Intervention de Patrick Jeantet

Réunion du mercredi 7 février 2018 à 8h40
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau :

J'insisterai sur les points relatifs à l'infrastructure ferroviaire.

La dette financière de SNCF Réseau aujourd'hui s'accroît, hors développement, de 2,5 milliards par an, dont 1,3 milliard de frais financiers et dont, par conséquent, 1,2 milliard doit être couvert par la productivité ou des recettes. Nous ne sommes donc pas à l'équilibre, nous ne couvrons pas nos coûts complets. Quand je demande à mes équipes de faire 100 millions d'euros de gain de productivité par an, cela équivaut à une variation de 0,2 % des taux d'intérêt. On voit bien que notre dette est totalement déraisonnable par rapport à la taille et aux fondamentaux financiers de l'entreprise.

Notre taux d'endettement, le taux de la « règle d'or » que vous avez votée il y a quelques années, est de 23,8 %, et vous savez que, tant que nous sommes au-dessus de 18 % de taux d'endettement, les investissements de développement ne sont plus financés par SNCF Réseau mais par les demandeurs, c'est-à-dire l'État et les collectivités locales. Nous verrons ce que le rapport Spinetta et le Gouvernement décident à ce sujet.

S'agissant des investissements de renouvellement et de la question de savoir si davantage de ces investissements n'auraient pas d'effet sur la qualité de la circulation, les travaux sont aujourd'hui à l'origine de 4 % du total des retards, toutes causes confondues. L'obsolescence de la signalisation et de la caténaire sont responsables à hauteur d'environ 15 % ; c'est la cause majeure. On ne peut pas laisser se dégrader notre signalisation comme cela, nous avons donc besoin de rebasculer 100 ou 200 millions d'euros vers la signalisation. Si nous restons dans la même enveloppe, cela signifie que nous serons obligés d'arrêter une suite rapide sur les trois, c'est-à-dire d'arrêter un train-usine qui change mille mètres par nuit, et un peu plus de jour, ce qui permet de doubler le linéaire de voies changées. C'est quelque chose que nous ne souhaitons pas, sachant que nous mettrons déjà trente ans à renouveler l'ensemble. C'est pourquoi nous discutons avec le Gouvernement pour obtenir un peu plus pour la signalisation.

Il n'y a pas pour SNCF Réseau d'ouverture à la concurrence, mais potentiellement plus de clients. Dans ce cadre, nos équipes sont autonomes et impartiales, et je pense que le système actuel est équilibré. M. Guillaume Pepy n'intervient pas sur ces sujets. Il existe une garantie d'accès équitable pour toutes les entreprises ferroviaires au réseau. Nous sommes en contact avec les régions qui souhaitent ouvrir l'activité à la concurrence, afin de les assister sur les itinéraires et les voies de service pour que la transition, quand elle sera décidée, se passe bien.

Je reviens aux incidents, à commencer par ceux de Montparnasse 1, le 31 juillet, puis de Montparnasse 2. La cause en était le même projet d'extension de la capacité de la gare Montparnasse. Avec l'inauguration des LGV Sud Europe Atlantique (SEA) et Bretagne-Pays de la Loire (BPL), nous souhaitons mettre bien plus de TGV sur cette zone. Pour augmenter la capacité de la gare Montparnasse, nous avons donc augmenté la capacité des postes de télécommande d'aiguillage et nous avons mis pour cela des technologies d'aujourd'hui sur des postes plus anciens, augmentant ainsi le niveau de risque. Et le risque s'est malheureusement concrétisé dans des incidents.

À Saint-Lazare et à la gare du Nord, le sujet est celui de la conception de systèmes d'alimentation électrique qui ne sont pas du tout au niveau du volume de trafic dans ces gares. C'est pourquoi j'ai lancé une expertise détaillée en vue de dire, sur les dix plus grandes gares françaises, ce qu'il faudrait faire pour rendre les systèmes plus robustes.

Que s'est-il passé à la gare Saint-Lazare ? Il faut savoir que le poste d'alimentation de cette gare dessert à la fois le centre de maintenance des trains et le poste de télécommande des aiguillages. Après qu'un court-circuit sur une des machines à laver du centre de maintenance a fait sauter l'alimentation, le poste d'aiguillage n'a plus été alimenté et la gare s'est trouvée à l'arrêt. La réparation a été effectuée en deux heures. L'impact médiatique de l'événement a été très largement supérieur aux effets réels de l'incident. Nous estimons que 2 000 à 2 500 clients ont été touchés sur les 1,5 million de passagers qui empruntent tous les jours les gares parisiennes. Je ne dis pas que ces 2 500 clients n'ont pas d'importance – nous nous en préoccupons évidemment –, mais il faut aussi relativiser.

Nous avons eu de nombreux « presque incidents ». Par exemple, à la gare du Nord, nous avons eu un problème avec un point d'alimentation électrique du RER B, qui n'était pas « redondé ». Il a sauté, ce qui a coupé l'alimentation électrique – le nombre de trains a alors baissé de 10 à 30 % à cet endroit précis. Cet incident a été à peu près maîtrisé mais, en Île-de-France, le système est extrêmement fragile : il n'a pas été conçu pour le nombre de trains qui circulent aujourd'hui.

Nos investissements sont passés de 1 milliard à 1,6 milliard d'euros entre 2015 et 2017. Ils s'élèveront à 2 milliards en 2020. De ce fait, le volume des travaux augmentera substantiellement en Île-de-France, et il faut ajouter ceux de la Société du Grand Paris (SGP), plus ceux mis en oeuvre par d'autres maîtres d'ouvrage. Les travaux de la SGP sont importants pour nous car nous connectons toutes les lignes nouvelles du métro automatique à notre système ferroviaire – tout est interconnecté. Nous avons par exemple démonté toute la gare de Clamart pour construire une dalle sous laquelle se trouvera la gare du Grand Paris Express.

Tous ces travaux complexes sont menés par de grands professionnels, mais, étant donné leur volume, ne nous faisons pas d'illusions : il y aura des incidents ! Celui du percement du tunnel du RER A, en octobre dernier, lors des travaux de prolongement d'Eole en est un exemple. Nous veillons à ce qu'il y en ait le moins possible. Nous avons mis en place des conventions entre les maîtres d'ouvrage afin qu'ils travaillent ensemble sur le niveau de risque. Cependant, entre aujourd'hui et 2024, la SGP et nous-mêmes avons prévu énormément de travaux, ce qui augmente les risques. Nous avons évidemment prévu tous les systèmes de gouvernance et de maîtrise des risques pour minimiser ces impacts, mais je ne vous cache pas que le risque zéro n'existe pas vraiment.

Les volumes de travaux ont fortement augmenté, en particulier ceux de régénération : en Île-de-France, ils atteignent 800 millions d'euros, ce qui correspond à la demande du Syndicat des transports d'Île-de-France, le STIF.

Pour reprendre le concept majeur de « noeud ferroviaire » réintroduit par le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures, on constate que les grands noeuds ferroviaires français n'ont pas fait l'objet des investissements nécessaires. La plupart des plans de voies des grandes gares françaises ont été établis avant la dernière guerre alors que les circulations ne sont plus du tout les mêmes. Les systèmes d'énergie ont été à peine modifiés alors que la vitesse et, corrélativement, la consommation d'énergie n'ont plus rien à voir. Il existe désormais des trains automoteurs dont les déplacements dans la gare créent des embouteillages.

Il n'est évidemment pas question d'interrompre les circulations s'agissant de gares déjà saturées. Il faudra faire des travaux à petites doses, principalement de nuit, afin d'améliorer l'efficacité des noeuds ferroviaires – le diagnostic que je lance concerne aussi les grandes gares de province.

La robustesse, c'est-à-dire l'exploitation, doit être replacée au centre de nos préoccupations. C'est le sens du projet « H00 » consacré à la robustesse et à l'information des voyageurs dont M. Guillaume Pepy vous a parlé. Nous le suivrons personnellement. L'année 2017 était consacrée à la conception de ce projet ; 2018 permettra son appropriation sur le terrain. Car tout dépend du terrain : les trains partent à l'heure dans des gares disséminées dans le territoire national.

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