Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mardi 10 avril 2018 à 8h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

Le Sénat a particulièrement travaillé, au cours de la précédente législature, sur la fraude, en particulier la fraude fiscale, avec le concours, d'ailleurs, de tous les groupes. Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude sera examiné par l'Assemblée vraisemblablement à l'automne.

La fraude est un coup de poignard dans le pacte républicain. Il fallait un pendant au projet de loi pour un État au service d'une société de confiance, dit « du droit à l'erreur », que vous êtes sur le point d'adopter ; or ce pendant, c'est le très important travail de l'administration douanière, de l'administration fiscale contre la fraude fiscale. Nous n'en connaissons pas le montant exact mais sur les plus de 20 milliards d'euros de rectifications, les services de l'État ne recouvrent que 12 milliards.

Sans doute manquons-nous de moyens juridiques mais aussi de moyens techniques pour appréhender les grands fraudeurs. C'est pourquoi ce texte vise à renforcer les moyens de détection de la fraude dont il prévoit une punition morale et pécuniaire plus importante que celle en vigueur. Vous aurez remarqué que le projet est assez court puisqu'il ne comprend qu'une dizaine d'articles. Il fait l'impasse sur un sujet sur lequel l'Assemblée nationale a décidé de réfléchir par ailleurs : le « verrou de Bercy ». J'ai eu l'occasion de préciser déjà que nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de la discussion.

L'article 1er crée une police fiscale. Pour lancer des enquêtes, le juge et le procureur de la République ont le choix entre deux services dont l'un, le principal, est la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), qui dépend du ministère de l'intérieur et se compose de policiers et d'agents relevant de mon ministère. La BNRDF ne travaille pas exclusivement sur la fraude fiscale mais aussi sur des actes délictueux connexes qui n'entrent pas dans la catégorie de la fraude. La brigade est très sollicitée avec plus de 600 dossiers en attente, 50 étant résolus chaque année. Il faudra donc plusieurs années ne serait-ce que pour traiter l'ensemble des dossiers en souffrance.

Nous avons choisi de ne pas supprimer la BNRDF mais de la compléter.

Existe déjà, depuis quinze ans, le service national des enquêtes douanières, qui peut également être sollicité par le procureur de la République ou par un magistrat. Il est dirigé, à Bercy, par une magistrate. Son activité concerne essentiellement les trafics : contrebande, stupéfiants ou contrefaçons.

Nous proposons de créer, à Bercy, un troisième service, spécifique à la fraude fiscale, pour sa part, placé sous l'autorité d'un magistrat. Il s'agit de la police fiscale prévue, je l'ai dit, à l'article 1er et qui compterait une cinquantaine d'équivalents temps plein. Si vous votez cette disposition, je prendrai rapidement un arrêté de création qui permettra à ce service, au tout début de l'année 2020, de fonctionner puisqu'il faut une dizaine de mois à ces agents, qui seront officiers de police judiciaire et qui auront les mêmes techniques d'enquête que la BNRDF – écoutes téléphoniques, perquisitions, filatures… –, pour travailler sur de grands fraudeurs qui utilisent des moyens différents de ceux employés actuellement par l'État pour les poursuivre. Il n'existe pas de service dont l'expertise est seule consacrée à la fraude fiscale. On peut donc imaginer qu'un magistrat qui cherchera à confier une enquête à un service de police aura le choix entre la BNRDF s'il s'agit de cas de fraude fiscale relevant du ministère de l'intérieur, ou le service national des enquêtes douanières pour la lutte contre les trafics, enfin la police fiscale pour les dossiers de fraude fiscale proprement dite.

L'article 2 a pour objet de renforcer les capacités de contrôle informatique en matière douanière. Le rôle des douanes dans la lutte contre la fraude est très important. Il y a une inégalité de traitement entre les dispositifs permis, si j'ose dire, par direction générale des finances publiques (DGFiP) et ceux permis par les services des douanes – l'excellent Laurent Saint-Martin l'avait déjà souligné dans son rapport spécial. Il s'agit donc de rétablir l'égalité.

L'article 3 vise à faciliter l'échange de données entre administrations à des fins de lutte contre la fraude. C'est peut-être le prélude du renseignement fiscal que je souhaite mettre en place au sein de mon ministère qui dispose d'ores et déjà de trois types de services de renseignement : TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), qui n'est pas un service d'enquête mais d'analyse des données, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et la DGFiP. Le principe de ce renseignement fiscal sera peut-être à préciser au cours du débat parlementaire. En attendant, les quatre mesures prévues à l'article 3 permettront l'échange d'informations évoqué.

L'article 4 précise les obligations déclaratives fiscales des plateformes d'économie collaborative. Après avoir simplifié, à la demande du rapporteur général, leur travail vis-à-vis des collectivités locales, ces plateformes seront obligées, une fois la loi promulguée, de publier les revenus de ceux qui bénéficient de leurs prestations et ils sont nombreux dans l'économie d'aujourd'hui. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

L'article 5 prévoit une peine complémentaire obligatoire de publication pour fraude fiscale, ce qu'on appelle le « name and shame » (« nommer et couvrir de honte »). Les dispositions votées par le législateur sur la publication des condamnations pour fraude fiscale ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Après l'avis du Conseil d'État, nous avons travaillé avec le secrétariat général du Gouvernement et la direction des affaires juridiques de Bercy afin d'instaurer ce name and shame, non seulement en matière pénale mais encore en matière administrative – les sanctions administratives sont parfois très importantes, jusqu'à 100 % de pénalités. Dans un contexte où les entreprises souhaitent avoir une réputation positive, nous sentons bien tous que le fait de payer ou non son juste impôt est une information que les citoyens souhaitent avoir ne serait-ce qu'en tant que consommateurs. La publication des condamnations en question contribue à cette transparence et répond, donc, à cette exigence que le législateur avait déjà fait valoir.

L'article 6 concerne la publication des sanctions administratives.

L'article 7 prévoit de sanctionner les tiers complices – à savoir ceux qui proposent les montages – pour fraude fiscale et sociale. On s'évade rarement tout seul ; on y est parfois aidé, notamment par des sociétés dont le travail ne consiste pas seulement à « optimiser » l'impôt – pratique légale – mais parfois à organiser une fraude qu'il s'agit de condamner. Le dispositif proposé permettra aux services fiscaux, qui parfois le constatent lors de leurs perquisitions, et aux services d'enquête de pouvoir condamner les ingénieurs de la fraude et pas seulement ceux qui en bénéficient.

L'article 8 aggrave les peines d'amende encourues en cas de fraude fiscale afin qu'elles soient particulièrement dissuasives. Le montant de l'amende pourra ainsi être le double du produit de la fraude – le maximum, semble-t-il, que peut prononcer le juge administratif.

L'article 9 étend la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité – le « plaider-coupable » –, déjà en vigueur pour le blanchiment de fraude fiscale depuis 2004 et la « loi Perben ». Il s'agit ici de récupérer l'argent plus rapidement mais aussi d'aller plus vite dans la condamnation de ceux qui seront reconnus coupables de fraude fiscale.

Enfin, les articles 10 et 11 sont d'importance inégale et devraient permettre à l'État de mieux fonctionner, en particulier à l'intérieur de ses frontières, par le biais du renforcement des sanctions prévues à l'article 10 contre ceux qui refusent de coopérer avec les services douaniers, lesquels font un travail très important alors qu'ils sont parfois vilipendés par la population qui refuse de leur donner des informations. L'article 11, quant à lui, vise à élargir la liste des États et territoires non coopératifs (ETNC), à savoir la liste des pays avec lesquels la France ne souhaite pas travailler, notamment après la négociation de décembre 2017 ; en effet l'Union européenne a publié sa propre liste comptant neuf États supplémentaires. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer publiquement sur la question, en particulier pour faire valoir certaines exigences, y compris vis-à-vis de l'Union européenne, concernant des pays non pas qui seraient des paradis fiscaux mais qui s'apparenteraient, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à des trous noirs. Le commissaire européen Pierre Moscovici l'a dit explicitement en citant ces pays. Nous aurons là aussi l'occasion d'y revenir au cours du débat.

Je tiens à souligner l'importance de ce texte qui se concentre sur la fraude fiscale et les grands fraudeurs – je me refuserai donc sans doute à m'exprimer sur les amendements concernant la fraude sociale qui fera l'objet d'un autre texte du Gouvernement que je présenterai sans doute avec la ministre des solidarités et de la santé.

J'ajoute que le présent projet de loi n'a pas vocation à fixer les règles fiscales – c'est pourquoi je refuserai également les amendements éventuels portant sur le fait de savoir s'il faut rétablir tel ou tel impôt ou s'il faut augmenter ou baisser le taux de tel autre.

Enfin, de nombreuses mesures réglementaires seront prises pendant que le Parlement examinera le texte, comme la publication des rescrits, à laquelle je m'étais engagé. Je me tiens à la disposition de la commission pour amender le présent projet de loi.

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