Intervention de Colette Neuville

Réunion du jeudi 29 mars 2018 à 14h20
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Colette Neuville :

J'interviens sur l'ouverture du capital – ouvrir le capital signifiant faire appel à des actionnaires.

Je souligne une différence essentielle entre les grandes ou très grandes entreprises et les petites et moyennes entreprises. Chez ces dernières, il y a généralement coïncidence entre le pouvoir et la propriété. C'est ainsi que dans les entreprises patrimoniales, le propriétaire et les actionnaires détiennent le pouvoir alors que la dissociation entre pouvoir et propriété caractérise les grandes entreprises, autorisant, de fait, les restructurations, les opérations de fusion-acquisition, etc., ce qui explique que les grandes entreprises se découpent à la tronçonneuse et se reforment différemment quelques années après. Cela parce que ceux qui décident ne sont pas les propriétaires.

Peut-être ne serai-je pas politiquement correcte en le formulant, mais, après tout, les idées évoluent au fur et à mesure que les faits révèlent les inconvénients. Dans les grandes entreprises, la règle – et ce ne sont ni le MEDEF ni l'Association française des entreprises privées (AFEP) qui me contrediront puisque nous discutons actuellement de la révision du code à la lumière du projet de loi PACTE – impose la présence d'au minimum 50 % d'administrateurs indépendants.

Un administrateur indépendant est un administrateur qui ne doit avoir aucun intérêt d'aucune sorte dans l'affaire avec pour résultat qu'un tel administrateur n'a, effectivement, aucun intérêt dans l'affaire ! Il ne raisonne pas comme une personne qui en aurait. S'agissant d'Alstom, par exemple, Bouygues et ses salariés ont des intérêts dans l'affaire. J'ai discuté plusieurs fois avec les responsables de Bouygues. Ils raisonnent dans l'intérêt de leur affaire, car il s'agit de son argent et de l'argent de ses salariés. C'est ainsi qu'il a essayé de se sortir d'Alstom dès lors qu'il lui a semblé évident que l'alliance Areva-Alstom ne tiendrait pas. Dès lors, il fallait qu'il retire les quelques milliards d'euros investis dans Alstom dans l'intérêt de son entreprise pour s'en servir plus utilement ailleurs. C'est ce qu'il est en train de faire. Dans le cadre d'une offre publique de rachat d'actions, Bouygues en a récupéré 30 %. Pour le reste, je pense qu'un arrangement a dû être passé avec Siemens pour que cette société puisse sortir du capital de la nouvelle structure dans quatre ans. Cela pour dire que les entreprises patrimoniales – les petites entreprises, mais également les quelques grosses entreprises encore existantes – sont intéressées à leur patrimoine et imaginent des stratégies qui serviront son intérêt. De l'autre côté, il y a les entreprises où le pouvoir et la propriété sont dissociés. Aujourd'hui, les personnes qui essayent de réunir pouvoir et propriété sont les activistes. Une action ce sont du pouvoir et de la propriété ; quand on ouvre le capital, on doit aussi ouvrir le pouvoir.

Je vous rejoins, madame la députée, quand vous parlez d'administrateurs indépendants dans les petites et moyennes entreprises. Oui, il faut des administrateurs indépendants pour essayer de montrer aux personnes qui raisonnent en cercle fermé tous les aspects de la question, les financements ou les stratégies qu'elles n'ont pas forcément perçus parce qu'elles vivent dans leur milieu, souvent assez fermé.

Dans les grandes entreprises, c'est tout le contraire qui se produit : aujourd'hui, il y a trop d'administrateurs indépendants. On se félicite d'avoir imposé 40 % de femmes – aujourd'hui, les femmes se sont transformées en quotas… Je pense que les femmes doivent y arriver à la force du poignet et sans doute aurions-nous eu des difficultés à y parvenir sans quotas. Que l'on ait des femmes, d'accord, mais pourquoi allons-nous chercher des femmes étrangères qui n'assistent pas aux conseils d'administration ? Les conférences se font par téléphone. Par expérience, nous savons que les personnes qui participent aux réunions par téléphone sont là pour toucher des jetons de présence et non pour taper du poing sur la table ou essayer de remettre en cause des décisions qui nous ont été présentées la veille au soir ou le matin même dans des dossiers que nous n'avons pas eu le temps de lire !

Dans les grandes entreprises comme Alcatel, Pechiney, Lafarge, Alstom, que l'on retrouve dans des fusions entre « égaux », la France se retrouve sur un strapontin, faute d'avoir suffisamment réfléchi à l'avance au sein des conseils aux stratégies préventives à ces dépècements qui se renouvellent tous les ans. C'est ainsi que chaque année, la France perd un ou deux de ses fleurons, faute d'avoir anticipé et permis que l'entreprise tienne son rang face à une concurrence internationale de plus en plus dure. Donc, oui aux administrateurs indépendants, oui à l'ouverture du pouvoir dans les petites et moyenne entreprises, car il faut ouvrir les fenêtres. Pour les autres, il faudrait plutôt faire le contraire.

Nous évoquons la proposition de loi PACTE, dont certaines mesures favorisent l'ouverture du capital. Hier soir, je n'ai pu me rendre à la réunion organisée à Bercy parce que j'avais du travail. Des journalistes m'ont néanmoins demandé ce que je pensais du changement de législation sur le retrait obligatoire. Je leur ai demandé de m'informer. Ils m'ont répondu qu'ils ne disposaient pas du texte, mais que le seuil du retrait obligatoire serait abaissé de 95 à 90 %. Autrement dit, lorsqu'une entreprise ouvrira 30 % de son capital en bourse, elle aura le droit « d'exproprier » 10 % de ces 30 %. Croyez-vous que cela donne vraiment envie aux gens d'entrer dans le capital quand ils savent que l'on a le droit de les exproprier à hauteur de 10 % du capital total ? Suivant le pourcentage mis en bourse, suivant le pourcentage de flottant, 10 % du capital total peuvent être expropriés. Le risque pris est augmenté d'autant. Il ne s'agit encore que d'une proposition de loi. De grâce, saisissez-vous du sujet et expliquez que cela s'inscrit exactement à l'opposé de l'effet recherché.

Cela fait vingt-cinq ans que je me bats pour que l'on n'abaisse pas le seuil du retrait obligatoire. J'ai mené mes précédentes batailles avec le sénateur Marini. Jusqu'à maintenant, j'avais obtenu gain de cause, et le seuil de 95 % avait été maintenu. Le législateur est revenu à la charge pour l'abaisser à 90 %. J'ai été consultée sur le sujet. J'ai répondu que c'était possible dans le seul cas où l'opération intervient dans la foulée d'une offre publique. Une offre publique est lancée, elle se déroule. À l'issue de la réouverture de l'offre publique, il faut se rendre à l'évidence, le prix a été plébiscité par le marché. La règle du droit des sociétés obéit avant tout à la loi de la majorité. Dans une telle hypothèse, la majorité est d'accord. Il n'y a rien à dire, à la condition toutefois qu'une juste indemnité soit versée, car il s'agit d'une expropriation qui ne se justifie pas par une cause d'utilité publique. Ce n'est pas la société qui recevra les actions expropriées, mais l'actionnaire majoritaire. Chaque fois que ce dernier versera une indemnité inférieure à la valeur de l'actif net réévalué, il s'enrichira d'un montant indu car l'actionnaire est propriétaire de l'actif net réévalué, il est propriétaire de sa quote-part de l'actif net réévalué. Payer le titre de l'actionnaire minoritaire à un prix moindre l'appauvrit au profit de l'actionnaire majoritaire.

Je propose d'accepter 90 % dans le seul cas où l'opération fait suite à une offre publique, à condition que l'indemnité soit au moins égale à l'actif net réévalué, afin que l'actionnaire que l'on sollicite aujourd'hui pour entrer dans une société ne se dise pas qu'il prend le risque d'être volé de 10 % au moins de son investissement.

L'expérience montre que les introductions se font quand la bourse est haute et que les retraits obligatoires s'effectuent lorsque la bourse est basse. Voilà trente ans que j'observe ces phénomènes, je suis en mesure de vous livrer des statistiques. Telle est la réalité.

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