Intervention de Gonéri le Cozannet

Réunion du jeudi 1er février 2018 à 9h00
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Gonéri le Cozannet, prévention des risques et reconstruction au BRGM :

Le schéma ci-dessous décrit les processus qui sont à l'origine des submersions marines lors des tempêtes.

Lors d'une tempête, la baisse des pressions atmosphériques entraîne une surélévation du plan d'eau. Les vents peuvent pousser les masses d'eau vers la côte. Enfin, un processus relativement local se produit au moment du déferlement des vagues, qui conduit à une surélévation de l'eau. On l'appelle le wave set up. Il conduit à une élévation du niveau de l'eau qui peut atteindre quelques dizaines de centimètres. Lors des submersions marines, nous devons à la fois prendre en compte des facteurs à très grande échelle, au niveau de l'Atlantique nord – vagues, vents, pressions – mais également des phénomènes extrêmement locaux liés au déferlement des vagues et au va-et-vient de chacune de ces vagues, ce qui rend l'exercice difficile.

L'élévation du niveau de la mer induira des submersions marines plus intenses et plus fréquentes. Pour s'en rendre compte, il suffit de regarder n'importe quelle courbe d'extrême au niveau de la côte – comme celle produite par le CEREMA. On note que l'écart entre une tempête centennale – qui a une chance sur cent d'intervenir chaque année – et une tempête décennale – qui a une chance sur dix d'intervenir chaque année – est de l'ordre de quarante à cinquante centimètres d'élévation du niveau de la mer.

Pour appuyer la prévention et la préparation aux crises nous disposons d'outils de modélisation, illustrés ci-dessous, dans lesquels on utilise les vagues, modélisées à l'échelle de l'Atlantique nord, les courants et les marées au niveau du plateau continental, mais également, sur une maille très fine, des données LIDAR (laser detection and ranging pour détection et estimation de la distance par laser) qui permettent de reproduire le sol et les fonds marins avec une précision d'un mètre, et de modéliser chaque vague.

Nous pouvons ainsi reconstituer exactement le déroulement du processus de submersion qui s'est produit en 2008 à Gavres dans le Morbihan, dû au franchissement de vagues au-dessus du système de défense, accompagné d'une rupture de la défense. Il est donc nécessaire de représenter chaque vague pour visualiser quelle quantité d'eau est passée au-dessus des défenses et obtenir des représentations réalistes de l'inondation au niveau de ce site – comme nous pourrions le faire pour n'importe quel site.

Dans cet exemple, la modélisation a été validée en reprenant les hauteurs d'eau, mesurées par des collègues du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l'université, au niveau des maisons, mais également les mesures réalisées par des observateurs locaux à différents moments de la journée. Les simulations temporelles concordent avec ce qui a été observé sur le terrain.

Ces outils se sont beaucoup développés après Xynthia, même si la recherche s'en servait déjà auparavant. Le BRGM les déploie localement sur un certain nombre de sites, soit pour contribuer directement aux plans de prévention des risques (PPR) – comme à Dieppe, Arcachon ou Mimizan –, soit dans le cadre de projets de recherche, soit – comme en Camargue –, pour appuyer la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) dans la gestion des risques.

Dans tous les cas, ces modélisations reposent sur des données qu'il faut continuer à collecter et sur le développement de modèles dans lesquels il faut continuer à intégrer davantage de processus – la pluie, les apports d'eau par les fleuves, etc. Autrement dit, il y a encore des efforts à faire.

Sur de tels sites, même si le niveau de la mer s'élève « seulement » de dix à vingt centimètres, le niveau d'eau monte bien au-delà , car il est plus élevé et plus de paquets de mer passent au-dessus des défenses. Si la mer s'élève de dix centimètres, le niveau d'eau augmente, lui, en moyenne de quinze centimètres. La nécessité d'adaptation de ce type de site est donc quasiment immédiate.

Le niveau de la mer est pris en compte dans la prévention des risques littoraux. Les plans de prévention des risques (PPR) littoraux indiquent déjà qu'il faut immédiatement prendre en compte une élévation du niveau de la mer de vingt centimètres – que l'on atteindra entre 2030 et 2050 – et de quarante à soixante centimètres d'élévation du niveau de la mer en 2100. Le scénario bleu prend en compte de faibles émissions de gaz à effet de serre, alors que le scénario rouge prévoit d'assez fortes émissions. Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), nous avons deux tiers de chance d'être dans ces bandes bleues et un tiers de risque d'être au-dessus.

Et même si nous limitons les émissions de gaz à effet de serre, en respectant les accords de Paris, nous avons tout de même un tiers de chance d'être au-dessus de ce qui est prévu actuellement dans la réglementation. Cela mérite d'être signalé car nous ne sommes pas toujours entendus sur le terrain lorsqu'on essaie de justifier ces soixante centimètres…

Nous avons parlé de submersion marine, mais se pose également la question du recul du trait de côte et de l'érosion. Pour parler d'érosion, il faut prendre en compte des phénomènes très complexes liés au transport sédimentaire transversal ou longitudinal, au transport éolien, aux apports de sédiments par les fleuves, à l'érosion des falaises et des sols, à l'impact des ouvrages côtiers et des aménagements fluviaux, etc. Nous sommes beaucoup moins équipés en la matière que pour la submersion marine. Lorsque nous disposons de suffisamment de données passées, nous réalisons malgré tout des études permettant d'alimenter les plans de prévention des risques littoraux sur ces questions.

Comme je viens de vous l'expliquer, nous avons besoin de nombreuses données. Par ailleurs, nos modèles prospectifs distinguent deux types de situations : la situation de droite – en vert – modélise un scénario compatible avec l'accord de Paris, avec une faible érosion ; la situation de gauche – en rouge – modélise un scénario d'élévation du niveau de la mer lié à la poursuite de l'émission des gaz à effet de serre. Dans ce dernier cas, on constate une accélération de l'érosion vers le milieu du XXIe siècle.

On comprend toujours mal les processus à l'origine de l'érosion. Qui plus est, on ne sait actuellement pas placer de manière probabiliste un certain nombre de phénomènes. Ainsi, entre 2013 et 2014, la succession de tempêtes en Europe de l'ouest a causé des reculs du trait de côte de vingt mètres, ou plus, le long du littoral – comme en Aquitaine. Individuellement, chaque tempête n'est pas extrême et cette succession de tempêtes a très peu de chances d'intervenir : on ne sait donc pas dire quelle est la probabilité de survenance d'une telle succession d'événements.

À côté des événements dont on est capable d'indiquer la probabilité, il est donc également important de considérer le cas d'événements très peu probables, qu'on sait mal qualifier en termes de probabilité de survenance, mais qui en fait interviennent malgré tout.

L'élévation du niveau de la mer, comme vous l'a indiqué Anny Cazenave, se poursuivra pendant plusieurs siècles. Des études de collègues américains montrent bien que la transition postglaciaire a duré 20 000 ans et entraîné une élévation de 120 mètres du niveau de la mer, du fait de la fonte des calottes en Scandinavie et au Canada. Ensuite, pendant 6 000 ans, les niveaux marins sont restés stables. Nous regardons actuellement ce qui se passe sur cent ans, mais cela représente deux pixels sur ce schéma ! En réalité, deux cents ans de révolution industrielle et d'émissions de gaz à effet de serre induiront plusieurs centaines de milliers d'années d'élévation du niveau de la mer… Que se passera-t-il si l'on arrive à limiter les émissions de gaz à effet de serre ? On limitera la vitesse de cette élévation. Si la vitesse est limitée à cinquante centimètres par siècle, on devrait pouvoir s'adapter. À l'inverse, si on atteint des pics de quatre mètres par siècle, ce sera plus complexe…

Ma conclusion est la même que celle de toutes les personnes qui travaillent sur les questions côtières en France et à l'international : les politiques publiques qui permettraient de s'adapter à l'élévation du niveau de la mer ne sont pas suffisantes. Si nous voulons être en mesure de nous adapter, elles devront s'accompagner d'une atténuation du changement climatique.

Par ailleurs, comme nous comprenons encore mal certains phénomènes – notamment l'érosion –, il est important de poursuivre nos efforts d'observation pour être capables d'identifier les signaux précurseurs.

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