Intervention de Pascal Teixeira Da Silva

Réunion du mardi 23 janvier 2018 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations :

Monsieur Girardin, comme je l'ai dit au début de mon intervention, nous ne sommes pas favorables à une révision de la convention de Genève. Il faut être plus pragmatique. Il y a – et il y aura – indéniablement de plus en plus de déplacés climatiques, souvent d'ailleurs déplacés dans leur propre pays ou dans les pays voisins. Mais il n'y a pas de causes climatiques uniques et une même situation peut être traitée de différentes manières selon les États. S'il faut porter à ces déplacés l'assistance dont ils ont besoin, il serait dangereux de renégocier cette convention car on risquerait d'aboutir à un texte beaucoup moins protecteur qu'il ne l'est actuellement.

S'agissant des vrais et des faux réfugiés, toute la difficulté réside dans les flux mixtes. Il est nécessaire d'identifier le plus en amont possible sur les routes migratoires les personnes éligibles à une protection internationale au titre de la convention de Genève, avant qu'elles s'engagent sur des voies périlleuses. L'objectif fondamental du Président de la République et du Gouvernement est de maintenir cette distinction entre réfugiés et migrants économiques et d'accélérer le traitement des procédures d'asile.

Concernant les évacuations de Libye, en marge du sommet d'Abidjan, un plan en neuf points visant notamment à améliorer l'accès humanitaire et l'accès des organisations internationales – OIM, HCR – aux migrants et aux réfugiés, dans les fameux camps qui sont en partie sous contrôle gouvernemental, a effectivement été élaboré. Il s'agit aussi d'accélérer deux types d'opérations : les retours volontaires aidés, sous l'égide de l'OIM, des migrants qui ne sont pas éligibles à la protection internationale vers leur pays d'origine, et les évacuations de réfugiés, sous l'égide du HCR.

L'OIM a ainsi rapatrié vers leur pays d'origine environ 30 000 migrants ; l'objectif est de parvenir à 40 000 rapatriements supplémentaires. Cette opération nécessite non seulement des moyens financiers – sur les 200 millions d'euros dont elle a besoin, l'OIM en a déjà reçu 100 de l'Union européenne – mais aussi la coopération des pays d'origine pour la délivrance de titres de voyages et de laissez-passer. Jusqu'à présent, les pays africains d'origine étaient assez peu coopératifs. Ils le sont devenus par la force des choses car les images ont beaucoup choqué et que prêter son concours à une opération de rapatriement est plutôt considéré comme valorisant auprès de l'opinion publique. En pratique, les choses ne se passent pas toujours de façon idéale car certains pays n'ont de représentation ni diplomatique ni consulaire en Libye. Il faut alors passer par des espèces de chefs communautaires improvisés, plus ou moins efficaces, coopératifs et intègres. Ces chefs, qui sont, de fait, les intermédiaires locaux, se font en effet rémunérer. Bref, cette opération n'est pas facile même si l'OIM estime que ses conditions de travail et d'accès se sont améliorées.

La situation est plus compliquée pour le HCR. Le nombre de réfugiés est estimé à 42 000 mais je pense qu'il est plus important. En outre, les Libyens, qui ne sont pas signataires de la convention de Genève, ne reconnaissent prima facie que huit nationalités comme éligibles à la protection internationale : les Palestiniens, les Irakiens, les Syriens, les Érythréens, les Somaliens, les Soudanais et les Éthiopiens de l'Oromo, auxquels ils ont ajouté les Yéménites. Toutes les autres personnes sont dans une catégorie indéterminée, ce qui complique le travail d'évacuation des réfugiés accompli par le HCR, soit vers des centres de transit, soit dans le cadre d'opérations de réinstallation.

Le Pacte mondial donnera lieu à une grande négociation cette année. L'objectif n'est pas d'avoir un document juridiquement contraignant ni une simple déclaration mais d'élaborer un programme d'actions concrètes qui soit suffisamment équilibré et qui prenne en compte les points de vue des différents pays d'origine, de transit et de destination. Il faudra aussi trouver un équilibre entre droits et devoirs des migrants, et définir ces droits – protection des droits de l'homme, droit à un travail décent, etc. Il y a en la matière beaucoup de choses à améliorer car dans de nombreux pays de la planète, les situations laissent à désirer – c'est un euphémisme. La France a fait des propositions. Le dispositif français applicable aux mineurs non accompagnés est ainsi assez protecteur, ce qui n'est pas le cas partout.

L'objectif de ce programme d'actions est aussi d'échanger les bonnes pratiques et d'améliorer la situation en tenant compte de l'ensemble des points de vue. Or le fait que les États-Unis se soient retirés du processus de négociations juste avant la conférence qui a eu lieu au Mexique au début du mois de décembre est une mauvaise nouvelle pour le multilatéralisme en général et pour cette négociation en particulier. Cela met l'Europe au premier plan. Si la problématique est internationale, on voit bien en effet qu'il y a des tropismes régionaux. Les Latino-américains se préoccupent surtout de la politique migratoire américaine. En Asie du Sud et du Sud-Est, les migrations s'effectuent essentiellement vers les pays du Golfe qui sont assez imperméables aux critiques. Reste la revendication africaine vis-à-vis des Européens, le risque étant qu'elle soit outrancière, telle celle du ministre malien de l'extérieur. Ce dernier considère en effet que pour régler le problème de l'immigration irrégulière, il faut libéraliser les visas et régulariser en masse la situation des personnes se trouvant irrégulièrement sur le sol européen. Certes, on peut aborder les négociations de cette façon mais ce ne sera pas très productif. Il faut aboutir à un texte qui soit consensuel tout en permettant des progrès concrets.

La question des réseaux est complexe mais cruciale, Monsieur Leroy. Plusieurs actions doivent être menées, à commencer par le renforcement capacitaire dans les pays concernés. Lors de mes tournées sur place, je me suis rendu compte que certains services de police manquaient cruellement de moyens. Ce renforcement capacitaire est en cours et doit se poursuivre, dans le cadre non seulement cadre bilatéral mais aussi européen. L'échange de renseignements, à la fois entre pays africains et entre pays africains et européens, doit également progresser, de même que la coopération régionale en Afrique, qui reste très insuffisante, informelle et marquée par la défiance. Enfin, il est nécessaire de mieux connaître les phénomènes de réseaux. Autant, on identifie assez aisément ces réseaux en Libye et au Niger, autant la liberté de circulation au sein de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CÉDÉAO) rend les filières de passeurs moins évidentes à détecter. Ce travail de connaissance du phénomène, auquel contribue le Fonds fiduciaire d'urgence (FFU), revêt une dimension européenne. Nos partenaires allemands, espagnols et italiens commencent d'ailleurs à s'investir au Niger et au Mali.

En ce qui concerne le régime commun d'asile, je préfère ne pas vous répondre car je ne suis pas compétent en matière de négociations de textes européens. Il faudrait interroger les ministères de l'Europe et des affaires étrangères et de l'intérieur.

Monsieur Lecoq, Mme la présidente vous a répondu s'agissant du huis clos. Nommé depuis quatre mois à ce poste, j'ai répondu volontiers à la demande d'audition qui m'avait été faite pour partager ma courte expérience avec la représentation nationale. En revanche, je ne me sens pas habilité à ce que mes propos soient rendus publics.

Je rencontre les acteurs directement concernés. Lors de mes missions à l'étranger je rencontre aussi des associations de migrants et évidemment nos ambassadeurs sur place. Dans certains cas, on s'aperçoit que la migration est considérée comme une façon d'éviter de prendre ses responsabilités à bras-le-corps dans son pays : on envoie quelqu'un en Europe pour qu'il fasse vivre vingt personnes inactives. La situation est très contrastée et tous les modèles ne se valent pas en matière migratoire.

J'en viens au dialogue avec les pays d'origine. Lorsque je rencontre les ministres de ces pays, je ne leur parle pas uniquement de laissez-passer consulaires (LPC) et de visas : j'aborde la problématique migratoire dans son ensemble. Je leur explique que si leurs pays ont des contraintes et une politique intérieure, le nôtre en a aussi ; que la France est un État de droit et a ses règles ; que lorsque j'arrive sur leur territoire, je suis muni d'un visa, je suis contrôlé et je respecte les règles en vigueur ; qu'en conséquence, nous attendons aussi des ressortissants de leurs pays qu'ils respectent les règles de l'État français. Le dialogue avec ces différents gouvernements avait été mené jusqu'ici de façon trop irrégulière et parcellaire. C'est précisément pour accomplir ce travail diplomatique que le Président de la République a nommé un ambassadeur. Si nous sommes prêts à mettre en oeuvre des mesures d'accompagnement, à nous engager dans une coopération opérationnelle et à agir avec nos partenaires, c'est aussi parce que nos objectifs sont crédibles. Il ne s'agit pas de prendre en otage l'aide au développement, ce qui reviendrait à nous tirer une balle dans le pied. En revanche, je montre à ces pays que l'évolution en valeur absolue et en pourcentage, depuis 2012, de la mobilité légale entre la France et eux – en matière de visas, de titres délivrés, du nombre de résidents ou du nombre d'étudiants – est inverse de celle de l'exécution des mesures d'éloignement prises contre leurs ressortissants en situation irrégulière sur notre territoire. On constate au mieux une stagnation et, au pire, une dégradation. Je leur explique que s'ils veulent une relation équilibrée, ils ne peuvent se féliciter du développement de la mobilité légale au profit de leurs ressortissants et ne faire aucun effort à l'égard de ceux qui sont en situation irrégulière. Si nous ne parlons pas aussi ce langage, nous ne serons pas pris au sérieux.

J'en viens à la question des mineurs non accompagnés. Il y en a, en 2017, plus de 14 000 identifiés comme tels car il y a aussi des mineurs qui n'en sont pas et des mineurs qui ne sont pas vraiment non accompagnés. Le mineur non accompagné en France, dès lors qu'il est prouvé qu'il en est un, est réputé en situation régulière. On ne peut l'expulser et l'intérêt supérieur de l'enfant est le critère qui prime. Nous avons donc besoin de la coopération des pays d'origine – essentiellement la Côte d'Ivoire, la Guinée et le Maroc – pour identifier ces enfants mais aussi leurs familles. Il s'agit en effet de déterminer si l'intérêt supérieur est la reconstitution familiale ou si, au contraire, ces enfants ont fui un milieu familial épouvantable. Nous avons aussi détecté des filières en provenance de Guinée et de Côte d'Ivoire qui envoient ces enfants en France, comme des harpons, en quelque sorte. C'est ainsi qu'on voit surgir en provenance de ces pays des flux soudains d'enfants en direction de certaines régions. Il ne faut pas être naïf : cela n'a rien de spontané.

En ce qui concerne les demandes d'asile, monsieur Julien-Laferrière, je vous renvoie aux chiffres qui viennent d'être publiés par le ministère de l'intérieur. Le nombre total de demandes s'élève à 100 412, dont 7 582 réexamens et 92 380 premières demandes. Ces dernières sont en augmentation de 18,4 %. Quant au détail de ces statistiques, c'est au directeur de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) ou au directeur général des étrangers en France qu'il faut les demander.

Le rapport entre aide au développement et migrations est complexe. Une augmentation du niveau de développement entraîne en effet une hausse du capital financier, intellectuel et social des personnes susceptibles de se mettre en route. Les gens qui migrent ne font pas partie des classes moyennes mais se situent juste au-dessus des classes les plus défavorisées et ont le sentiment de ne pas avoir de perspectives. Du fait des nombreux mythes véhiculés par les réseaux sociaux et les médias, ils s'imaginent qu'ils en auront davantage en Europe. On a effectivement constaté une augmentation de la poussée migratoire en cas d'augmentation du niveau de vie mais les questions de perspectives d'avenir et d'inégalités sont cruciales. Ainsi, la Côte d'Ivoire qui jouit d'une certaine stabilité politique et qui bénéficie d'un taux de croissance d'environ 8 %, est un pays assez prospère dans la région Pourtant, c'est la deuxième nationalité de migrants irréguliers ayant franchi la Méditerranée. Comme ni l'indice de Gini ni l'indice de développement humain (IDH) ne progressent, les jeunes ivoiriens sont frustrés, tout comme ils le sont par le discours qu'on leur tient sur une émergence dont ils ne bénéficient pas.

Vous avez raison, monsieur le député Son-Forget, de parler du Nigeria . Ce n'est pas du Nord-Est, où se trouve Boko Haram et où se situent les régions les plus pauvres, que proviennent les migrants mais de l'État d'Edo et en particulier de Benin City. Il faut savoir que 80 % des transferts financiers envoyé depuis l'Europe par les émigrés de Benin City proviennent des prostituées. C'est scandaleux et inqualifiable mais vu de Benin City, c'est une source de revenus.

Le projet de loi est un élément de la stratégie du Gouvernement qui permettra d'adapter et de renforcer les dispositions relatives à la mobilité légale, à l'asile, à l'entrée et au séjour des étrangers. Mes fonctions s'inscrivent dans le cadre du plan sur l'asile et la migration. Je prendrai évidemment en compte ces modifications législatives mais mon travail est plutôt d'ordre diplomatique.

S'agissant des moyens dont je dispose, je devrais avoir un renfort du ministère de l'intérieur. Le corps préfectoral n'est pas directement en lien avec ma fonction diplomatique mais vous avez raison de souligner son importance : j'ai ainsi rencontré le préfet de police de Paris car les réadmissions et les laissez-passer consulaires dans sa zone de compétence représentent quand même 40 % du volume total des affaires traitées. Je compte aussi engager un dialogue avec certains préfets de région.

La régularisation est assez importante. Elle est d'environ 30 000 à 40 000 titres par an et est très élevée pour certains pays : 35 % des premiers titres délivrés aux Maliens le sont au titre de l'admission exceptionnelle au séjour. Ce chiffre est de l'ordre de 25 % pour le Sénégal. Ce n'est pas rien. Mais il est complètement irréaliste, commele demandent certains, de vouloir régulariser en masse pour éviter les problèmes. La régularisation se fait au cas par cas. Le problème, c'est que pour les Africains subsahariens, celle-ci représente plus de la moitié de l'immigration économique, ce qui illustre les dysfonctionnements de nos procédures.

N'étant pas du tout impliqué dans la négociation des accords franco-britanniques ni dans celle du règlement de Dublin, je ne puis vous répondre à ce sujet.

Monsieur le député Quentin, nous aurions besoin de beaucoup de temps pour évoquer la fuite des cerveaux. Ce sujet a fait l'objet de nombreuses études économiques et les conclusions sont contrastées. Autant, il me paraît souhaitable de favoriser l'expérience professionnelle des personnes qui se sont formées en France – je crois qu'il y aura dans le projet de loi des propositions à cet égard –, autant, le fait qu'une proportion élevée d'étudiants africains veuille rester en France est effectivement une perte. Il importe donc de promouvoir cette mobilité circulaire que j'ai évoquée.

Monsieur Boudié, les LPC sont évidemment un sujet de grande insatisfaction. Le taux de délivrance, dans les délais, de ces LPC oscille entre 12 % et 60 % selon les pays. S'agissant du Sénégal, 57 % des demandes sont sans réponse. Nous nous heurtons non à des difficultés pratiques mais aussi à la mauvaise volonté des États. C'est en effet un sujet politiquement sensible dans ces pays. Les diasporas sont contre et les États d'Afrique de l'Ouest, tout en affirmant qu'ils sont pour le retour de leurs ressortissants dès lors que la nationalité est prouvée, se renvoient mutuellement la balle en affirmant que les personnes renvoyées ne sont pas les leurs. Au contraire, les rapatriements volontaires de Libye, parce qu'ils sont plus acceptables politiquement, ont donné lieu à une reconnaissance de nationalité plus prompte et n'ont pas posé de problèmes techniques. Le dialogue politique doit donc être confiant, discret mais très ferme. Je précise que le problème n'est pas uniquement français : tous les pays européens y étant confrontés, une politique européenne est donc nécessaire en la matière.

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