Intervention de Général François Lecointre

Réunion du mercredi 21 février 2018 à 18h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées :

Je vous remercie pour ces questions passionnantes et particulièrement pertinentes.

Pour répondre, d'abord, à la question de Monsieur Chalumeau : « quelles sont les infrastructures concernées ? » Toutes, Mon général ! (Sourires) Comme vous le savez, nous avons dû consentir un effort important pour accompagner l'augmentation des effectifs de l'armée de terre en lançant, il y a de cela deux ans, un programme intitulé Catalpa, qui permettait – de manière assez innovante, d'ailleurs – d'augmenter les capacités d'accueil des régiments d'infanterie, de cavalerie et du génie, notamment. Cette augmentation des effectifs est un des éléments de bouleversement de la politique d'investissements dans l'infrastructure. Après avoir supporté une forte contrainte, deux lois de programmations durant, ce qui a conduit à des retards dans les infrastructures dites « technico-opérationnelles » autant que dans l'infrastructure dite « de vie », il importe que l'investissement en la matière soit plus stable et s'inscrive dans le temps long. Des investissements devront être faits dans ces deux domaines :

- il s'agit d'abord de remettre en état des casernes dans lesquelles vivent nos soldats ou les logements qui les abritent sur les bases aériennes et dans les ports,

- il faut également investir dans les infrastructures technico-opérationnelles nécessaires pour l'accueil des grands programmes d'armement : il faut bâtir les infrastructures d'accueil de l'A400M, les ateliers d'entretien et les garages des véhicules Scorpion, adapter les champs et terrains de manoeuvre à ces derniers... je pourrais multiplier les exemples. En tout état de cause, dans ce domaine, les priorités d'investissement devront être, d'une part, les infrastructures liées à la dissuasion nucléaire et, d'autre part, la modernisation de nos ports qui, après avoir beaucoup tardé, est enfin engagée.

En ce qui concerne les départs du personnel avant six mois de service, je ne suis pas persuadé qu'il y ait une aggravation de ce phénomène, auquel nous avons tous été confrontés dans notre carrière militaire, notamment dans l'armée de terre. Quand j'étais chef de corps, nous avions un objectif d'attrition limité à 20 % auquel nous ne sommes jamais parvenus. Nous conduisons en effet une préparation opérationnelle, un entraînement et une formation initiale cohérents avec la dureté et les exigences du métier militaire. Cela décourage un certain nombre de jeunes. Si nous étions moins exigeants au début, l'attrition serait probablement la même, quoique plus tardive. Bon an, mal an, le pourcentage d'attrition de nos jeunes soldats est donc d'environ 25 %. Il faut aussi signaler que les recrutements massifs dans l'armée de terre ces dernières années ont sans doute conduit à être moins sélectif lors du recrutement initial des jeunes, ce qui a entraîné mécaniquement une hausse du taux d'attrition. Nous revenons actuellement vers un taux incompressible. J'observe enfin que l'esprit « zapping » de notre jeunesse ne facilite pas la constance dans l'effort et la solidité de l'engagement. Il faut faire avec. J'attire d'ailleurs votre attention sur le fait que c'est une tendance commune à nos jeunes officiers, même passés par les grandes écoles militaires, qui sont de plus en plus nombreux, après dix ans, à envisager une autre carrière dans le secteur privé. Il faut que nous prenions en compte ces évolutions inhérentes à l'époque.

Monsieur Verchère, vous avez évoqué une inversion possible de la courbe, ce que je trouve un peu amusant ! Évidemment, il serait préférable que la pente soit plus progressive mais de là à imaginer qu'elle soit inversée… (Sourires) Je n'ai aucune raison de douter des engagements du Gouvernement. Mes contacts personnels avec le Premier ministre comme avec le président de la République mais surtout la détermination sans faille de la ministre me rassurent totalement. C'est avec une conscience aiguë de l'effort demandé aux Français que l'un comme l'autre ont décidé de porter l'effort sur les missions régaliennes. Tant que dure le mandat du président de la République et tant que le Gouvernement actuel est en place, la LPM sera respectée et je pense qu'elle permettra de faire face aux nouveaux défis technologiques que vous évoquiez. Je fais confiance à la capacité d'innovation de ce ministère ainsi qu'aux travaux que nous conduisons avec la DGA tout comme à la volonté de la ministre et de son cabinet pour que nous y parvenions.

Monsieur Corbière, vous m'avez posé une question grave. J'ai toujours des scrupules à dire à la représentation nationale : « C'est parce que vous n'avez pas donné assez d'argent que nos soldats meurent ». C'est à la fois vrai et faux. La guerre est une confrontation de volontés, comme je l'ai rappelé dans mon propos liminaire. Résister, c'est s'adapter en permanence à un ennemi qui, lui-même, s'adapte en permanence à nos modes d'action et à nos équipements. Quand bien même nous accélérerions significativement nos programmes d'équipements, le rythme des mutations technologiques est tel que nous serons toujours confrontés à un ennemi qui trouvera des moyens pour contourner notre supériorité opérationnelle et nous porter des coups. Oui, nos blindés sont renforcés dans le cadre de procédures d'adaptation rapides. Nous sommes très attentifs à la fonction « protection » avec des programmes « en crash », avec la mise en oeuvre des moyens de détection, de brouillage, de renforcement du blindage. Pour autant, ce n'est jamais suffisant et malheureusement, les charges de ces explosifs improvisés sont sans cesse augmentées tandis que les moyens de les mettre en oeuvre sont sans cesse affinés et diversifiés. Je ne peux pas dire que nos soldats sont morts parce que nos moyens étaient insuffisants. Mais je ne peux pas dire non plus qu'il n'y a aucun lien entre les besoins financiers et l'indispensable adaptation réactive à laquelle il faut procéder. Simplement, je pense que la loi de programmation militaire répondra à ces besoins. J'ajoute que, face à au renforcement de menace constituée par l'usage de tels IED au Sahel, nous avons affecté nos matériels dernier cri et les mieux protégés sur ce théâtre.

Monsieur Chassaigne, vous m'avez posé une question sur le format des armées. Il sera modifié à la hausse. Il n'y aura donc pas de conséquences sur le territoire. En tout cas, à ce stade, nous n'en envisageons pas. M. Bodin vous a certainement parlé de la réforme des bases de défense (BdD) qui inquiète un certain nombre d'élus. Il s'agit de réduire le nombre de bases de défense. Mais ceux d'entre vous qui s'intéressent au problème depuis longtemps le savent : une BdD n'est pas une réalité physique. C'est une aire délimitée en pointillé autour d'un certain nombre d'unités qui se trouvent sur un territoire donné. Il s'agit de redessiner des aires de compétences. Cette réforme, qui permettra une meilleure adéquation entre les unités soutenues et la répartition des soutiens sur le territoire national, devrait impliquer la suppression, pour toutes les armées françaises, de 16 postes. Je pense que c'est supportable.

Vous avez évoqué la limitation des appétits des industriels à propos de la réforme du MCO. Comme j'ai été élevé chez les Jésuites, je vous répondrai que nous souhaitons nous associer étroitement aux industriels pour élaborer le MCO le plus efficient possible…

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