Intervention de Pierre-Marie Abadie

Réunion du jeudi 8 mars 2018 à 10h00
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Pierre-Marie Abadie, directeur de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) :

La notion de seuil de libération concerne les déchets d'une activité extrêmement faible, mais qui sont aujourd'hui catalogués comme déchets radioactifs parce qu'ils proviennent d'un périmètre considéré comme une zone nucléaire. Pour ces déchets, la question est de savoir s'il faut définir un seuil en deçà duquel ils sont banalisés. Contrairement à la plupart des pays, la France n'a pas retenu de seuil, et a mis en place une filière dans laquelle tout déchet qui vient de la zone nucléaire doit être dirigé vers une installation dédiée – en l'occurrence le CIRES. Cette orientation a été prise au début des années 1990, à une époque où des portiques de détection étaient placés à l'entrée des centres d'enfouissement technique (CET) de classe 1 et 2, afin de s'assurer que les déchets arrivant dans ces centres ne provenaient pas du secteur électronucléaire. Ce système, où tous les déchets provenant du nucléaire sont dirigés vers des installations dédiées, est bien géré et a toujours très bien fonctionné en période d'exploitation.

Le passage à la phase de démantèlement n'est pas sans poser de nouvelles questions, car on peut alors se retrouver avec des quantités énormes de déchets qui se retrouveraient à devoir traverser toute la France pour rejoindre un site dédié, à savoir le CIRES, pour l'unique raison qu'ils proviennent d'un périmètre nucléaire et alors même que leur contamination est inexistante. Si je dis que le débat sur le seuil de libération est devenu un peu doctrinaire, c'est que si l'absence de seuil répondait au souci de s'assurer de la parfaite traçabilité des déchets, le statu quo ne paraît plus raisonnable, ne serait-ce qu'en termes de bilan environnemental global. En effet, si ces déchets sont complètement inoffensifs sur le plan radiologique, leur faire traverser la France pour mettre une montagne de gravats ou de ferraille dans nos sites n'est pas une bonne chose sur le plan environnemental – cela pourrait même se révéler dangereux, car l'accumulation de grandes quantités de cuivre ou d'autres métaux peut un jour donner l'idée à certains d'aller se servir.

Un débat s'est donc ouvert, avec la perspective d'une sortie par le haut qui tournerait autour de la triple notion de filières, de contrôles et de traçabilité.

Parler de filières, c'est se demander ce qu'on pourrait faire de ces déchets : il est difficile de trouver des débouchés moins coûteux que l'acheminement vers des sites dédiés. Si la même approche avait été retenue pour les déchets ménagers, le recyclage n'existerait même pas…

Les contrôles ont quant à eux pour but de s'assurer de l'absence de radioactivité résiduelle, ce qui pose des questions techniques, notamment de métrologie, mais aussi des questions d'organisation.

Se pose enfin la question de la traçabilité sur les débouchés : si l'on veut tracer ces produits jusqu'au bout, y compris une ferraille non radioactive qui a servi à fabriquer un tuyau de fonte qui devient une conduite d'égout, cela nous ramène à la case départ et on ne s'en sort pas. Mais il faut pouvoir apporter la garantie que jamais un déchet contenant une trace de radioactivité, fût-elle infime, ne pourra être utilisé pour fabriquer un objet de la vie quotidienne. Trouver le moyen de sortir par le haut de ce débat sur la traçabilité constitue un enjeu collectif environnemental ; mais le but n'est pas de jouer les Shadocks et de multiplier les capacités de stockage.

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