Intervention de Gérard-François Dumont

Réunion du jeudi 18 janvier 2018 à 11h30
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Gérard-François Dumont, professeur à la Sorbonne :

Merci pour votre invitation à contribuer à vos travaux. Je me concentrerai surtout sur votre sixième question, relative aux États dont on peut penser qu'ils font face aux mêmes problématiques que les nôtres : j'essaierai de montrer quelles leçons on peut tirer des expériences étrangères, étant entendu que la diversité géographique de la France fait qu'elle cumule tous les cas possibles.

J'aimerais aussi préciser que je dirige une revue intitulée « Population & Avenir ». S'agissant des questions de risque, l'une de nos préoccupations est d'apporter des connaissances aux populations. Certains numéros de la revue sont ainsi destinés aux collégiens et aux lycéens. Nous allons également publier avec le réseau Canopé – anciennement Centres régionaux de documentation pédagogique (CRDP) – un livre sur les populations et le développement durable. La dernière livraison de « Population & Avenir » comporte en particulier un dossier sur Saint-Barthélemy et Saint-Martin pour les lycéens.

Que signifie la connaissance du risque ? Il faut combiner deux éléments : d'une part, l'aléa, c'est-à-dire la possibilité que se déclenchent des événements climatiques majeurs sur un territoire donné ; d'autre part, la vulnérabilité, qui revient à se demander si les populations sont plus ou moins exposées.

Il n'est pas inintéressant de considérer les stratégies développées dans d'autres pays, car on voit qu'elles sont extrêmement différentes. J'aborderai successivement Tuvalu, les Maldives, Kiribati, la Louisiane, la Floride et les Pays-Bas, avant de conclure sur les enseignements à retenir.

Tuvalu, qui comprend neuf atolls, a un territoire de 26 kilomètres carrés. Si je puis présenter la situation un peu brutalement, la stratégie suivie repose sur un abandon éventuel du territoire, dans l'idée qu'il va être submergé et qu'il faut donc envisager de déménager. D'où, notamment, des négociations avec la Nouvelle-Zélande qui ont débouché sur un programme d'émigration. Les exigences pour l'installation d'habitants de Tuvalu sont très fortes, notamment en matière de connaissances linguistiques et de capacités professionnelles, mais cela reste quand même le principal point mis en avant par les autorités de Tuvalu.

Les Maldives ont adopté une stratégie fondamentalement différente, dans un contexte géographique qui est assez distinct, puisque le pays compte 200 îles habitées : l'ensemble formé par les différents archipels est beaucoup plus grand que Tuvalu. La stratégie retenue est celle d'une réorganisation territoriale. Comme il y a des risques de submersion et que les autorités estiment ne pas être en mesure de construire des digues dans toutes les îles, car cela représenterait des budgets considérables, on a commencé par l'île principale, qui abrite la capitale, en faisant pour l'essentiel appel au Japon dans la mesure où les Maldives ne disposent pas nécessairement des compétences techniques nécessaires. On n'assure par ailleurs la protection que de certaines autres îles, où l'on conseille très fortement aux populations de se regrouper, quitte à abandonner le reste du territoire à la mer. Cela encourage des migrations depuis des espaces considérés comme risquant d'être perdus un jour, les services publics, comme les écoles, étant conservés dans seulement quelques îles.

Dans le cas de Kiribati, deux stratégies se cumulent. La première ressemble, dans une certaine mesure, à celle des Maldives : on utilise des techniques « dures », à savoir la construction de digues, ou plus douces pour essayer de protéger l'oekoumène de l'élévation du niveau de la mer. Parallèlement, la décision a été prise d'acheter des terres dans les îles Fidji, en vue d'un repli dans des territoires non submergés par la mer.

Dirigeons-nous maintenant vers la mer des Caraïbes pour évoquer deux États américains : la Floride et la Louisiane.

Le cas de la Louisiane est celui dont on a le plus parlé au cours des dernières années, à cause du cyclone Katrina qui a causé 1 800 morts en 2005, ce qui est considérable. Chacun connaît la raison fondamentale : l'évacuation a été organisée beaucoup trop tard et il a fallu procéder presque individuellement dans un certain nombre de situations, par hélicoptère – pour un coût énorme – et en affrétant des centaines de bateaux et de camions militaires. L'expérience de Katrina montre qu'une réponse locale tardive ne peut pas être suppléée par une réponse nationale – ou fédérale aux États-Unis : dans ce pays, on considère qu'il faut sept jours pour qu'une telle réponse arrive, ce qui risque d'être trop lent.

Le cas de la Louisiane mérite d'être comparé à celui de la Floride, qui a subi en octobre de la même année le cyclone Wilma, l'un des plus forts que l'État ait connus. Sur les 18 millions de personnes concernées – un chiffre colossal –, on a déploré un seul décès, causé par la chute d'un arbre.

Il convient de s'interroger sur des mortalités aussi différentes – 1 800 morts d'un côté, un seul de l'autre – dans le même pays, les États-Unis, avec le même système administratif. Je ne parle pas des milliers de morts en Haïti, causées par de simples tempêtes.

Le premier élément tient à la qualité de l'information sur le risque, transmise par les autorités à l'ensemble de la population. Le deuxième élément, c'est l'évacuation des personnes, décidée à J-7, très en amont de l'arrivée du cyclone, dans un territoire doté d'un réseau autoroutier assez dense, complété à cette période par une signalétique très précise qui indiquait aux automobilistes quelle direction emprunter. Troisième élément qui contribue à abaisser la vulnérabilité des populations, l'habitude : les habitants étaient informés et connaissaient le risque - certains d'entre eux doivent évacuer deux fois par an. Le moins que l'on puisse dire est que les autorités de Louisiane ont été particulièrement défaillantes. Ces expériences sont éclairantes pour les littoraux français.

Il est intéressant de voir comment les Pays-Bas, qui sont dotés de terres basses, ont réagi aux risques de submersion marine. C'est quatre ans après les événements gravissimes de 1953, lorsque 1 835 personnes ont péri noyées, que le plan « Delta » a été lancé. Ce plan d'aménagement, prévoyant la construction d'infrastructures telles que des barrages, des digues ou des écluses, a fonctionné : aucun des événements climatiques subis depuis par les Pays-Bas n'a eu de conséquences comparables.

Le pays, bien informé des risques d'élévation du niveau de la mer, a arrêté en 2012 un nouveau « plan Delta ». De nombreux travaux sont prévus d'ici 2050 et certains sont déjà engagés- pour un investissement de 20 milliards d'euros. La logique est quelque peu différente du plan précédent, essentiellement défensif. Il ne s'agit pas seulement de couler du béton, et de renforcer évidemment les digues du Zuidersee, mais d'agir de façon indirecte : recharge des dunes naturelles, création de bancs de sable artificiels, en intégrant une stratégie de développement durable. Selon les hypothèses en cours, l'élévation du niveau de la mer pourrait entraîner la submersion de 59 % du territoire, ce qui obligerait 9 millions de Néerlandais à déménager sur les terres fermes et aurait un impact économique majeur, dans la mesure où la plus grande partie de l'activité économique se situe dans les zones potentiellement inondables.

Quels enseignements tirer de ces différentes expériences étrangères ? Le premier, c'est que la connaissance des aléas est essentielle. Bien sûr, nous avons en France des experts, mais l'ensemble de la population doit être bien informée. Différents programmes scolaires devraient participer de cette meilleure connaissance.

L'aménagement du territoire est une autre façon de lutter contre les aléas, notamment contre la submersion marine, qu'il s'agisse de mettre en oeuvre des mesures « dures », comme des barrages, des digues, ou des mesures « souples » comme le rechargement des dunes.

Si les décideurs jouent un rôle important, les citoyens doivent être conscients des risques et de la nécessité de partir temporairement. Ils doivent avoir anticipé l'événement, pour protéger leur maison par exemple, avant de quitter les lieux. La gestion de la crise est essentielle pour que les choses se passent le moins mal possible.

Enfin, la réflexion face à ces événements majeurs doit prendre en compte plusieurs dimensions : la dimension sociale – partage des connaissances et des attitudes –, la dimension économique – capacité à retrouver le dynamisme économique antérieur –, et la dimension environnementale.

Je conclurai donc sur un paradoxe. La question démographique n'est pas l'essentiel : ce qui compte, c'est l'éducation des populations, la prévention des événements, la mise en oeuvre de politiques d'aménagement du territoire. Il importe de disposer de données quantitatives, mais tout réside dans l'approche qualitative de la gestion des événements climatiques majeurs.

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