Intervention de Christophe Baud-Berthier

Réunion du mercredi 21 mars 2018 à 16h25
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Christophe Baud-Berthier, directeur des enquêtes et statistiques sectorielles de la Banque de France :

Merci infiniment, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, de faire appel à la Banque de France pour vous éclairer sur la question des IDE. C'est effectivement la Banque de France qui traditionnellement élabore la balance des paiements. De ce fait, elle est notamment chargée de l'évaluation des investissements directs.

Selon la stricte définition du Fonds monétaire international (FMI), qu'appliquent tous les pays du monde pour l'élaboration de la balance des paiements, les investissements directs sont des prises de participation d'une entreprise résidente dans une entreprise non-résidente. Autrement dit, c'est moins la notion de nationalité qui est prise en compte que celle de résidence. Quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui a une activité en France, nous comptabilisons toutes les opérations dont les contreparties sont non-résidentes. Nous ne nous intéressons pas aux opérations purement domestiques ni à ce qui se passe entièrement à l'étranger.

La notion d'investissement direct recouvre les prises de participation réalisées à partir de 10 % ; les investissements immobiliers, les acquisitions d'actifs immobiliers au sens tangible du terme ; les bénéfices réinvestis dans les filiales étrangères ; les prêts intra-groupe entre filiales résidentes et non résidentes ; les crédits commerciaux entre une entreprise résidente et une entreprise non-résidente.

La France est au dixième rang pour l'accueil des investissements directs. Sans grande surprise, ce sont les États-Unis, première économie du monde, relativement ouverte, qui attirent le plus les investissements directs. Nous parlons là du stock global à la fin de l'année 2016, en nous fondant sur les statistiques de l'Organisation pour la coopération et pour le développement économique (OCDE) – les chiffres 2017 pour la France sont prêts, je pourrai en faire état.

Au-delà des États-Unis, les Pays-Bas et le Luxembourg occupent une place connue et singulière, disproportionnée par rapport au poids économique réel de ces pays qui ont su attirer les holdings qui contrôlent des activités dans d'autres pays.

La part de la Chine a bien sûr beaucoup progressé ces dernières années ; c'est désormais le quatrième pays de destination des investissements directs. Ensuite vient le Royaume-Uni, mais d'autres pays européens figurent évidemment parmi les seize premiers. Nous nous comparons souvent à l'Allemagne. Effectivement, du point de vue de l'accueil des investissements directs, nous sommes assez proches. Mais si l'Allemagne est au neuvième rang, il ne faut pas perdre de vue le fait que l'économie allemande est moitié plus importante que l'économie française.

Si l'on considère non les investissements entrants mais les investissements sortants, la position relative de la France est un peu meilleure : c'est le reflet d'une internationalisation poussée des entreprises françaises, notamment les plus grandes. Nous n'en retrouvons pas moins les mêmes pays dans les premiers rangs du classement : les États-Unis, tout d'abord, puis les Pays-Bas et le Luxembourg, et les autres pays que nous avons déjà cités. L'Allemagne est à 1 336 milliards d'euros, soit un stock d'un montant très proche de celui du stock d'investissements français. Le tissu économique allemand est constitué notamment de petites et moyennes entreprises (PME) et d'entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui restent peut-être plus localisées sur le territoire national tout en exportant beaucoup, tandis que les entreprises françaises de grande taille se sont beaucoup implantées à l'étranger et vendent depuis leurs filiales.

À la fin de l'année 2017, selon nos estimations, le stock des investissements directs français à l'étranger était de 1 210 milliards d'euros, tandis que le stock des investissements directs des étrangers en France était de 731 milliards d'euros, soit un solde net positif de 480 milliards d'euros. Au fil des ans, ces deux chiffres ont augmenté parallèlement, accompagnant le mouvement d'internationalisation des entreprises françaises ou étrangères en France. Au cours de la période la plus récente, nous constatons tout de même une attractivité plus marquée de la France.

C'est dans l'industrie manufacturière que les investissements sont les plus importants, qu'il s'agisse des investissements français à l'étranger ou des investissements étrangers en France. En deuxième position arrivent, aussi bien pour les investissements sortants que pour les investissements entrants, les activités financières et d'assurance, mais cela inclut les holdings. Nous essayons évidemment de caractériser les investissements, mais il nous est parfois difficile d'attribuer un secteur d'activité à la holding recensée comme étant l'investisseur en France. Les activités immobilières sont également importantes ; il y a d'ailleurs davantage d'investissements étrangers dans l'immobilier domestique que d'investissements français dans l'immobilier à l'étranger.

Quant aux pays partenaires, selon la méthodologie officielle du Fonds monétaire international, c'est la contrepartie immédiate qui est normalement retenue comme critère de définition des investissements directs, mais le concept d'investisseur ultime, en tout cas aux yeux de la Banque de France, est plus intéressant sur le plan économique : dans cette catégorie, sans grande surprise, les États-Unis sont le premier pays investisseur en France. Viennent ensuite l'Allemagne, la Suisse, le Royaume-Uni.

Vous signaliez tout à l'heure, monsieur le président, la montée en puissance relative des pays moyen-orientaux ou orientaux, mais ils restent pour l'instant à un rang relativement modestes : si nous agrégeons les investissements de la Chine et de Hong Kong en tant qu'investisseurs ultimes, nous parvenons à un stock d'un montant de 10 milliards d'euros. C'est presque équivalent à ce que les entreprises françaises peuvent y détenir, et très modeste par rapport aux 118 milliards d'euros investis par les États-Unis et aux 83 milliards d'euros investis par l'Allemagne.

Après les stocks, considérons les flux, à l'évolution évidemment un peu plus erratique. En 2017, les investissements français à l'étranger se sont élevés à 52 milliards d'euros, et les investissements étrangers en France à 46 milliards ; l'évolution est relativement faible par rapport à l'année antérieure, mais se traduit toujours par un solde net positif, qui accroît d'autant le poids des investissements français à l'étranger.

Ce stock d'investissements à l'étranger produit évidemment des revenus, sous la forme des dividendes perçus par les groupes français, ou versés par les filiales aux groupes étrangers. Le solde net est très largement positif : ce sont environ 40 milliards d'euros qui, chaque année, confortent la balance des paiements française, soit à peu près le montant de la facture pétrolière ou de la charge d'intérêts de la dette publique.

Les investissements directs sont bien sûr de nature multiple. Les investissements entrants sont créateurs d'emplois et de croissance sur le territoire national, ils dépendent de l'attractivité de notre pays aux yeux des investisseurs internationaux. Les investissements sortants peuvent contribuer, d'une certaine manière, au maintien de la compétitivité externe dans le cadre d'une répartition internationale du travail. Ils peuvent aussi refléter, parfois, une certaine insuffisance de compétitivité-coût qui incite les entreprises à s'implanter à l'étranger plutôt que de se développer sur le territoire national. En termes macro financiers, le solde positif que nous dégageons sur les investissements directs compense, certes partiellement mais tout de même, un endettement public externe très important. D'une certaine manière, il réduit notre dépendance financière vis-à-vis de l'étranger.

Le détail de la balance des paiements française pour l'année 2017 sera commenté par le gouverneur de la Banque de France le 10 avril prochain.

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