Intervention de Olivier Marleix

Réunion du jeudi 15 février 2018 à 9h40
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Marleix, président :

Nous recevons ce matin M. Jean-Baptiste Carpentier qui a rejoint il y a quelques semaines le groupe privé Veolia mais qui occupait, il y a peu, la fonction de Commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, un poste rattaché au ministère de l'Économie. Premier titulaire de ce poste, il a été nommé en février 2016, à la suite du décret du 29 janvier 2016 réformant l'appareil administratif d'État d'intelligence économique et de veille stratégique.

Cette réforme a également institué un service à compétence nationale en charge de l'information stratégique et de la sécurité économique, le SISSE, rattaché à la direction générale des entreprises (DGE) et dont nous avons entendu le directeur général, Pascal Faure. Vous nous expliquerez l'articulation entre la fonction que vous exerciez et ce service.

Précédemment, vous avez été, pendant six mois, le successeur de Mme Claude Revel, comme Délégué interministériel à l'intelligence économique. Magistrat judiciaire d'origine, vous avez intégré l'Inspection générale des finances en 2003, occupé des fonctions au cabinet du ministre de l'économie et des finances en 2005 puis rejoint l'Agence des participations de l'État (APE) en 2007. Vous avez également été, de septembre 2008 à juillet 2015, en charge de Tracfin. Ce parcours vous donne une triple culture professionnelle, assez unique, vous conférant à la fois une connaissance de la justice, du monde économique et du renseignement.

Nous aimerions d'abord vous entendre sur l'exercice de la mission qui fut la vôtre, sur ses objectifs et sur ses moyens, et tout particulièrement sur la réforme intervenue au début de l'année 2016, ses motifs et ses finalités.

En quoi le rapatriement à Bercy du dispositif administratif d'intelligence économique était-il un gage d'efficacité, par rapport à un rattachement au premier ministre ?

Nous avons compris que la DGE s'était engagée sur la voie de la constitution et de la mise à jour régulière d'une liste d'entreprises dites « stratégiques ». Ce travail semble être nouveau, car j'avais eu l'occasion d'interroger à ce propos Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, en mars 2015. Il m'avait indiqué que ce travail restait à faire. Nous serions donc heureux d'avoir des précisions sur l'état d'avancement de cette liste.

Mme Revel a exprimé devant la commission une conception résolument offensive de l'intelligence économique. Quelle différence d'appréciation auriez-vous sur ce point ? Quelle est votre conception pratique de l'intelligence économique et de la « veille stratégique » ? Faut-il une posture purement défensive et quels sont les moyens nécessaires ? Votre expérience à la tête de Tracfin pourrait-elle vous permettre de nous livrer quelques comparaisons ?

L'analyse rétrospective de l'affaire Alstom est assez édifiante. Personne ne semblait avoir porté intérêt à la procédure engagée par le Department of Justice (DoJ) contre Frédéric Pierucci, ni à son arrestation le 13 avril 2013, ni à son plaider coupable en juillet 2013, alors que l'entreprise tout entière était potentiellement engagée. Cela intervenait pourtant à un moment où l'affaire BNP Paribas, trouvant son origine dans une violation d'embargo, battait son plein – affaire soldée en juin 2014 par une amende de près de neuf milliards de dollars.

Il est assez surprenant que, dans l'appareil d'État, personne n'ait vu venir ce risque sur Alstom. Ni l'ambassade de France, ni le Quai d'Orsay, ni la DGSE ne semblent avoir fait remonter la moindre information, ce que le ministre de l'Économie de l'époque a dit publiquement.

En outre, comment avez-vous été associé, au cours des six mois où vous étiez Délégué interministériel puis dans votre fonction de Commissaire à l'information stratégique, à la procédure d'autorisation des investissements étrangers en France gérée par le bureau Multicom 2, dans une sous-direction de la direction générale du Trésor ? Cette procédure a d'ailleurs, nous a-t-on dit, une dimension interministérielle, au stade de l'instruction, mais surtout au stade du contrôle du respect par les entreprises de leurs engagements relatifs aux intérêts nationaux. Qu'en est-il exactement ?

Ce sujet est au coeur de notre commission d'enquête. La loi donne au ministre de l'économie la responsabilité de défendre les intérêts nationaux face à des risques de prédation économique ou, plus simplement, des risques inhérents à un marché mondialisé et à une Europe totalement ouverte. Si je résumais les choses de manière triviale, je vous demanderais si, lorsqu'une banque d'affaires se présente à Bercy pour présenter un accord, un deal, elle trouve vraiment quelqu'un en face d'elle pour lui résister ?

Enfin, compte tenu de l'extraterritorialité du droit américain, nous aimerions savoir comment est mise en oeuvre la loi de blocage de 1968. J'en rappelle les termes : « Sous réserve des traités ou accords internationaux, il est interdit à toute personne physique de nationalité française ou résidant habituellement sur le territoire français et à tout dirigeant, représentant, agent ou préposé d'une personne morale y ayant son siège ou un établissement, de communiquer par écrit, oralement ou sous toute autre forme, en quelque lieu que ce soit, à des autorités publiques étrangères, les documents ou les renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique dont la communication est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France ou à l'ordre public ».

Il semble qu'avant la loi Sapin II de décembre 2016, qui a confié l'exercice de cette compétence à l'Agence française anti-corruption (Afa), celle-ci était exercée par le service central de lutte contre la corruption. Or, ce dernier ne me semble pas disposer des moyens d'identifier ce qui relève de la souveraineté, de la sécurité ou des intérêts économiques essentiels de la nation. Le directeur général des entreprises n'a pas été en mesure de nous préciser en quoi consistait sa propre intervention. Qui était donc à Bercy l'interlocuteur de ce service judiciaire ?

Nous sommes convenus que vous pourrez réserver certaines réponses à nos questions, lorsqu'elles concernent des aspects confidentiels, à une deuxième partie qui se déroulera à huis clos. Je vous remercierai cependant de ne pas abuser de cette possibilité, car l'information de la représentation nationale sur un sujet que le législateur a confié à l'exécutif appelle la plus grande transparence.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

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