Intervention de Jean-François Delfraissy

Réunion du mercredi 17 janvier 2018 à 16h30
Commission des affaires sociales

Jean-François Delfraissy :

Je crois que mon exposé liminaire a déjà apporté un éclairage sur un certain nombre de points, mais je pourrai y revenir, bien sûr.

Au préalable, je voudrais insister sur ce que j'ai qualifié tout à l'heure d'inquiétude – et je dois dire qu'elle n'est pas totalement apaisée à l'issue de vos questions. L'enjeu des états généraux de la bioéthique consiste à se donner un temps d'intelligence collective, ou de démocratie citoyenne, sur les sujets de santé – car il ne s'agira pas seulement de la PMA et de la fin de vie. Nous serons tous responsables de cet exercice qui est très difficile à organiser, et nous en sommes tous conscients. Vous êtes des partenaires importants, car vous constituez des relais avec les citoyens et vous allez probablement aussi participer à certains débats dans vos régions. Les journalistes sont focalisés sur les aspects sociétaux, autour de la PMA et de la fin de vie, probablement parce que ce sont des sujets plus politiques, mais nous devons tous faire très attention à ce que le débat soit plus large. J'ai été le premier, et je l'assume, à inscrire à l'agenda des états généraux une réflexion sur la PMA sociétale et la fin de vie, c'est-à-dire, disons-le, le suicide assisté, mais il faut ouvrir davantage cette fenêtre en pensant aux nouvelles générations.

Il y a en effet d'autres enjeux majeurs, tels que les nouvelles techniques de génomique : que pourra-t-on faire sur les gamètes avec les « ciseaux génétiques » ? À partir du moment où une famille a une maladie dont le gène est connu, l'exciser sur l'embryon doit-il être considéré comme un nouvel acte thérapeutique dans les années 2018-2020 ou, au contraire, comme le début d'un eugénisme susceptible d'introduire des modifications sur d'autres aspects ? C'est une question importante, comme d'autres, notamment celles qui concernent les neurosciences. Ma demande est très simple : il faut ouvrir une fenêtre, en parlant bien sûr de la fin de la vie et de la PMA sociétale, mais aussi d'autres sujets. Les enjeux juridiques que vous avez évoqués sont essentiels, mais nos concitoyens ne les perçoivent pas bien, tant ces questions sont difficiles. L'évolution de la loi ne dépend pas du CCNE, mais de vous, et ce sont les décisions du Conseil d'État et de la Cour de cassation qui nous font avancer dans certains domaines. Je le répète : dans la réflexion, délicate, qui est à mener, il faut mettre en lumière d'autres sujets dont la perception n'est pas évidente pour nos concitoyens.

J'en viens plus directement à vos questions.

En ce qui concerne la PMA et la GPA, il y a un avis du CCNE : il me semble que nous avons adopté au mois de juin dernier une position assez claire. Ce qui ne l'était pas totalement, mais cela pourrait être précisé à la faveur du débat qui vient, est la question des conditions financières. Si la PMA était ouverte aux femmes seules et aux couples de femmes, vers quel modèle financier irait-on ? L'avis du CCNE n'est qu'un avis parmi d'autres, il ne doit pas primer lors des états généraux : le CCNE doit au contraire s'effacer. Il est là pour porter le débat citoyen, pour essayer de faire en sorte qu'il soit aussi constructif que possible. Nous avons donné notre avis, et nous le referons plus tard, mais notre position ne doit pas l'emporter. Elle est importante, mais pas unique : il ne s'agit pas seulement d'un débat d'experts ; on doit faire remonter ce que pense l'ensemble de la communauté.

La question des données génétiques est extrêmement importante dans le cadre des nouvelles techniques de génomique. On peut trouver sur internet des offres de tests concernant le génome entier – prétendument – pour deux cents dollars et je ne crois pas me tromper en disant que cela pourrait être aussi le fait de start-up françaises dans deux ou trois ans, pour cinquante euros. Vous imaginez bien les enjeux que cela représente… En sortant d'une boîte de nuit, on ne demandera plus à voir un test HIV, mais une étude genome-wide, pour savoir si l'on va plus loin ou non. Tout cela se fait hors circuit médical, sur internet. On choisit de s'intéresser à des gènes particulièrement associés à certaines pathologies, mais il reste beaucoup de zones d'ombre et les gens, affolés, reçoivent leurs résultats à domicile sans vraiment comprendre de quoi il retourne. Ils vont ensuite consulter des médecins qui n'ont jamais prescrit de tels tests. Cela ne fait que commencer en France, mais c'est déjà monnaie courante aux États-Unis dans des milieux un peu privilégiés : on a son test genome-wide.

La science évolue beaucoup et elle va nous interpeller plus vite qu'on ne le croit sur d'autres sujets que ceux de nature sociétale. Que fait-on ? Le permet-on ? Comment s'organise-t-on pour les consultations de génomique ? Comment intègre-t-on ce sujet dans le plan « France médecine génomique 2025 » qui est en train d'être lancé ? Quels aspects éthiques prend-on en compte ? Il y a toute une série de grandes questions à se poser.

Je suis sensible aux interrogations concernant la santé des migrants. C'est un sujet auquel le CCNE s'est intéressé, dans un avis que vous pourrez consulter, mais il n'entre pas tout à fait dans le champ des états généraux de la bioéthique. On peut l'y raccrocher à travers un sujet que je n'ai pas évoqué mais qui va probablement se faire jour d'une manière ou d'une autre : celui de la médecine du futur, qui avance à grands pas – avec la médecine connectée, les grandes plateformes et les robots. Dans ce contexte, quel sera le consentement du patient ? Quelles seront les règles éthiques si l'on n'est pas opéré par un chirurgien, mais par un robot, par exemple lors d'une intervention neurochirurgicale ? Va-t-on signer un consentement à l'égard d'intervention d'un robot ? J'avoue ne pas savoir… S'il y a un lien avec les migrants, c'est que les populations les plus défavorisées seront les plus à la peine dans ce nouveau modèle : les migrants, comme d'autres patients, seront les moins informés, et une partie des actes seront probablement payants dans un premier temps.

Oui, la question de l'anonymat du don de gamètes se pose, et elle figure à l'ordre du jour des états généraux. Un certain nombre d'associations qui m'ont écrit demandent la levée de l'anonymat : il faut les écouter. Une position a été adoptée il y a quelques années, mais la France d'alors n'est plus celle d'aujourd'hui. Il y a une vraie question, à mes yeux, à partir du moment où une demande existe. Quand on n'est pas soi-même issu d'un don de gamètes, je trouve qu'il est très difficile de prendre des décisions un peu restrictives à l'égard de personnes connaissant mieux que quiconque le problème. J'attends pour ma part, et c'est l'un des intérêts des états généraux que de permettre d'écouter ce qu'ont à dire certaines associations qui ont réfléchi au sujet et ont entendu leurs propres adhérents : elles vont peut-être nous permettre de mieux construire la pensée sur ce point.

En ce qui concerne la fin de vie, quel bilan peut-on faire ? Après la loi dite « Claeys-Leonetti » et les décrets d'application, que s'est-il passé dans les unités hospitalières et les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ? Dans le grand hôpital de la région parisienne où j'exerce, celui de Bicêtre, il existe de très fortes disparités dans la manière dont les équipes se sont emparées de la question. Le plus souvent, on a avancé quand ce ne sont pas les médecins qui s'en occupent, mais les soignants – il faut appeler un chat un chat. Il y a aussi de grandes différences entre les services de réanimation pédiatrique, chirurgicale et neurochirurgicale, ainsi qu'entre les EHPAD. Au sein du même établissement hospitalier, on trouve des positions différentes selon que la hiérarchie médicale, pour résumer, a laissé le débat s'installer ou non. Il y a par ailleurs de grandes disparités entre les EHPAD – c'est un sujet connu. Une enquête de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) est en cours, à la demande de la ministre de la santé, afin de dresser un premier bilan. Est-il possible de le faire alors que moins d'un an s'est écoulé depuis les décrets d'application ? Je n'apporterai pas de réponse aujourd'hui, car j'attends de voir ce qui va se passer. Mais je sais, en tant que praticien, qu'il existe de fortes variations entre les structures.

Vous m'avez interrogé sur la question des procédures, notamment la prise de décision collégiale. Veut-on aller plus loin que la loi « Claeys-Leonetti » ? Je pense que le débat doit avoir lieu et j'ai souhaité que ce soit le cas, mais cela entre-t-il dans le cadre d'une loi de bioéthique ou dans un autre ? Le sujet relève bien de l'éthique, mais on ne peut pas dire, malheureusement, qu'il y ait un progrès scientifique à prendre en compte. On peut se poser la question, mais c'est vous qui apporterez la réponse – même si nous allons essayer de vous éclairer autant que possible. Je crois que la France est divisée sur ce sujet, peut-être plus qu'on ne le croit et pas seulement suivant des lignes politiques, mais aussi culturelles. Globalement, vous savez que les médecins ne sont pas très favorables : c'est compliqué pour nous, même si on avance. Par conséquent, laissons le débat citoyen s'instaurer.

Nous allons aborder tous les sujets émergents, autour de l'intelligence artificielle, du big data, de la robotisation, de la santé et de l'environnement ou encore des nouvelles techniques génomiques, dans le cadre des débats au niveau régional et des discussions avec les scientifiques.

Je suis très sensible à la question concernant l'outre-mer : c'est le maillon faible, comme souvent.

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