Intervention de Marie-Anne Barbat-Layani

Réunion du jeudi 15 mars 2018 à 14h30
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Marie-Anne Barbat-Layani, directrice générale de la Fédération bancaire française :

Je remercie tout d'abord le Parlement, très mobilisé sur la question du Brexit. Déjà auditionnés, notamment au mois de juillet 2016, nous constatons, mesdames et messieurs les députés, que vous en faites un suivi très attentif. Nous en sommes évidemment très heureux et sommes très honorés de vous présenter aujourd'hui notre vision.

La Fédération que je dirige représente l'ensemble des banques installées en France – aujourd'hui, 347 entreprises bancaires –, y compris les banques dont le siège est à l'étranger. C'est pour nous un atout très important pour travailler sur les enjeux d'attractivité auxquels vous vous intéressez. Nous comptons effectivement en notre sein un « groupe des banques sous contrôle étranger », qui a participé très activement à notre réflexion sur les moyens de renforcer l'attractivité de la place de Paris.

Le secteur bancaire français représente 2,7 % de la valeur ajoutée totale en France. Quatre des neuf plus grandes banques de la zone euro sont françaises ; ce sont également quatre des vingt plus grandes banques internationales. L'un des atouts de la place de Paris est que nous avons déjà en France le secteur bancaire le plus important du continent européen et l'un des plus importants en Europe. Cela explique sans doute au moins partiellement la décision de relocaliser à Paris l'Autorité bancaire européenne. Les banques françaises portent dans leur bilan près de 2 300 milliards d'euros de crédits, donc de financement de l'économie, et représentent aujourd'hui 370 000 emplois directs sur notre territoire – et, selon les propres estimations du Gouvernement, pour un emploi direct, il y a trois emplois induits. L'attractivité, les relocalisations et les développements d'activités sont donc des enjeux très importants en termes d'emploi – on parle beaucoup de relocalisations, mais il faut aussi parler de développements d'activités. Notre ministre de tutelle, le ministre de l'économie et des finances, l'a très clairement indiqué.

J'aborderai trois points : l'attractivité de la place de Paris ; la stabilité financière ; la question de l'égalité de concurrence dans le cadre des futures relations avec le Royaume-Uni. Ce sont là les trois grands enjeux du Brexit pour le secteur bancaire. Nous y travaillons en interne, avec nos adhérents. Nous y travaillons aussi avec d'autres fédérations professionnelles au niveau national et au niveau européen. Nous sommes effectivement membres de la Fédération bancaire européenne, qui a mis en place une task force dédiée au Brexit ; nous y siégeons, comme, d'ailleurs, nos collègues britanniques.

Commençons par l'attractivité, sujet auquel nous avons travaillé dès 2016, notamment avec les banques étrangères déjà localisées en France. Nous avons identifié un certain nombre de points pour lesquels il nous faut progresser : le coût du travail, le droit du travail, l'attractivité globale de Paris pour les expatriés. Je n'entrerai pas dans le détail de ce qui a été fait, que vous connaissez parfaitement, puisque la plupart des décisions ont été prises dans le cadre de lois de finances. La profession a salué la très large mobilisation des pouvoirs publics. Il était très important, notamment vis-à-vis de nos collègues étrangers, qu'à la fois le Gouvernement, le Parlement, la région Île-de-France, la ville de Paris et la métropole du Grand Paris se mobilisent et viennent expliquer à l'occasion de différents colloques et événements tout ce que Paris fait pour attirer les activités en France.

L'image est un élément clé. Sachez, pour l'anecdote, que l'on nous interroge sans arrêt sur la taxe à 75 % sur les revenus supérieurs à 1 million d'euros. Nous expliquons à nos collègues étrangers qu'elle n'a jamais vraiment été appliquée et que ce dispositif n'existe plus, mais, à certains moments, des signaux négatifs ou contradictoires ont pu être donnés. Depuis plusieurs années, au contraire, nous assistons à une mobilisation très proactive des pouvoirs publics et des acteurs de la place. Notre ministre Bruno Le Maire a repris le flambeau, de manière très proactive également, réunissant encore récemment le comité Place de Paris 2020, qui travaille à ces questions d'attractivité parfois extrêmement concrètes. Par exemple, le fait que des transports efficients permettent de gagner les aéroports nous crédibilise beaucoup en tant que hub à partir duquel les équipes installées à Paris peuvent rayonner vers l'ensemble des places économiques européennes. En tant que hub aéroportuaire, nous sommes probablement sans équivalent. Encore faut-il pouvoir aller à l'aéroport sans reperdre tout le temps qu'on a gagné, des dossiers comme celui du Charles-de-Gaulle Express sont évidemment très importants pour l'attractivité de la place de Paris.

Je ne reviens pas sur toutes les importantes mesures prises en loi de finances et en loi de financement de la Sécurité sociale.

Parmi les derniers problèmes soulevés par nos collègues, notamment étrangers, reste, lorsqu'il s'agit de choisir entre Paris et Francfort, l'absence de plafonnement des charges sociales patronales en France, qui crée des différences substantielles de coût du travail pour certaines catégories de salaires. Évidemment, c'est un sujet complexe, nous en sommes parfaitement conscients, mais c'est l'un des points sur lesquels nous sommes encore en difficulté.

Il faut bien distinguer différents cas. Les banques françaises et celles dont le siège principal est en France n'ont évidemment pas de problème, à la suite du Brexit, pour disposer d'un passeport européen puisqu'elles sont déjà localisées à Paris. Comme elles sont également très présentes à Londres, cela entraînera des reports d'activité vers le continent. Les banques françaises ont indiqué que leurs relocalisations se feraient à Paris – selon nous, cela représentera 1 000 emplois. Soyons cependant clairs : Londres est la première place financière mondiale. Les banques françaises y resteront donc présentes pour traiter les clients britanniques – les banques suivent leurs clients. Les clients britanniques seront traités depuis Londres, mais pas seulement eux, Londres restant une grande place financière internationale. Ce sont principalement les activités qui concernent des clients de l'Union à vingt-sept qui seront relocalisées. Les banques étrangères qui n'étaient présentes qu'à Londres devront, pour leur part, établir un siège quelque part dans l'Union européenne pour bénéficier du passeport. Quant aux banques étrangères déjà présentes dans l'Union européenne, la grande banque sino-britannique HSBC a déjà annoncé qu'elle pourrait relocaliser jusqu'à un millier de personnes à Paris.

Dans tous les cas, les mesures prises en faveur de l'attractivité, le positionnement des pouvoirs publics, c'est-à-dire le souhait exprimé de récupérer ce type d'emploi plutôt chez nous, et les choix réglementaires importent particulièrement. L'hypothèse d'une réglementation aux exigences très faibles, qui permettrait de n'établir que ce que les superviseurs appellent des « banques boîtes aux lettres », est déjà écartée. Reste à savoir jusqu'où iront les exigences réglementaires en matière de relocalisation.

Je suis convaincue qu'il ne faut pas voir cette question uniquement sous un angle réglementaire. Pour développer la place de Paris, les perspectives de développement d'activités et l'ambition que nous nous donnerons au niveau européen, notamment en ce qui concerne les marchés de capitaux, seront également très importantes. La Commission européenne actuelle avait fait de l'Union des marchés de capitaux l'un de ses grands projets, et un certain nombre de mesures ont été prises, ce dont nous pouvons nous féliciter. Force est cependant de constater que la relance de cette union et une méthode plus ambitieuse sont cruciales, pour toutes sortes de raisons, notamment le développement d'activités dont nous pouvons espérer que la place de Paris bénéficierait beaucoup compte tenu de son positionnement.

La Fédération bancaire française propose d'ailleurs qu'un groupe de sages, comme il y en a déjà eu en cette matière, essaie de développer une vision plus ambitieuse. C'est tout à fait essentiel : c'est ce qui pourra amener les grands acteurs mondiaux à se dire qu'il est important de se localiser sur le continent européen ; ensuite, chacun jouera sa carte au sein de l'Union européenne. Il faut, pour que celle-ci devienne un lieu attractif, qu'elle se donne de grandes ambitions. Nous avons beaucoup d'atouts : une épargne abondante, un marché de la dette – publique ou privée – dynamique… Il importe que les centres de décision en matière de traitement et d'usage de cette épargne dans le financement de l'économie soient chez nous plutôt qu'ailleurs.

C'est peut-être le seul point sur lequel mon point de vue diverge de celui d'Édouard Fernandez-Bollo. La localisation des sièges est importante car il existe malgré tout un biais national dans les choix d'allocation que font les gestionnaires d'actifs – l'Association française de la gestion financière a évalué le phénomène de manière relativement scientifique. Il est tout à fait légitime de se demander où seront établis les sièges car les choix faits auront un effet majeur sur l'orientation des flux d'épargne massifs du continent européen.

Nous faisons un certain nombre de propositions au-delà de la constitution de ce comité des sages.

Soyons également vigilants dans la mise en oeuvre de certaines réglementations et de certains projets qui pourraient être un handicap pour le développement des marchés de capitaux. Un grand enjeu sera la transposition en Europe de la réforme actée par le « comité de Bâle » à la fin de l'année 2017, notamment la façon dont seront traités les risques de marché – ce que nous appelons dans notre affreux jargon FRTB (pour Fundamental Review of the Trading Book). Il a été acté, d'ailleurs, qu'il fallait veiller attentivement à une mise en oeuvre aux États-Unis comme en Europe. C'est très important pour la compétitivité des marchés de capitaux en Europe.

Je me dois aussi de dire que l'idée d'une taxe sur les transactions financières appliquée par quelques États au sein de l'Union européenne ne serait évidemment pas favorable à la place de Paris, surtout si la France fait partie de ces États. Nous nous sommes beaucoup exprimés à ce propos.

Édouard Fernandez-Bollo a évoqué les chambres de compensation. Leur régulation et leur localisation sont des enjeux régaliens, en termes de stabilité financière et de politique monétaire, mais l'enjeu est également important pour le développement des activités financières. Ces chambres cristalliseront autour d'elles la présence de tous ceux qui travaillent avec elles. Or, aujourd'hui, 80 % ou 90 % de la compensation sur les dérivés de taux sur la monnaie euro, activité très importante, se fait à Londres.

Édouard Fernandez-Bollo a déjà beaucoup parlé de la stabilité financière. C'est évidemment l'un des grands enjeux pour les banques. La situation est aujourd'hui extraordinairement incertaine : comme tout le monde, nous essayons d'y voir clair dans les échanges entre le négociateur européen et les pouvoirs publics britanniques. À quel moment les règles seront-elles donc définies ? Par définition, ces situations d'incertitude ne sont pas très agréables ni très bien vécues par les marchés. L'un des problèmes du Brexit pour les activités financières est que nous ne savons pas dans quel cadre ces activités s'exerceront dans les prochaines années.

Cependant, je peux vous rassurer quant à la stabilité financière stricto sensu. En tant que secteur bancaire, nous dialoguons avec nos superviseurs, et il a été demandé aux banques de présenter d'ici à la fin du mois de juin 2018 des plans de continuité qui tiennent compte de tous les scénarios possibles, y compris le scénario le plus complexe, dit de hard Brexit, qui pourrait, sans accord au niveau européen, se réaliser dès le mois mars 2019. Nos adhérents y travaillent bilatéralement avec leurs superviseurs et des travaux de place sont également menés au niveau national ou au niveau de la Fédération bancaire européenne.

Le troisième grand enjeu est celui de l'égalité de concurrence. La définition des futures règles du jeu entre le Royaume-Uni et l'Union européenne peut avoir un impact très important sur les enjeux concurrentiels. Après une période de flottement, dans le discours aussi bien des pouvoirs publics britanniques que des négociateurs européens, il est désormais clair que des entités situées hors de ce que seront demain les frontières de l'Union européenne n'auront pas de passeport financier. C'est un point évidemment très important et structurant pour nous. Pour le reste, les choses sont beaucoup moins claires aujourd'hui. Les services financiers seront-ils inclus dans un futur accord de libre-échange ou non ? Cela ne nous semblerait pas parfaitement approprié. Les pouvoirs publics européens ont été très clairs mais la revendication britannique est différente. Où le curseur sera-t-il placé ? Nous ne le savons pas.

La négociation ne doit pas s'orienter vers la création d'ersatz de passeport. La possibilité est évoquée, notamment par les autorités britanniques, d'une forme d'équivalence globale pour les services financiers, ou de reconnaissance mutuelle globale. Il s'agirait de dire que, grosso modo, les règles britanniques et européennes sont équivalentes et qu'elles produisent des résultats analogues. Cependant, notre secteur est extraordinairement régulé et extraordinairement supervisé. Les distorsions de concurrence peuvent donc résider dans les détails. Les règles générales – qui figurent dans les directives et les règlements – peuvent très bien rester exactement les mêmes, mais n'oublions pas les règles dites « de niveau 2 », arrêtées par les autorités comme l'Autorité bancaire européenne ou l'ESMA. Évidemment, si un acteur accède au marché dans les mêmes conditions que les autres sans être obligé d'appliquer les règles de niveau 2, cela peut créer des distorsions majeures de concurrence.

Au-delà, la façon dont les autorités de supervision interagissent avec les acteurs est tout à fait essentielle. Nous le voyons bien avec l'Union bancaire, instaurée en 2014. Bien que les règles de base soient les mêmes au sein de l'Union européenne, bien qu'une convergence des pratiques des superviseurs ait été organisée entre autorités de niveau 2, ce n'est au fond que maintenant que nous avons le même superviseur à Francfort dans la zone euro que l'on voit véritablement converger la supervision avec, parfois, des enjeux concurrentiels très importants. Comme souvent, le diable peut donc être dans les détails et, si des équivalences doivent être accordées, il faudra vérifier que les règles sont pareillement appliquées. Selon nous, les équivalences ne peuvent être que sectorielles et adaptées. Aujourd'hui, les directives ouvrent un certain nombre de possibilités d'équivalences mais elles n'ont pas du tout été conçues pour tenir compte d'un marché aussi important – en réalité, un marché dominant – que le marché britannique des services financiers. Une revue de ces règles d'équivalence sera donc nécessaire. Il faudra aussi une mobilisation très forte des autorités européennes et probablement, en l'occurrence, de la Commission pour s'assurer ensuite que l'équivalence reste réelle. Il faudra également que les règles prévoient le cas où l'équivalence cesserait et les conséquences qui en découleraient.

Vous le voyez, nous sommes à la fois face à des enjeux très stratégiques – l'Union des marchés de capitaux, l'ambition que doit se fixer l'Europe, y compris pour assurer son indépendance, puisque le développement de marchés de capitaux en Europe est nécessaire au financement de l'économie – et face à des questions très précises et très fines de réglementation et de supervision, potentiellement très importantes pour les conditions de concurrence.

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