Intervention de Thierry Michels

Réunion du mercredi 21 février 2018 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Michels, rapporteur :

Le 25 janvier dernier, j'ai présenté devant la commission des affaires européennes le rapport d'information sur « la transition énergétique au sein de l'Union européenne » qu'elle m'avait confié en juillet 2017. Le rapport d'information, ainsi que la proposition de résolution européenne qui y était jointe, ont été adoptés à l'unanimité. Votre commission ayant été saisie au fond pour l'examen de la proposition de résolution européenne, je suis heureux d'être devant vous aujourd'hui pour vous présenter ce texte. Avant de présenter les principaux points de la proposition de résolution européenne sur laquelle vous aurez à vous prononcer, je reviendrai brièvement sur les conclusions du rapport d'information qui la sous-tendent.

J'évoquerai tout d'abord l'urgence climatique. La somme des contributions nationales nous place sur une trajectoire d'augmentation des températures comprise entre 2,7 °C et 3,2 °C, soit clairement en deçà de l'objectif de 2 °C fixé par l'Accord de Paris. Les pays doivent donc relever leur niveau d'ambition pour se mettre en conformité avec cet accord, à commencer par ceux de l'Union européenne qui se doivent d'être exemplaires.

Le moment pour ce faire est opportun en raison de l'agenda législatif européen. Plusieurs textes sont en effet en cours de révision concernant le système de quotas d'émission mais aussi concernant ce qui n'est pas couvert par ce système et enfin, s'agissant du paquet « Une énergie propre pour tous les Européens » et du paquet « Mobilité » dont il vient d'être question. Il est important que le Parlement français se prononce sur les propositions de révision en cours afin d'indiquer clairement sa volonté de rehausser le niveau d'ambition des textes européens.

Les mesures proposées, si elles sont globalement positives, ne sont pas exemptes de défauts. Le foisonnement des textes brouille la cohérence d'ensemble. Le niveau de détail est incompatible avec la marge de manoeuvre dont devraient bénéficier les États membres. La technicité du vocabulaire employé relève de l'expertise. Les objectifs, trop nombreux, interfèrent entre eux, voire, se neutralisent. Vous le voyez, les marges de progression ne manquent pas.

Le rapport rassemble des préconisations destinées à amplifier et à accélérer la transition énergétique de l'Union européenne : rehausser les objectifs européens pour les rendre compatibles avec l'Accord de Paris ; s'attaquer résolument à l'éradication du charbon en établissant un prix plancher du carbone et en augmentant l'aide à la reconversion des zones charbonnières ; instaurer un cadre propice à l'innovation afin de permettre, notamment, l'émergence d'un « Airbus de la batterie » ; enfin, assurer un financement à la hauteur des enjeux.

Je souhaiterais insister sur une préconisation qui me semble cruciale. Les Européens sont majoritairement très favorables à la transition énergétique. C'est une thématique qui peut tout à fait réenchanter le projet européen, à condition de prendre en compte les attentes citoyennes. C'est la raison pour laquelle ce thème devrait être au coeur des consultations citoyennes qui seront lancées dans quelques semaines.

Après ce premier aperçu de la situation, je vous propose d'approfondir les principaux points figurant dans la proposition de résolution européenne.

L'Union européenne a pour objectif de réduire de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Nous proposons de retenir un nouvel objectif européen très ambitieux de 95 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Nous n'avons fait qu'une toute petite partie du chemin. Atteindre cet objectif en 2050 suppose une transformation fondamentale de notre façon de vivre, de consommer et d'utiliser l'énergie, quels que soient les transports. Nous le devons à nos enfants, à nos petits-enfants et aux habitants de cette planète.

Comment y parvenir ? Aujourd'hui, le prix plancher du carbone dans l'Union européenne est fixé à 6 à 7 euros la tonne. Malgré les propositions de révision des systèmes de quotas d'émissions qui sont faites, les acteurs s'accordent à dire qu'on ne pourra pas faire émerger un prix du carbone suffisamment incitatif pour modifier les choix économiques. Si on veut privilégier le gaz, il faut porter le prix de la tonne de carbone à 30 euros. C'est le sens des propositions du Président de la République. L'objectif est de pouvoir éradiquer le charbon.

J'en viens aux objectifs en matière d'énergies renouvelables. Il y a entre les différents pays de l'Union européenne des disparités très fortes. Certains pays sont très vertueux, tels que la Suède ou la Lettonie. La France, elle, n'est pas en avance au regard de ces objectifs. Néanmoins, l'Union européenne sera globalement en mesure d'atteindre son objectif de 20 % d'énergies renouvelables en 2020. Si on veut avancer, il faut aller plus loin. La Commission européenne propose donc de fixer un seuil de 27 % pour 2030. Nous pensons, nous, qu'il faut faire encore davantage en fixant un objectif contraignant de 35 % de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie d'ici à 2030. Nous proposons d'assortir cet objectif global d'objectifs nationaux contraignants afin d'assurer une mise en oeuvre collective et solidaire.

Nous proposons également des objectifs plus ambitieux en matière de réduction des émissions dans les secteurs non couverts par le système d'échange de quotas d'émissions (ETS) et en matière d'efficacité énergétique.

Nous avons déjà évoqué le secteur du transport lorsque nous avons examiné le rapport de Damien Pichereau. On constate que seulement 5 % des sources d'énergie utilisées sont renouvelables dans le secteur des transports. Nous proposons de porter ce chiffre à 15 %, ce qui suppose de faire des efforts supplémentaires mais qui représente aussi de nouvelles opportunités.

Ces changements peuvent susciter des préoccupations quant à l'évolution du coût de l'énergie. Ce coût risque en effet d'augmenter dans la mesure où les énergies renouvelables coûtent plus cher à produire. Dès lors, comment accompagner les consommateurs face à cette évolution ? En France, on est très attaché aux tarifs réglementés de l'électricité et du gaz. Dans la proposition de résolution, nous militons donc en faveur de la mise en oeuvre de périodes transitoires et de garanties pour les consommateurs de manière à permettre à nos concitoyens les plus modestes d'accepter cette transition, sachant qu'il faudra bien accepter des changements dans notre façon de consommer.

La transition énergétique a aussi, fort heureusement, des aspects plus enthousiasmants, et doit être vue comme un objectif ambitieux que nous atteindrons en actionnant trois leviers principaux.

Le premier consiste à soutenir l'innovation, car l'accélération de la transition énergétique ne sera possible que grâce au développement de certaines technologies.

Le deuxième levier est celui des financements mis en oeuvre en vue de favoriser la transition. Actuellement, les financements européens dédiés à la transition énergétique représentent au total 7 milliards d'euros par an, ce qui est nettement insuffisant. L'Union européenne doit investir davantage dans les secteurs stratégiques comme l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables, les infrastructures électriques et la recherche. Nous saluons à cet égard les engagements pris lors du One Planet Summit en décembre dernier, mais appelons à poursuivre sur cette trajectoire positive.

Enfin, le troisième levier consiste à renforcer la solidarité entre pays européens. Il s'agit là d'un aspect essentiel, car les pays les moins riches sont aussi ceux qui utilisent le plus le charbon – je pense notamment à la Pologne et à la Bulgarie. Il va falloir aider financièrement ces pays à mettre en place leur transition énergétique.

Pour ce qui est des opportunités offertes par la transition énergétique, celle-ci ouvre la perspective d'une économie dynamique, innovante, compétitive et durable. Vous trouverez en annexe des documents portant sur ces bénéfices économiques. Selon la Commission européenne, l'initiative « Une énergie propre pour tous les Européens » représente un potentiel de création nette de 900 000 emplois à l'horizon de dix ans et de 177 milliards d'euros d'investissements par an. Comme vous le voyez, l'Union européenne peut faciliter les investissements, mais la société civile et l'industrie investissent déjà beaucoup dans la transition énergétique.

Les bénéfices les plus importants en termes d'emplois créés sont à attendre dans la construction, le secteur manufacturier à haute valeur ajoutée et les services. Il s'agit majoritairement d'emplois qualifiés et non délocalisables, qui favorisent notre compétitivité. Afin de tirer pleinement profit de ce potentiel, il est nécessaire de s'assurer qu'une main-d'oeuvre formée aux compétences requises soit à disposition des entreprises. En même temps, les travailleurs affectés par l'arrêt des centrales à charbon, par exemple, doivent être soutenus dans leurs projets de reconversion professionnelle par des aides nationales ou européennes finançant des formations et le coût de la relocalisation, comme il en existe en Allemagne. C'est pourquoi nous saluons le lancement d'un fonds de reconversion de la Commission européenne pour les régions intensives en charbon, annoncé lors du One Planet Summit.

L'évolution du système énergétique détermine la nature des emplois créés. Il faut donc s'appuyer sur la programmation pluriannuelle de l'énergie pour anticiper les besoins futurs et travailler avec les régions, les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), les organismes de formation et tous les acteurs concernés pour favoriser le développement des compétences valorisées par l'économie décarbonée. La transition énergétique constituera donc un enjeu essentiel de la prochaine réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage : nous devrons réussir à faire en sorte que la transition énergétique bénéficie à tous, en France et en Europe.

En conclusion, en tant que Français et en tant qu'Européens, nous devons nous montrer à la hauteur du défi climatique. Pour cela, il nous faut commencer par accélérer la transition et rehausser le niveau des ambitions de l'Union et des États membres. Si le cadre législatif européen est favorable à cette évolution, des efforts supplémentaires sont nécessaires en France afin d'être en phase avec les objectifs définis dans le cadre de l'accord de Paris. Il existe des marges d'amélioration pour relever le niveau d'ambition et compléter le cadre existant, notamment par une trajectoire de long terme. Nous soutenons les efforts du Gouvernement pour porter un haut niveau d'ambition dans les négociations en cours.

Voyons cette transition fondamentale de nos modes de vie comme quelque chose que nous devons à la planète, à nos enfants et petits-enfants. Elle va affecter significativement nos modes de vie et de consommation, d'où l'importance qu'elle soit solidaire, accompagnée et bénéfique à tous, et qu'elle favorise l'appropriation par les citoyens, notamment lors des consultations citoyennes à venir. C'est là un levier essentiel pour nous permettre d'aller de l'avant.

Madame la présidente, chers collègues, je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.