Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 21 mars 2018 à 17h30
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Monsieur le président, mon exposé liminaire me permettra sans doute de répondre à une partie de vos questions ; je reviendrai ensuite sur celles auxquelles je n'aurais pas répondu. Toutefois, certaines d'entre elles ne relèvent pas de mes compétences, ni actuelles ni passées et, comme j'ai prêté le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, je ne peux pas inventer et je dois être sûr de ma mémoire.

Comment concilier, d'une part, une politique d'attractivité qui bénéficie à nos territoires et à notre économie et, d'autre part, la préservation de notre autonomie stratégique, au plan national et au plan européen ? Cette question est au coeur des inquiétudes que peuvent susciter les investissements étrangers au sein de notre économie. Ces inquiétudes, qui sont à l'origine de votre commission d'enquête, soulèvent, au fond, la question de l'équilibre que l'État doit assurer entre ouverture et protection afin d'assurer la défense de nos intérêts économiques. La conviction du Gouvernement est que les investissements étrangers sont bons pour notre économie – d'où l'exigence d'ouverture dont je parlais à l'instant –, mais selon des conditions qu'il revient à la puissance publique de définir et d'adapter, en tenant compte des évolutions de l'économie internationale : cette exigence de protection ou, pour être plus précis, de souveraineté doit se concevoir et se pratiquer à l'échelle nationale et à l'échelle européenne.

Pour apprécier correctement l'enjeu que représentent, pour notre économie, les investissements étrangers, il faut les resituer dans la cohérence d'ensemble de notre politique commerciale, qui doit être placée sous le signe de la réciprocité. Pour ce faire, il faut tenir les deux bouts du raisonnement et prendre en compte nos intérêts défensifs et nos intérêts offensifs, autrement dit la garantie de notre souveraineté et la capacité de projection de nos entreprises : les investissements français suscitent parfois eux-mêmes des inquiétudes, y compris de la part de nos partenaires européens, et font ainsi écho à nos propres inquiétudes lorsque des investissements ont lieu chez nous. Prenez, par exemple, les investissements français en Italie, où l'on craint parfois qu'ils ne portent atteinte à certains secteurs stratégiques. Voyez l'offensive de Vivendi sur Mediaset et Telecom Italia : nous n'avons naturellement pas la même vision de la nature de cet investissement, des deux côtés des Alpes. Lorsque des mesures sont prises par des partenaires européens que nous estimons abusivement protectionnistes et qui menacent nos investisseurs nationaux, nous les critiquons. Nous le faisons parce qu'il est dans notre intérêt précisément que nos entreprises puissent investir à l'étranger, notamment en Europe, où elles trouvent des relais de croissance qui profitent à notre économie, donc à notre souveraineté.

Les chiffres sont éloquents. Le stock des investissements français était estimé, fin 2016, à près de 1 200 milliards d'euros : ils ont quasiment doublé en dix ans, Cela fait de la France le sixième investisseur dans le monde, derrière les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni, le Japon et l'Allemagne et juste devant le Canada. Pour être plus précis, la zone euro concentre 45 % du stock français d'investissements à l'étranger et l'Amérique du nord 20 %. Ces investissements produisent des revenus équivalents à 67 milliards d'euros annuels, constitués majoritairement, à hauteur de 58 milliards, de dividendes. Le solde entre ce montant et les revenus d'investissements étrangers rapatriés depuis la France correspond à une recette nette pour l'économie française de 42,7 milliards en 2016, qui contribue donc positivement à nos comptes extérieurs et compense ainsi une partie de notre déficit commercial.

En ce qui concerne les investissements directs étrangers (IDE) dans notre pays, la France occupe aujourd'hui le septième rang mondial, avec un stock qui s'élevait à près de 700 milliards fin 2016, ce qui nous place derrière les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni, Singapour, le Canada et l'Allemagne. Le flux d'IDE s'est élevé à 28 milliards d'euros en 2016, en ligne avec la moyenne depuis 2000. Au plan sectoriel, plus des deux tiers du stock d'IDE concernent le secteur des services et un quart l'industrie. Ces investissements proviennent de manière prépondérante d'autres économies avancées, même si le poids des pays émergents progresse peu à peu – ceux-ci représentaient seulement 3 % des IDE en 2016.

À cet égard, la position de la Chine fait l'objet de nombreux débats – et j'imagine que votre commission y porte un intérêt particulier. Encore très faible jusqu'à récemment, le stock d'IDE chinois augmente sensiblement en France, ce qui correspond à un effet de rattrapage au regard des dimensions de l'économie chinoise. Ce stock s'élève aujourd'hui à 8 milliards d'euros si l'on considère l'investisseur ultime, ce qui reste faible par rapport au stock. En 2016, les flux d'origine chinoise correspondaient à 2 % des flux totaux, soit 1,4 milliard. Sur ce sujet, le Président de la République a exprimé, lors de son déplacement en Chine, une position claire et parfaitement comprise de notre partenaire, en identifiant deux déséquilibres : la faiblesse de l'investissement chinois en France et l'importance du déficit commercial de notre pays à l'égard de la Chine, qui s'élève, de mémoire, à 30 milliards d'euros, soit la moitié de notre déficit global.

Les investissements étrangers en France produisent des effets bénéfiques. Les capitaux étrangers choisissent notre pays en raison de la qualité de notre main-d'oeuvre et de nos infrastructures : entre 2006 et 2016, ils ont permis de sauvegarder environ 30 000 emplois par an en moyenne et réalisent chaque année, selon une estimation de Business France, près de 150 milliards d'euros de valeur ajoutée. L'exemple de l'usine Toyota à Valenciennes en montre l'intérêt et l'effet bénéfique.

Je souhaite maintenant aborder quelques-uns des points que vous avez évoqués, monsieur le président.

Quelques mots pour commencer de la consolidation industrielle européenne, qui est à la marge de votre commission d'enquête mais qui lui est tout de même très liée. Ces dernières années et encore récemment, plusieurs opérations majeures de consolidation industrielle ont été effectuées. Certains y voyaient des actes hostiles ; tel n'était pas mon cas. Lorsque deux entreprises européennes se rapprochent pour créer un champion mondial, j'y vois un acte fort de souveraineté : comme je le dis souvent, dans le domaine industriel, singulièrement dans le cas des consolidations industrielles européennes, un plus un font plus que deux. Je pense notamment au secteur de la défense : dans le cas du rapprochement entre Nexter et KMW, par exemple, nous partions d'une situation où deux entreprises se faisaient la guerre à l'export, doublonnaient leurs efforts de R&D et mettaient en tension leur tissu de sous-traitance. Nous avons réussi à les marier à 50-50 ; grâce à ce rapprochement, les entreprises se sont nettement renforcées, leurs gammes de produits se complètent, leurs technologies s'enrichissent et leurs capacités à l'exportation se sont considérablement accrues. Ainsi, Nexter, la partie française, a vu son chiffre à l'exportation augmenter de 20 % depuis cette consolidation, qui n'est effective que depuis l'année dernière. Ces consolidations, lorsqu'elles sont bien faites, ont donc des effets très positifs.

Nous avons vu également, certes moins souvent, des entreprises extra-européennes faire l'acquisition d'entreprises nationales. Bien évidemment, ces opérations sont regardées de très près. Dans ce cadre, le dispositif IEF (Investissements étrangers en France), qui s'applique à l'investissement d'une entreprise étrangère sur notre territoire, est un levier précieux.

La France possède, dans le cadre des exceptions prévues par le droit européen, un dispositif national de contrôle des investissements étrangers dans certains secteurs. La prise de contrôle par un investissement étranger dans des sociétés françaises exerçant certaines activités est ainsi soumise à autorisation préalable des autorités françaises. Il s'agit des activités participant à l'exercice de l'autorité publique, des activités de recherche, de production ou de commercialisation d'armes, de munitions, de poudres et substances explosives et des activités de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale, telles que les technologies duales, la cryptologie, etc. Le décret du 14 mai 2014, dit décret Montebourg, y a ajouté notamment l'eau, l'énergie, les communications électroniques, la protection de la santé publique et les activités d'importance vitale telles que définies par le code de la défense.

Du point de vue européen, plusieurs éléments doivent être pris en compte.

En premier lieu, la politique de concurrence européenne a été avant tout conçue pour lutter contre les monopoles et les abus de position dominante. L'Union européenne doit accomplir une révolution intellectuelle afin que cette politique, tout à fait justifiée, ne soit pas un obstacle à l'émergence de champions européens.

En deuxième lieu, il ne faut pas minimiser le caractère clivant de ces questions. Notre vision de la politique industrielle nous semble parfaitement fondée, mais d'autres États membres en ont une vision tout à fait différente, notamment parce qu'ils ont une culture politique et économique plus libérale que la nôtre ; je pense aux pays nordiques ou anglo-saxons.

En dernier lieu, dans le domaine spécifique de la défense, je suis bien placé pour le savoir, tous les États membres ne partagent pas notre attachement à l'autonomie stratégique de l'Union européenne. Cela étant, même si les habitudes sont profondément ancrées, la prise de conscience de ces enjeux progresse : l'Allemagne, en particulier, a évolué sur la question en constatant les investissements de la Chine dans le secteur des machines-outils ou encore des batteries de voiture électrique, deux secteurs stratégiques pour son industrie.

J'en viens à l'évolution de la réglementation nationale. Le 16 février dernier, le Premier ministre a prononcé un discours fondateur, qui fixe les orientations du Gouvernement sur le sujet. La protection des entreprises stratégiques constituera un axe majeur du projet de loi PACTE (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises), qui sera soumis au Conseil des ministres le 2 mai. Il s'agit d'être vigilant et d'avoir les moyens d'une intervention si cette dernière s'avère nécessaire. Plusieurs mesures sont à l'étude.

Premièrement, le renforcement du régime de contrôle des investissements étrangers en France par la création d'un régime de sanctions mieux proportionnées, en étendant le contrôle à de nouveaux domaines, notamment l'espace, l'intelligence artificielle, et les semi-conducteurs.

Deuxièmement, l'élargissement, dans le respect du droit européen, des possibilités de création de « golden shares » dans les entreprises stratégiques pour accroître les possibilités de contrôle de l'État actionnaire. Ce dispositif est déjà utilisé, par exemple, chez Thales.

Enfin, l'amélioration de la stabilité du capital des entreprises cotées, notamment par des mesures visant à développer l'actionnariat salarié et les fondations actionnaires ou à renforcer le rôle des comités d'entreprise dans les offres publiques d'achat (OPA) en portant d'un à deux mois le délai qui leur est accordé pour rendre un avis. Le ministre de l'économie et des finances pourra certainement vous préciser le contenu de ces orientations.

À l'échelle européenne, les choses avancent à notre initiative. C'est la preuve que l'engagement du Président de la République pour une Europe qui protège est suivi d'effets. En septembre dernier, à la suite des conclusions du Conseil européen de juin, la Commission a soumis au Conseil et au Parlement européen un projet de règlement sur le filtrage des investissements directs étrangers. Cette proposition vise à autoriser explicitement les États membres, sur le principe du volontariat, à établir des dispositifs de contrôle des investissements étrangers dans leur pays sur la base de l'ordre public. Elle tend également à instituer un mécanisme de partage des informations au niveau européen avec la Commission. C'est une avancée décisive, qui marque un changement d'état d'esprit.

La dynamique insufflée au sein du Conseil par la présidence bulgare nous permet d'envisager l'adoption du règlement avant les prochaines élections européennes. Ce sera un signal politique fort dans le cadre de l'agenda du Président de la République en faveur d'une Europe souveraine, car la souveraineté de l'Europe passe par la sauvegarde de ses intérêts économiques majeurs. Il est vrai qu'il n'y a pas de posture intégrée, mais il sera désormais possible aux pays membres d'adopter – c'est souhaitable – un dispositif de protection analogue au nôtre, qui sera ainsi une référence, et de bénéficier d'un échange d'informations.

Par ailleurs, l'idée que la politique industrielle est un élément de la souveraineté européenne progresse, à notre initiative, mais l'Allemagne en reconnaît peu à peu la nécessité. Ainsi a-t-on fixé l'objectif de porter la part de l'industrie dans le PIB européen à 20 % d'ici à 2020 ; le Président Juncker en a fait une priorité. Une série d'outils ont été créés, y compris dans le domaine de la défense : la création du Fonds européen de défense est un élément significatif de cette prise de conscience, ce à quoi vient s'ajouter la reconnaissance de la primauté industrielle dans l'effort de recherche : les discussions sur le prochain Cadre financier pluriannuel seront l'occasion d'intégrer cette priorité qui doit permettre de renforcer notre base industrielle.

Tels sont, monsieur le président, les éléments que je souhaitais vous communiquer dans mon introduction. Je vais maintenant m'efforcer de répondre à certaines de vos questions.

En ce qui concerne le rôle du ministère des affaires étrangères dans le contrôle des investissements, le dispositif, au sens strict du terme, de contrôle des investissements étrangers relève d'abord des compétences du ministre de l'économie et des finances, qu'il exerce en lien avec les ministères techniques concernés, notamment le ministère de la défense, et en bonne relation avec le ministère des affaires étrangères. Nous ne sommes pas partie prenante de l'instruction des IEF, mais nous contribuons à la prise de conscience des enjeux que représentent les investissements étrangers, d'abord parce que nous assurons une veille approfondie des grandes tendances économiques en matière de politique industrielle des États, ensuite parce que nous sommes directement impliqués lorsque des décisions d'investissement affectent positivement ou négativement les relations bilatérales. À cet égard, la Direction générale de la mondialisation, qui comprend une direction des entreprises, assure ce travail de veille s'agissant des investissements internationaux, en alertant, en impulsant et en suivant en particulier les grands contrats.

Vous avez évoqué, et j'en suis très heureux, la réorganisation de Business France. De fait, lorsque j'ai pris mes fonctions, j'ai fait plusieurs constats. Tout d'abord, notre déficit commercial est très significatif – en raison, en grande partie, de la désindustrialisation de notre pays depuis plusieurs années – et il augmente sensiblement, puisqu'il est passé de 45 milliards à 60 milliards, malgré – ou peut-être à cause – de la reprise économique. En tout cas, on ne peut pas laisser perdurer ce déficit ni accepter cette situation, qui est due en partie à la désindustrialisation et à l'absence d'une véritable culture de l'exportation dans notre pays, sauf dans les grands groupes – je vais y revenir. La réforme de Business France, que j'ai initiée et que le Premier ministre a rendu publique il y a peu de temps, vise à développer cette culture indispensable. Actuellement, en France, seulement 125 000 entreprises exportent, parmi lesquelles bon nombre de mono-exportateurs ou des primo-exportateurs. C'est très insuffisant ; nous nous sommes donc fixé pour objectif d'atteindre le chiffre de 200 000 entreprises exportatrices à la fin du quinquennat, ce qui ne sera pas facile.

Nous devons, à cette fin, développer, en partenariat avec les régions, qui exercent la compétence économique, l'accompagnement de Business France. Ainsi les entreprises auront un seul interlocuteur sur les territoires : les régions, qui pourront déléguer cette compétence à un seul outil, afin d'éviter la dispersion des acteurs. Le même raisonnement vaut pour les pays d'accueil. Nous avons, là aussi, clarifié les responsabilités. L'entreprise exportatrice aura également un seul interlocuteur : l'ambassadeur, coresponsable de l'ensemble de l'organisation avec la chambre de commerce internationale, Business France ou un autre outil. Il doit y avoir une unité d'action dans chaque territoire, en fonction des choix et de l'appréciation de l'ambassadeur et de Business France. Nous nous doterons ainsi d'un guichet unique à l'entrée et d'un guichet unique à la sortie. Ce dispositif a été, je crois, plutôt bien accepté par les différents acteurs. Le but est de renforcer la culture de l'exportation et de faire en sorte que, dans les territoires cibles, les entreprises bénéficient des meilleures informations, des meilleurs réseaux et des meilleurs relais, jusqu'à présent trop dispersés.

Quant aux grands contrats, j'en suis directement la mise en oeuvre en essayant d'insuffler ce que j'avais appelé, dans mes fonctions antérieures, l'esprit d'une Équipe de France de l'exportation. L'aboutissement de ces grands projets, de nature civile et militaire, qui sont actuellement au nombre d'une trentaine, nécessite que le ministre des affaires étrangères et, parfois, le Président de la République se mobilisent. Ainsi, lors de chacun de mes déplacements, non seulement je rencontre les entreprises présentes dans le territoire, mais je me préoccupe aussi de la bonne avancée des grands projets, par exemple ceux qui sont liés au nucléaire – au Japon, en Chine, en Inde, récemment – à la ville durable ou aux transports. Chacun de ces projets doit faire l'objet d'une mobilisation et d'un pacte d'entreprise : le ministère des affaires étrangères doit établir un lien les entreprises concernées, l'ambassadeur jouant un rôle très important de relais.

Voilà comment les choses fonctionnent. Il est parfois nécessaire d'effectuer plusieurs déplacements pour que ces projets aboutissent. Les engagements sont parfois pris par les responsables politiques ou économiques lors d'un déplacement du Président de la République ; mais celui-ci ne se rend pas dans les pays majeurs plusieurs fois par an. Il faut donc veiller à ce que les engagements soient pris ou inciter à ce qu'ils soient honorés. C'est une partie, assez passionnante, de la mission qui m'a été confiée. Vous avez bien voulu rappeler que j'ai une certaine expérience de ces questions ; j'essaie d'en tirer le meilleur parti. Nous devons nous doter d'un dispositif de simplification cohérent ; j'y travaille.

Vous m'avez demandé, à propos des procédures anticorruption, comment nous étions informés. Je ne peux pas répondre à une partie de votre question, car je n'occupais pas les fonctions qui sont les miennes aujourd'hui lors du lancement de la procédure visant M. Pierucci.

En tout état de cause, nous effectuons, en lien avec le ministère de l'économie et des finances, une veille active qui repose notamment sur des contacts réguliers avec les entreprises et les magistrats de liaison présents dans nos ambassades les plus importantes. Ce travail de veille doit être accompagné d'un dispositif de prévention de la corruption. La France a pris, à cet égard, des engagements importants : les normes OCDE ont été transposées en droit interne et la loi Sapin 2 a créé l'Agence française anticorruption AFA.

Il est peut-être encore trop tôt pour juger de son efficience, car elle vient de se mettre en place, mais cette agence, chargée de mieux détecter et de prévenir la corruption, est dotée de pouvoirs de sanction. Des obligations de vigilance sont applicables aux grands groupes, qui devront mettre en oeuvre des procédures de détection et de prévention des faits de corruption et de trafic d'influence. Il s'agit donc d'un outil très utile de clarification et de performance.

Je précise que nous suivons attentivement la situation de M. Pierucci – je sais que vous-même avez pris des initiatives le concernant. Il bénéficie de la protection consulaire et reçoit, à ce titre, des visites régulières de notre consulat général. M. Pierucci a déposé une demande de transfèrement vers la France, qui a été instruite très favorablement par les autorités françaises compétentes mais que les autorités américaines, souveraines en la matière, ont malheureusement refusée. Vous avez raison de souligner les difficultés que peuvent créer les actions parfois intempestives de certaines autorités, singulièrement outre-Atlantique.

S'agissant de la loi dite « de blocage », vous avez raison de souligner l'aspect néfaste des sanctions unilatérales, qui sont contraires au droit international quand elles sont imposées à des acteurs économiques pour des opérations qui ne peuvent pas être rattachées à la juridiction de l'État qui les adopte. Ces pratiques sont condamnables et doivent être poursuivies devant les instances compétentes, en particulier au regard des règles de l'OMC. Vous avez souligné qu'il existe un dispositif national et un dispositif européen – la loi « de blocage » de 1968 et le règlement européen de 1996 – qui visent à assurer nos entreprises contre l'effet extraterritorial des sanctions.

Je ne suis pas convaincu de leur performance. Je constate, dans le cadre de mes fonctions actuelles, que la tentation de l'extraterritorialité – tentation surtout américaine, et qui ne se justifie pas toujours par le rattachement de l'entreprise concernée au sol américain, ou alors indirectement – doit être contrée par un dialogue franc et ferme avec les autorités américaines, de préférence en anticipant, même si cela n'aboutit pas toujours. Je prends un exemple. Si, au mois de mai prochain, le Président Trump ne donne pas suite à la mise en oeuvre du JCPOA (Joint comprehensive plan of action), c'est-à-dire l'accord sur le nucléaire iranien, nous risquons de rencontrer ce type de problèmes qui, du reste, se posent déjà. En effet, l'accompagnement bancaire d'un certain nombre d'entreprises françaises voulant exporter en Iran est parfois difficile. Nous nous efforçons d'y remédier dès à présent, grâce à un dispositif bancaire d'accompagnement. Je n'en dis pas plus pour l'instant car, si ce dispositif est en bonne voie, il n'est pas encore tout à fait abouti ; Bruno Le Maire et moi y travaillons de manière très consensuelle. Il nous faut également alerter nos partenaires des risques ou des inconvénients majeurs que pourrait représenter une absence d'articulation des sanctions. Nous devons en effet nous efforcer de faire en sorte que celles-ci, lorsqu'elles sont prononcées – je pense au cas de l'Iran –, soient le plus possible harmonisées. Cela nécessite un travail régulier. Ainsi je rencontre non seulement mon homologue américain, mais aussi le secrétaire américain au commerce lors de chacun de mes déplacements à Washington. Notre dialogue est parfois musclé, mais il nous paraît indispensable pour aborder ces questions de la meilleure manière, tenter d'obtenir une homogénéité des mesures envisagées en cas de sanctions et éviter une « extraterritorialité intempestive ».

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