de l'échéance à partir de laquelle ce développement s'accélérera vraiment.

Nous devons nous intéresser, avec les véhicules autonomes, aux contenus. Dans la mesure où le conducteur n'aura rien à faire pour que son véhicule se déplace, nous devons proposer des visioconférences, des systèmes de vidéo, de musique, de travail, un espace de vie. Offrir un contenu plus riche que les autres constructeurs nous paraît important, mais ce n'est pas notre métier, nous ne sommes pas un média. Comment, donc, sélectionner l'information, la mettre en forme, etc. ? Ces préoccupations rencontrent celles des médias, qui savent que tout ce qui est imprimé connaît un déclin et qu'il faut passer par le web et proposer des contenus personnalisés.

Pour résumer : nous devons travailler à l'arrivée des contenus dans la voiture connectée et autonome, à un moment où les groupes de médias s'interrogent sur leur avenir. Nous avons réfléchi à la manière de travailler ensemble. L'idée de base est d'offrir un contenu personnalisé aux occupants de nos voitures à partir de données développées par les équipes de Challenges. Pour bien prouver que nous n'étions pas intéressés par le média lui-même, nous n'avons pris qu'une participation minoritaire dans ce groupe où les patrons et l'équipe restent en place pour continuer à faire leur travail. En tant qu'actionnaire, nous nous intéressons à la santé financière de Challenges, mais notre préoccupation essentielle est d'imaginer un contenu spécifique qui ne sera accessible qu'au travers de nos marques.

Quel peut être ce contenu ? Cette prise de participation s'apparente à de la recherche-développement. Nous sommes très optimistes, tout comme les équipes de Challenges, qui font le calcul suivant : 10,6 millions de voitures sont vendues par notre groupe tous les ans, ce qui représente un parc automobile en circulation de plus de 100 millions de voitures, avec, à bord, une audience potentielle correspondante pour des produits qu'elles vont contribuer à développer avec nous. Telle est la perspective dessinée par cette opération dont je n'ignore pas qu'elle suscite un certain scepticisme. On aurait pu mener l'expérience, sinon en Chine, au moins au Japon. Nous avons décidé de la lancer en France, où je sais que nous pouvons développer des projets particulièrement innovants. J'espère que nous serons capables de définir des produits ensemble et de montrer ainsi à quoi ressemble une coopération entre un groupe de médias et un groupe automobile.

Nombre d'entre vous m'ont demandé si Renault n'était pas trop dépendant du low cost. Au cours des dernières années, j'espère que nous avons prouvé que ce n'était pas le cas. Renault a vendu 3,8 millions de véhicules en 2017, dont un peu plus d'un million de véhicules low cost. Nous sommes très fiers d'être sur ce créneau où nous n'avons pas de concurrent. Certains promettaient de sortir des véhicules concurrents des Logan, Duster et Sandero. On ne les a pas vus. Pourtant, le marché du low cost existe depuis quinze ans.

Dès le départ, nous avons opté pour la méthode design to cost, créé des usines extrêmement compétitives, et développé un réseau de distribution très simple, qui s'adresse aux particuliers et ne cible pas les flottes d'entreprises. Ce système n'a pas pu être reproduit par d'autres constructeurs automobiles. Résultat : ce marché est extrêmement profitable pour Renault qui n'y affronte pas de concurrent ; c'est une source de développement extraordinaire pour notre groupe. Avec la plateforme que nous sommes en train d'installer en Inde, nous voulons faire du low cost dans les pays émergents en vendant des produits qu'aucun concurrent ne sera capable de reproduire. Ce que nous faisons avec la Kwid en Inde, nous le ferons avec la Kwid électrique en Chine.

Le low cost, qui aurait tendance à être dénigré, nécessite en fait une ingénierie vraiment « trapue ». Aucun concurrent n'a réussi à reproduire ces process et ce système industriel. C'est l'un des grands succès de Renault. Cela ne veut pas du tout dire qu'on abandonne le reste. L'expansion de Renault est essentiellement due au succès de modèles qui ne sont pas des véhicules low cost : Clio, Captur, Kadjar, le véhicule utilitaire (VU), les pick-up trucks. Nous ne sommes pas centrés sur le low cost, nous développons tous les autres segments.

Nous n'avons, en effet, pas une très bonne réputation en tant que payeur. J'ai reçu beaucoup de plaintes de fournisseurs, voire de distributeurs, concernant nos retards de paiement. Je suis intervenu et je peux vous dire que nous sommes désormais vigilants dans ce domaine. Il n'y a aucune raison qu'une entreprise saine et sans dette ne paie pas ses fournisseurs à temps. Nous avons placé ces services sous observation.

Vous m'avez interrogé sur l'Alpine. Rappelons que nous avons commencé par une voiture, dans l'espoir de développer une marque. A priori, nous avons une stratégie en plusieurs étapes, mais toute stratégie est soumise à exécution. Si nous ratons la première étape, il n'y aura pas d'étape 2 ou 3. Nous devons d'abord réussir l'étape 1, c'est-à-dire nous assurer du succès de la nouvelle Alpine. Compte tenu des commandes et de l'enthousiasme qu'elle suscite, son succès semble bien parti, ce qui nous encourage à passer à l'étape suivante, c'est-à-dire au lancement d'un autre véhicule. À partir de là, on commence à parler de gamme.

Cela étant dit, je préfère être prudent. Nous allons progresser étape par étape, voiture par voiture, pour assurer la pérennité d'Alpine. Le lancement de cette voiture de sport fait partie du redéploiement de Renault dans de nouveaux créneaux. Alpine n'appartient pas à la gamme premium, constituée de véhicules confortables, de grosses cylindrées aux finitions de qualité. Avec la nouvelle Alpine, nous parlons de voitures de sport, c'est-à-dire de modèles très spécifiques qui s'adressent à des clients très spécifiques. C'est bien parti, et il n'y a aucune raison pour que nous ne continuions pas, tout en respectant l'exigence de performance. Il ne s'agit pas de mener une stratégie vaseuse qui nous conduirait à arrêter au bout de deux ou trois ans parce que l'on perdrait de l'argent et que cette activité n'aurait pas de sens en termes de business. Nous progressons par étapes sur ce marché très compétitif, avec un produit unique qui est, lui aussi, très compétitif.

Beaucoup de questions tournaient autour de l'autonomie de la voiture électrique : il faut plusieurs heures pour recharger la Zoé, et la charge ne tient que 120 kilomètres. Vous avez tout à fait raison, mais n'oubliez pas que les choses changent très vite. L'autonomie de la nouvelle Zoé est de 300 kilomètres, soit le double de celle des premiers modèles. Les systèmes de chargement aussi évoluent très vite. La charge habituelle, effectuée à la prise de votre domicile, prendra toute la nuit. Les fournisseurs nous présentent des systèmes de charge rapide où l'opération ne prendra que quinze minutes. L'équipement est évidemment beaucoup plus cher, de l'ordre de 15 000 à 20 000 euros, mais il est possible d'imaginer que l'investissement soit partagé au niveau d'un quartier ou d'une municipalité. Une commune peut décider d'installer un système de charge rapide à la mairie pour les gens qui sont pressés.

Cette affaire d'autonomie ne m'inquiète pas du tout, car la technologie est en train d'évoluer, notamment en matière de batteries. À échéance de quatre ou cinq ans, nous ne dépendrons peut être plus du lithium, et il n'y aura peut-être plus de cobalt dans les batteries. La situation actuelle – une dépendance au cobalt qui provient d'une ou deux mines du Congo, pays un peu compliqué et dont les mines sont sous domination chinoise – incite à trouver des solutions de rechange.

De nombreuses recherches actuelles visent à trouver les moyens de se passer du lithium et du cobalt. Les Chinois investissent beaucoup dans les batteries, mais ils ne sont pas les seuls. Coréens, Japonais, Américains et Européens s'y intéressent aussi. Pour ma part, je suis persuadé que le lithium-ion aura une belle vie pendant les quatre à cinq prochaines années, mais pas au-delà. De nombreuses start-up arrivent avec des idées de batteries qui ne contiennent ni cobalt, ni lithium-ion, et nous avons d'ailleurs investi dans l'une d'elles. C'est typique de notre démarche : ils développent, on investit, on vérifie. Si ça marche, on est dans le jeu. Si ça ne marche pas, on aura pris une garantie contre une éventuelle « disruption » qui se serait produite à nos dépens. C'est un exemple de ce que nous allons faire avec le fonds d'investissement que nous venons de créer.

Est-ce que nous prenons des décisions irrationnelles ? Toute décision prise à un instant donné est irrationnelle. En 2007, lorsque j'ai annoncé que nous allions investir 4 milliards d'euros dans la voiture électrique, beaucoup de gens se sont demandé si j'étais sérieux. Cette décision aurait pu paraître irrationnelle, d'autant que, pour développer la voiture électrique, vous êtes obligé de renoncer à d'autres investissements, de renoncer à développer tel autre véhicule, ou de renoncer à entrer sur le marché chinois. Beaucoup de gens considèrent que votre décision est irrationnelle puisque vous abandonnez quelque chose que vous pouvez saisir pour vous engager dans un projet qui paraît assez vaporeux.

Oui, nous prenons des décisions irrationnelles, pas pour nous mais pour d'autres qui se demandent ce qui se passe. Ils n'en comprennent la rationalité que plus tard, lorsque la réalité est là. Nous avons lancé ce projet en 2007. Mais ce n'est que dix ans plus tard, en 2017, que les gens ont commencé à réaliser que la voiture électrique était incontournable.

Je le répète, nous prenons des décisions qui peuvent paraître irrationnelles à un moment donné mais qui, je l'espère, trouvent toute leur signification quelques années plus tard.

Monsieur le président, j'ai essayé de répondre du mieux que j'ai pu à vos questions.

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