Intervention de Jean-Baptiste Carpentier

Réunion du jeudi 15 février 2018 à 9h40
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Jean-Baptiste Carpentier, ancien commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique :

En réponse à votre question sur le positionnement du SISSE et sa capacité à dialoguer avec d'autres acteurs, je dirai qu'il faut dix ans de travail pour être identifié. Beaucoup d'interlocuteurs continuent à ne pas savoir qui nous sommes. En France, comme partout ailleurs, une nouvelle administration ne s'installe pas dans le paysage d'un claquement de doigts, quels que soient les talents de ses agents et de sa direction. J'avais néanmoins quelques atouts : un Commissaire à l'information stratégique est directeur d'administration centrale, et il est donc pris au téléphone par un préfet de région ou par un autre directeur. Le niveau hiérarchique joue, de même que le rattachement direct au ministre – cela permet un positionnement visible.

Vous avez parfaitement raison de souligner la dimension européenne, que j'aurais dû mentionner davantage. J'ai d'ailleurs été un peu troublé quand j'ai pris mon poste : j'exerçais des fonctions très internationalisées à la tête de Tracfin – j'avais des correspondants bien identifiés dans tous les pays et je me rendais quasiment une fois par semaine à Bruxelles. Deux ans plus tard, je ne savais toujours pas quels étaient mes interlocuteurs dans les autres pays de l'Union européenne, ni d'ailleurs au sein de la Commission, ce qui est plus fâcheux.

L'Europe n'est pas encore une nation – je le dis alors que je suis profondément européen. À l'origine, elle n'avait pas la même volonté de puissance que les États-Unis sur les sujets dont nous parlons. Il est pourtant évident que l'avenir passera nécessairement par l'Europe. Sans être un européiste béat, je considère en effet que la taille du marché économique français ne nous permet pas d'entretenir un rapport de force satisfaisant avec la Chine ou les États-Unis. C'est une réalité, quoi que l'on pense de la souveraineté nationale et de son caractère nécessairement hexagonal ou non.

Il est beaucoup question de l'extraterritorialité pratiquée par les États-Unis, mais on oublie souvent que le droit de la concurrence est profondément extraterritorial. Quand on se lance dans une opération de fusion aux États-Unis, on se réfère avant tout au droit européen, même quand il s'agit de deux entreprises américaines n'ayant aucun contact avec l'Europe : personne ne veut se fermer un tel marché. Le seul blocking statute qui ait vraiment fonctionné est le règlement européen ayant fait suite à la loi Helms-Burton. Celle-ci est restée relativement inappliquée à l'égard des entreprises européennes.

La question reste extrêmement compliquée : l'Union européenne ne compte plus 6 ou même 12 États membres et il y a objectivement d'assez fortes divergences entre les enjeux et les points de vue. Il est vrai que la situation évolue assez vite : je ne pensais pas avoir une carrière administrative suffisamment longue pour entendre un jour dans la bouche du Premier ministre britannique des propos sur les investissements étrangers qui auraient probablement valu à un Premier ministre français un procès en stalinisme. À ma connaissance, néanmoins, l'enjeu de l'intelligence économique et de la maîtrise de l'environnement extra-économique de l'économie – l'intelligence économique concernant tout ce qui n'est pas économique dans l'économie – est encore assez peu identifié au sein de la Commission. C'est un de mes regrets : j'aurais aimé en faire un axe de progrès au plan européen – mais mon successeur y parviendra peut-être.

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