Intervention de Jacqueline Gourault

Réunion du mercredi 17 janvier 2018 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur :

Merci, madame la présidente de la commission des Lois, madame la présidente de la commission des Affaires européennes, pour votre invitation. Je suis très heureuse de m'exprimer devant vous sur ce projet de loi relatif à l'élection des représentants au Parlement européen, texte dont je crois qu'il devrait être largement soutenu, bien au-delà des différentes sensibilités, bien au-delà des clivages traditionnels.

Il devrait tout d'abord l'être pour une raison de méthode : dans un esprit de co-construction législative, le Président de la République et le Premier ministre ont consulté l'ensemble des formations politiques. Ensuite, au-delà des différences d'analyse et de positionnement des groupes politiques à propos de l'Europe et de l'Union européenne, je crois que nous sommes tous d'accord pour affirmer que la situation actuelle n'est pas satisfaisante : plus d'un Français sur deux ne se déplace pas aux scrutins européens, et, dans certaines villes, l'abstention a atteint 70 % en 2014 ! Que l'on soit pour « plus d'Europe » ou pour « moins d'Europe », que l'on soit pour une Europe fédérale ou pour le démantèlement de l'Union européenne, que l'on soit pour l'intégration économique ou pour le retour au franc, on ne peut se satisfaire de si faibles taux de participation qui minent la légitimité des députés européens et, finalement, affaiblissent la démocratie. Il fallait donc agir pour inverser cette tendance, et ce dans un délai réduit puisque, par tradition républicaine – j'insiste sur ces mots –, la règle électorale ne peut être modifiée dans les douze mois précédant une élection. C'est ce que le Gouvernement entreprend avec ce projet de loi dont je tiens à rappeler qu'il ne modifie pas le mode de scrutin lui-même – à savoir un scrutin proportionnel à la plus forte moyenne.

La principale disposition de ce texte est effectivement le rétablissement d'une circonscription nationale unique. Si le Président de la République et le Premier ministre ont fait ce choix, c'est d'abord parce que le système ancien, fondé sur huit circonscriptions interrégionales, a échoué. Depuis sa mise en oeuvre en 2003, le taux de participation est ainsi passé de 46,8 % en 1999 – avant le passage aux huit circonscriptions – à 42 % en 2014, et il suffit de dialoguer avec nos concitoyens sur le terrain pour comprendre que le découpage en huit circonscriptions, sans cohérence historique, politique ou administrative, a contribué à brouiller le débat entre enjeux européens, enjeux nationaux et enjeux locaux.

Il est donc nécessaire de changer.

La première option, proposée par certains, était de créer treize circonscriptions correspondant aux nouvelles grandes régions. Si le Gouvernement ne l'a pas retenue, ce n'est pas, comme on a pu l'entendre parfois, pour des raisons politiciennes, mais parce que, d'une part, le débat aurait certainement été perturbé par des enjeux étrangers à la nécessaire confrontation des idées et des projets sur l'Europe, et que, d'autre part, un tel découpage, avec des circonscriptions plus nombreuses, aurait, en atténuant les effets de la proportionnelle, favorisé les grands partis et ainsi fragilisé un pluralisme politique auquel nous sommes, comme tous les Français, très attachés.

Il y avait une seconde option : une circonscription nationale unique, modèle qu'a déjà connu notre pays entre 1977 et 2003. C'est le choix que nous assumons. Tout d'abord, cette option est soutenue par la majorité des partis politiques et, vous le savez, nous voulons toujours réunir le plus grand nombre autour des grands choix stratégiques qui engagent le pays. Ensuite, le rétablissement d'une circonscription unique nous rapproche de nos partenaires : aujourd'hui vingt-trois États membres de l'Union européenne sur vingt-sept votent dans le cadre d'une circonscription nationale unique. Mais ce qui a principalement motivé notre décision, c'est que nous sommes convaincus que ce mode de scrutin permettra d'intéresser davantage nos concitoyens à des élections de plus en plus décisives pour leur destin individuel comme pour leur destin collectif. Alors, bien sûr, nous sommes conscients des risques inhérents à la circonscription unique, certains d'entre vous s'en feront certainement l'écho : risque de nationalisation des enjeux – mais n'y étions-nous pas déjà exposés ? –, risque d'éloignement entre les députés européens et la réalité des territoires. Moi-même ancienne maire, attachée à l'ancrage de terrain, je ne peux évidemment qu'être sensible à cet argument.

Je crois toutefois que cette solution de la circonscription nationale est la meilleure, et j'ai pu constater, personnellement, que le scrutin par circonscription ne rapprochait pas les députés européens des citoyens, à quelques rares exceptions. La solution de la circonscription nationale permettra de proposer aux Français des débats clairs, avec des options nettes. Elle permettra à nos concitoyens de fonder leur vote, pour reprendre la terminologie des Lumières, sur un « choix éclairé ».

De ce mode de scrutin de la circonscription nationale unique découlent un certain nombre de conséquences, inscrites dans le texte. Ainsi le nombre de candidats sur chaque liste devra-t-il être égal au nombre de sièges là où, pour pallier les vacances de poste, il fallait jusqu'à présent un nombre supérieur de candidats par rapport au nombre de sièges. Deuxième point, le plafond des dépenses de campagne sera porté à 9,2 millions d'euros, montant égal à la somme des plafonds hier attribués à chaque circonscription.

Tirant également les conséquences d'une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 31 mai dernier, le projet de loi comporte un certain nombre de dispositions concernant le temps d'antenne lors de la campagne officielle. Désormais, celui-ci sera réparti en trois fractions : un forfait minimal de deux minutes pour chaque liste enregistrée, une durée de deux heures répartie entre les listes soutenues par les partis représentés par des groupes au Parlement et une durée d'une heure répartie entre les listes par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) en fonction de leur représentativité et de leur contribution à l'animation du débat électoral. L'équité médiatique sera donc bien mieux garantie.

Je veux enfin préciser que nous avons soumis les députés européens aux mêmes obligations déclaratives que les parlementaires français pour ce qui concerne leurs participations dans les sociétés de conseil. Cela n'avait pas été prévu dans les textes précédents.

Mesdames et messieurs les députés, au-delà de ces mesures techniques, ce projet de loi ouvre aussi, conformément aux engagements pris par le Président de la République devant les Français, une belle perspective : celle de l'élection de certains parlementaires européens sur des listes transnationales dans le cadre d'une circonscription européenne unique. Vous le savez, l'exécutif porte cette ambition forte pour l'Europe. Cela correspond au mandat reçu des Français. C'est aussi une ardente obligation tant, sur des sujets comme la lutte contre le terrorisme, la régulation des flux migratoires, les politiques industrielles, la régulation économique, ou encore le défi climatique, une France seule serait peu armée face à des puissances comme la Chine ou les États-Unis. Pour relancer le rêve européen, la France agit, au niveau des chefs d'État et au niveau intergouvernemental, et chacun a en tête l'initiative pour l'Europe lancée à la Sorbonne par le Président de la République il y a quelques mois, mais il faut aussi une mobilisation démocratique des citoyens, des peuples, car rien de grand ne se fera sans les peuples. C'est ce que nous ferons avec le lancement à partir du printemps de « consultations citoyennes », qui visent à associer les peuples pour redéfinir les contours du rêve européen. C'est aussi ce que nous proposons en ouvrant la voie, avec ce texte, à la formation de listes transnationales, afin d'encourager, pour reprendre une formule habermassienne, l'émergence d'un « espace public européen », ce qui me semble constituer une très belle promesse.

Tout cela ne suffira évidemment pas à résoudre toutes les difficultés de notre continent, mais je crois qu'il s'agit là d'un horizon mobilisateur qui, demain, pourrait permettre à l'Europe de sortir de l'ornière et de porter à nouveau une espérance pour le monde.

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