Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du mardi 23 janvier 2018 à 21h10
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

En écoutant les uns et les autres, on se rend compte que certaines préoccupations sont largement partagées. Pour ma part, madame la garde des Sceaux, j'aurai deux remarques à formuler.

D'une part, considérant qu'il a fallu dix ans de négociations, de travail parlementaire et de propositions émanant de la commission des Lois et de la commission des Affaires européennes, pour construire, avec le Parlement européen, un règlement et une directive, nous regrettons beaucoup que le Gouvernement ait décidé d'engager la procédure accélérée pour l'examen de ce projet de loi, même si nous pouvons comprendre que le calendrier électoral n'ait pas permis de le faire plus tôt : le seul fait que ce texte porte sur les droits et libertés imposait que l'on se donne le temps nécessaire à une vraie discussion.

D'autre part, comme l'a dit le Conseil d'État, « l'étude d'impact n'éclaire, en dépit de son volume, qu'assez peu les choix stratégiques que le Gouvernement a pratiqués », ce qui me conduit à vous demander des précisions sur trois points.

Premièrement, notre groupe souhaite savoir s'il a été procédé à une approche européenne et comparée. Le principe d'autorisation préalable concernant les traitements automatisés de données est remplacé par une auto-évaluation avec un contrôle a posteriori de la CNIL, dont le rôle va donc énormément évoluer. Le régime d'autorisation préalable n'est conservé que dans trois domaines : les données « sécurité sociale », les données biométriques et génétiques, et les données de santé. J'aimerais savoir si vous avez regardé ce que prévoient les autres législations européennes, et quels autres États européens ont fait le choix de passer du principe de l'autorisation préalable à celui de l'auto-évaluation. Par ailleurs, des études d'impact ont-elles été menées dans d'autres États, mettant en évidence les bénéfices et les inconvénients relatifs à la protection des secteurs d'intérêt public ?

Deuxièmement, comme l'a dit l'un de nos collègues, le projet de loi ne traite pas les données relatives à l'éducation et à la scolarité différemment de celles relatives aux autres domaines concernés, en dépit de l'avis exprimé par plusieurs spécialistes. M. Serge Abiteboul, informaticien, membre de l'Académie des sciences et du Conseil national du numérique, a ainsi déclaré : « Le principe essentiel reste celui-ci : l'éducation nationale doit contrôler pleinement l'accès aux données et les mettre au service exclusif de l'éducation ». Madame la garde des Sceaux, les données relatives à l'éducation et à la scolarité n'auraient-elles pas dû être considérées comme relevant d'un secteur sensible ?

Troisièmement, le projet de loi ne traite pas des droits des personnes à être informées de l'utilisation des traitements algorithmiques à leur endroit, notamment quand des décisions administratives pourraient leur être opposées. Ne pensez-vous pas que nous devrions prévoir que les règles relatives à l'utilisation des algorithmes, ainsi que les principaux effets attendus de leur utilisation, soient systématiquement communiqués aux administrés lorsqu'une décision leur est opposée sur la base d'un algorithme ?

Enfin, nous regrettons que des sujets dont nous avons longuement débattu au Parlement par le passé, notamment le droit à l'oubli ou la portabilité des données, ne soient pas traités par ce projet de loi – même s'ils le sont par le règlement.

Pour ce qui est de la réécriture de la loi de 1978, nous souhaitons qu'elle ne se fasse pas par ordonnances, mais puisse bénéficier de nos échanges en commission et en séance publique. Si je connais un certain nombre de hauts fonctionnaires travaillant dans différents ministères et dont les compétences ne sont plus à démontrer, je considère cependant qu'il faut toujours associer le Parlement à l'examen des textes portant sur des sujets aussi importants que celui-ci : il est en effet dommage de se passer de sa « capacité d'étonnement », jadis rappelée par Guy Carcassonne, qui lui permet souvent de porter un regard plus juste sur les textes et de les enrichir.

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