Intervention de Jean-Baptiste Carpentier

Réunion du jeudi 15 février 2018 à 9h40
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Jean-Baptiste Carpentier, ancien commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique :

Il n'y a pas d'entrée unique pour définir une entreprise stratégique. Cela étant, je suis pour ma part assez dubitatif quant à l'intérêt d'une entrée sectorielle, d'abord car nous sommes déjà allés très loin avec le décret de 2013 et qu'on ne peut indéfiniment ajouter des secteurs à la liste ; ensuite, parce que l'expérience prouve que, lorsqu'on sélectionne de nouveaux secteurs stratégiques, on tape souvent à côté de ce qu'il aurait fallu : on ne peut pas, par exemple, dire que l'implantation de trois éoliennes dans la Beauce constitue un enjeu stratégique…

Quant à l'approche technologique, j'émettrai également quelques réserves, car elle peut être source d'erreur. En effet, beaucoup de technologies émergentes sur lesquelles on avait misé se révèlent obsolètes cinq ans après.

Ces deux approches ne permettent en outre ni l'une ni l'autre d'identifier une entreprise dont l'intérêt stratégique sera lié à son positionnement dans la chaîne de valeur, parce que, sans posséder nécessairement de technologie stratégique, elle dispose d'un savoir-faire immatériel, unanimement reconnu, qu'elle est la seule à maîtriser.

Je ne crois donc pas que l'analyse de la valeur stratégique puisse être une science exacte. Elle requiert en tout cas une approche multicritères qui tienne compte de la position de l'entreprise sur le marché et, j'y insiste, dans la chaîne de valeur, position qui peut la conduire à agglomérer autour d'elle toute une série d'enjeux économiques. J'ai conscience que tout ceci reste assez imprécis, mais on ne peut malheureusement guère aller plus loin.

Je partage totalement votre avis quant à la nécessité de détecter les start-up et les PME. On ne part pas de zéro : tout un travail d'intelligence économique existe au niveau territorial. Le SISSE est doté d'un réseau en province, avec un représentant dans chacune des anciennes régions. Les collectivités territoriales font aussi un travail important. J'ai un peu laissé ce chantier en déshérence en raison de la loi pour une nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, car il fallait d'abord apprendre à travailler avec les nouvelles collectivités territoriales. Je crois qu'une coproduction est nécessaire : ce n'est pas l'État, a fortiori depuis Paris, qui peut identifier la PME de la Beauce ayant la technologie clef pour la deuxième moitié du XXIe siècle.

Un travail d'identification s'impose, même si c'est compliqué à faire. Disons la réalité telle qu'elle est : on va obliger les collectivités territoriales, en particulier les régions, à s'occuper de sujets qui n'entrent pas nécessairement dans leur scope quand il s'agit des enjeux fondamentaux de la nation – et pas seulement ceux de la région. Cela peut conduire à des choix difficiles : la technologie importante sous l'angle de la souveraineté nationale n'est pas nécessairement celle qui est créatrice d'emploi. Le travail est donc à mener dans le cadre d'un dialogue.

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