Intervention de Jean-Baptiste Carpentier

Réunion du jeudi 15 février 2018 à 9h40
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Jean-Baptiste Carpentier, ancien commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique :

En ce qui concerne l'État, les ministères économiques et financiers ont un service déconcentré : les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Elles sont là pour faire ce travail, et des agents de mon ancien service y sont d'ailleurs implantés. Je défends l'idée qu'il doit être placé auprès du ministère de l'économie, au sein de la direction générale des entreprises, et que l'effort d'analyse doit avoir lieu dans le cadre des DIRECCTE, sous l'autorité des préfets, à qui il revient d'assurer une coordination stratégique, et en lien avec les collectivités territoriales. Quand j'étais en poste, nous faisions ce travail en plein accord avec le ministère de l'intérieur.

Des efforts sont en cours, mais je le redis : on a volontairement laissé passer un peu de temps afin de « digérer » la loi NOTRe. Il faut que les régions s'organisent dans ce domaine. C'est donc un chantier que je laisse assez largement ouvert derrière moi, étant entendu que ce ne sera jamais une science exacte. J'ajoute que tout un travail de détection est réalisé par certains services de l'État, tels que la DGSI, Direction générale de la sécurité intérieure, qui peuvent remonter des informations. Une action existe déjà, mais cela n'enlève rien à la nécessité d'une plus grande systématisation du travail.

En ce qui concerne l'intelligence économique dans les entreprises, je n'ai pas la science infuse. Jusqu'à une date très récente, j'ai surtout été un fonctionnaire donnant des leçons aux autres : j'avais à leur expliquer soit ce qu'il ne fallait pas faire, en tant que magistrat, soit ce qu'ils auraient dû faire, quand j'étais auditeur. La vie m'ayant appris à faire preuve d'un peu de modestie, je ne me permettrai pas de donner trop de leçons aux entreprises à ce sujet. J'ai essayé d'instaurer un dispositif qui soit, si possible, un peu efficient au regard des enjeux pour l'État, et je suis tout à fait d'accord avec l'idée que l'on ne peut pas se substituer aux entreprises : ce sont elles qui connaissent les marchés.

Au risque de verser dans une conversation de café du commerce, je dois souligner qu'il y a un vrai problème d'éducation en France sur ces sujets. On raisonne par filière et on est vite rangé dans des cases dont on a du mal à sortir. On pense qu'un inspecteur des finances, comme moi, doit chercher à aller dans une direction financière et qu'un policier doit s'occuper de sûreté. Tant que l'on n'arrivera pas à se dire qu'un militaire peut travailler sur des questions économiques et qu'un inspecteur des finances peut traiter de sujets régaliens, on n'avancera pas. Comme le disait à juste titre ma prédécesseure, l'intelligence économique est une matière transversale par construction. Elle nécessite au moins des poissons volants et même, si possible, un croisement entre le poisson volant et la chauve-souris : on doit avoir des pattes et des ailes, être à la fois mammifère et tout ce que l'on peut imaginer d'autre. (Sourires.)

À force de vouloir tout faire, on risque néanmoins de ne rien faire du tout. D'où l'importance de se recentrer sur ce que l'on connaît le mieux. J'ai toujours reconnu mon absence de compétences sur de nombreux sujets. Comme j'appartenais à une organisation comptant cinq millions d'agents, mon principe de base était qu'il y en avait forcément un, parmi les 4 999 999 autres, qui devait en savoir plus long que moi, et que ma principale mission n'était donc pas de faire les choses moi-même, mais de repérer qui connaissait mieux que moi tel sujet, a priori, et de faire en sorte qu'il en soit saisi. Le risque est de vouloir se mêler de tout sans en avoir les compétences.

Il faut aussi être conscient que l'on n'a pas affaire, à Bercy, à des fonctionnaires n'ayant aucun souci des intérêts nationaux, que ce soit au Trésor ou dans les cabinets. J'ai pu le constater dans les très nombreuses prises de décision auxquelles j'ai participé, y compris s'agissant d'Alstom. De même, il ne faut pas croire qu'un militaire ou un policier ne sait pas du tout ce qu'est un budget ou ce que représentent les intérêts économiques. Ayons un peu de modestie : les décisions sont en général prises pour de bonnes raisons.

Mon propre rôle consistait à placer le projecteur sous un angle un peu différent de celui des autres administrations. Sans chercher à prendre une photo de la face cachée de la lune, car je n'en avais ni les moyens ni les compétences, j'essayais de faire en sorte que l'on sache un peu à quoi on avait affaire, de manière à être attentif et à ne pas tomber dans des trous éventuels.

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