Intervention de éric Delbecque

Réunion du mercredi 21 février 2018 à 17h30
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

éric Delbecque, chef du pôle intelligence économique de l'Institut pour la formation des élus territoriaux (IFET) :

En ce qui concerne le mode d'organisation, toute initiative qui permet de pousser la décision au plus haut sommet de l'État me paraît aller dans le bon sens, sachant que ce qui reste essentiel, c'est l'agrégation des informations détenues par les différents ministères et leurs services compétents, les services de renseignement, la société civile et les think tanks. Cette agrégation s'opère encore difficilement dans notre pays, et il faut donc parvenir à l'aimanter d'une manière ou d'une autre vers le bon niveau de décision.

J'ajoute à cela que, dans les différents services de l'État et les administrations, la sincérité des analyses pose parfois problème. Ce n'est pas un jugement de ma part mais un constat qui s'explique par ce réflexe – que je peux comprendre à bien des égards – qui pousse les agents à se censurer et à ne faire remonter que les informations qui ne fâchent pas. À plusieurs reprises, on a ainsi opposé à mes analyses le fait qu'elles n'étaient pas de nature à plaire au ministre ou à la hiérarchie à qui elles étaient destinées, et j'ai ainsi le souvenir qu'il a pu être parfois très compliqué de rendre publiques ou de communiquer à certains services de l'État certaines de nos commentaires concernant précisément Alstom. Les experts sollicités doivent donc pouvoir recevoir l'assurance qu'ils ne seront pas censurés ou qu'ils n'auront pas à assumer les conséquences négatives de leurs propos.

En ce qui concerne ensuite le prisme sectoriel appliqué à la définition d'une entreprise stratégique, il n'est peut-être en effet plus le plus pertinent, et il est sans doute plus approprié de raisonner désormais en termes de filières et de technologies, corrélées à l'emploi. Telle ou telle filière, telle ou telle technologie doivent en effet être appréhendées en termes d'enjeux pour la souveraineté nationale mais également par rapport à leur poids en emploi, car c'est évidemment un enjeu stratégique au moins aussi déterminant que la sécurité.

Sur la question de l'offensif, je raisonnerai avec un exemple. En 2005, Boeing a construit un dispositif extrêmement performant et intéressant d'influence, au sens le plus général, en Inde, qui cumulait à la fois des responsables fortement compétents en matière de stratégies d'influence à l'échelon décisionnel de l'entreprise – dont certains étaient recrutés directement au Département d'État et au Conseil de sécurité nationale –, des opérationnels – assez nombreux dans le cas de Boeing –, des prestataires, à savoir les plus grandes agences de lobbying américaines ayant des antennes en Inde, ainsi que des acteurs clés de la sphère politique américaine et des groupes d'amitié entre les États-Unis et l'Inde, et des think tanks dont les analyses géopolitiques allaient dans le sens des intérêts de Boeing. Ils allaient donc chercher loin dans la société civile pour conduire cette stratégie d'influence. C'est exactement à cela que nous devons aboutir dans les années à venir.

Autre exemple intéressant, plusieurs chercheurs de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), notamment Hélène Masson, ont étudié le cas de l'avion de combat JSF 35 pour montrer à quel point les stratégies d'influence américaines sont bien conçues en la matière. À chaque fois, la grande leçon est qu'il y a une coagulation d'acteurs économiques, politiques, culturels, intellectuels, autour d'une idée, par exemple la pénétration d'intérêts industriels dans tel ou tel pays.

En ce qui concerne les initiatives pour faire vivre l'intelligence économique dans les territoires, je présente cette proposition : un préfet de région est un échelon très pertinent pour réunir autour de lui des chefs d'entreprise et constituer une espèce de club d'intelligence économique à l'échelle locale, qui permettrait de traiter l'ensemble de la problématique. À l'époque, j'avais suggéré une réunion une fois par mois, au cours d'un déjeuner par exemple, avec ces poids lourds économiques du département, et un cabinet préfectoral m'avait répondu qu'il était difficile de mobiliser un déjeuner du préfet autour de cet objectif ! Je pense que mobiliser un déjeuner préfectoral une fois par mois sur ces enjeux serait largement profitable. Nous savons que des patrons de grosses PME à l'échelon local seraient ravis de voir le préfet. Ces petites choses seraient de nature à améliorer le dispositif.

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