Intervention de Gérard Collomb

Réunion du mardi 3 avril 2018 à 21h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur :

Si nous présentons ce projet de loi, c'est que nous regardons ce qu'est aujourd'hui le problème de l'immigration dans notre pays et que nous estimons, lorsque nous voyons l'ensemble de celles et ceux qui veulent franchir nos frontières illégalement, que nous sommes face à une véritable difficulté.

On nous reproche de mélanger asile et immigration. Si ces deux mots figurent dans le titre du projet de loi, c'est que nous estimons que, demain, l'immigration irrégulière pourrait mettre en péril le droit d'asile en Europe. On voit quel chemin sont en train d'emprunter certains États tentés par les solutions radicales. Croyez-moi, ce n'est pas une bonne chose. Ces pays regardent avec circonspection notre projet de loi qu'ils considèrent encore trop laxiste. Nous essayons de trouver le point d'équilibre qui doit empêcher notre contamination par les thèses extrémistes. C'est vrai, on peut toujours ajouter des mesures supplémentaires, mais nous voulons, comme nous le montrerons au cours des débats, conserver une approche balancée de ces questions.

Je tiens à remercier la rapporteure pour ses propos en phase avec la réalité. Il fallait, comme vous l'avez fait, se rendre en divers lieux, dans le sud, à Calais, pour constater ce qu'est non seulement la situation des migrants, mais aussi celle de la population et des forces de police et de gendarmerie. C'est sur le terrain que l'on constate que nos forces de l'ordre sont républicaines : ce sont elles qui empêchent que les choses dégénèrent parfois, comme cela a été le cas à Calais, lorsque deux groupes de migrants se sont violemment affrontés et que des coups de feu ont été échangés entre passeurs.

On voudrait faire croire que ces flux de migrants sont spontanés. Mais il n'y a pas de mouvement spontané ; tout ceci est très organisé. Je peux vous fournir les tarifs et ce qu'il en coûte pour passer en Libye, en Algérie ou en Espagne depuis la Corne de l'Afrique, suivant que vous êtes en première classe ou en seconde, et je peux vous citer le nom de grands trafiquants internationaux qui font fortune dans le trafic d'êtres humains et qui placent ensuite leur argent dans les paradis fiscaux. Oui, la réalité de l'immigration irrégulière est sordide. Les jeunes qui y voient le moyen d'atteindre leurs rêves se retrouvent souvent dans les pires situations.

Avec certains d'entre vous, je me suis rendu le mois dernier à Niamey pour y rencontrer un certain nombre de représentants africains et – pour la première fois – signer un accord aux termes duquel les uns et les autres s'engagent à lutter contre l'immigration irrégulière, à la fois en poursuivant les passeurs et en délivrant des laisser-passer consulaires. Nous verrons à l'usage comment ces engagements sont tenus ; il était déjà important qu'ils soient pris.

Nous sommes également allés à Agadez, d'où sont longtemps parties les caravanes qui conduisaient les migrants d'Afrique occidentale vers la Libye. Nous y avons visité un camp où les migrants nous ont raconté les horreurs subies avant de faire demi-tour depuis les rives de la Méditerranée pour rentrer chez eux, ayant renoncé à poursuivre un rêve devenu cauchemar. C'est aussi cela la réalité de l'immigration irrégulière, ici comme ailleurs.

Nous souhaitons pouvoir accueillir certains de ces migrants dans des conditions régulières pour leur offrir un avenir en Europe. C'est l'objet de plusieurs dispositions de ce projet de loi. Mais nous lutterons toujours contre l'immigration irrégulière et contre tous ceux qui participent à son développement, car il est faux de prétendre que 1,2 ou 1,3 milliard d'Africains pourront arriver en Europe d'ici 2050 : ce ne sera évidemment pas le cas si l'on veut éviter les affrontements, les guerres civiles et la dislocation du continent africain.

Les pays africains ont compris la nécessité de travailler ensemble pour bloquer les routes de l'immigration irrégulière qui sont aussi celles du trafic d'armes et de stupéfiants, celles par lesquelles arrivent l'insécurité et les guerres. Mettre un terme à ces flux illicites et rétablir la sécurité est le seul moyen pour eux d'atteindre demain une forme de prospérité.

À Agadez, nous avons entendu la population évoquer avec nostalgie la période d'avant, celle du Paris-Dakar, où les touristes européens venaient passer leurs vacances dans le désert, où les hôtels étaient pleins. Aux touristes de cette époque ont succédé les migrants : 330 000 en 2016, qui sont passés par Agadez pour se rendre en Libye, 70 000 aujourd'hui parce que les autorités ont pris un certain nombre de mesures.

Dans ces conditions, quoi que pense le Conseil d'État, je puis vous garantir que ces mesures sont efficaces, pour l'Afrique comme pour nous. L'avenir ne peut s'envisager que dans une collaboration entre nos deux continents. Marielle de Sarnez a raison de dire que, dans un monde globalisé, nos destins sont désormais totalement liés.

Il n'y aura pas de paix en Europe s'il n'y a pas de paix autour du bassin méditerranéen, si les pays africains n'ont pas la capacité de se développer. C'est la raison pour laquelle la France pousse aujourd'hui l'Europe à faire en sorte que le Fonds fiduciaire d'urgence et les différents crédits alloués soient à la mesure des attentes des pays africains : c'est le seul moyen d'éviter que les crises s'étendent aux pays européens.

Nous devons travailler ensemble, nouer des partenariats. C'est le sens des dispositions comme le « passeport talent » et de toutes celles qui permettent à des chercheurs de venir étudier et travailler dans notre pays, et à certains d'y créer leur entreprise. C'est aussi pour favoriser ce co-développement que nous voulons que les groupes multinationaux puissent recruter des chercheurs étrangers pouvant se déplacer dans les différents pays de l'Union européenne.

Il n'y aura de futur pour notre planète que si nous savons affronter ensemble les grands défis auxquels nous sommes confrontés, au premier rang desquels celui du changement climatique. Nous ne le gagnerons évidemment pas grâce à cette seule loi sur l'asile et l'immigration, mais elle y contribuera. En effet, les flux de migrants qui traversent l'Afrique sont largement provoqués par les changements climatiques. Or ces mouvements qui font se rencontrer des populations d'agriculteurs et des groupes nomades provoquent des affrontements, des crises et de l'insécurité, récupérés à leur profit par des terroristes qui s'appuient sur ces conflits locaux pour exporter leur idéologie mortifère.

Notre projet de loi doit se lire dans le cadre de cette action internationale conjointe. Lorsque le Président de la République essaie de faire en sorte qu'un État se reconstitue en Libye, c'est parce que, tant que cela ne sera pas le cas, les milices continueront d'appliquer leur loi ignoble, avec les conséquences épouvantables que l'on sait. Lorsqu'il se rend dans les pays du Golfe pour éviter que ne surviennent de nouveaux conflits, c'est parce que de ces conflits surgiraient de nouveaux flux de migrants vers l'Europe.

Madame la rapporteure pour avis au nom de la commission des Affaires sociales, les demandeurs d'asile devraient désormais être aptes à travailler au bout de six mois en moyenne, ce qui résoudra une partie des problèmes. Cela implique néanmoins d'augmenter le volume de cours de langue, car les réfugiés en provenance de l'Afrique subsaharienne sont assez loin du français. Nous devons nous donner les moyens de les intégrer dans notre société. Il est facile de les accueillir dans les marges, mais je suis de ceux qui pensent que ces personnes doivent réussir leur vie en France, si l'on ne veut pas les voir entraînées dans les dérives dont sont hélas le théâtre certains de nos quartiers.

Si je prends les positions que je prends, monsieur Peu, c'est que, comme vous, je connais bien les difficultés que traversent certaines de nos villes, déjà au bord de l'implosion. Si, demain, des dizaines, voire des centaines de milliers de migrants sont accueillis chez nous, ce n'est pas dans les beaux arrondissements qu'ils iront, mais dans ces quartiers en grande difficulté. C'est pour ne pas les voir s'enfoncer dans la misère que nous avons créé les quartiers de « reconquête républicaine ».

En ce qui concerne les conclusions du rapport rendu par le député Aurélien Taché, il faut bien sûr faire en sorte d'augmenter le volume des cours de langues et faciliter l'accès à la formation professionnelle. Certains d'entre vous ont peut-être pu observer le déploiement sur le terrain du dispositif HOPE – Hébergement, orientation et parcours vers l'emploi. C'est un exemple de ce qu'il est possible de faire, lorsqu'on s'en donne les moyens, pour permettre aux réfugiés de se construire un nouveau destin dans notre pays.

J'en viens à l'intervention de M. Boudié. Il est clair que des amodiations du texte sont possibles mais, avec 900 amendements, ce n'est pas un texte que l'on écrirait, ce serait une vingtaine ! Il faudra donc choisir. Pour notre part, nous devons trouver un équilibre par rapport à une ligne dont je ne dévierai pas, car j'aurais, au plus profond de moi-même, le sentiment de rompre avec ce que j'ai constaté en vingt ans de pratique politique, dans tous les quartiers, dans une agglomération comme celle que j'ai dirigée. Vous savez, cela aide, quelquefois, de connaître les choses en profondeur, de ne pas s'en tenir à la surface. Vous avez une connaissance intime ; vous connaissez les personnes et les familles ; vous savez ce que donne dans un quartier l'arrivée de nouveaux habitants ; vous savez comment des équilibres sur le point de se faire peuvent être détruits. C'est parce que j'ai cette conscience que j'ai accepté le ministère de l'intérieur ; c'est aussi parce que je pense notre pays effectivement en grande difficulté et que, demain, nous pourrions connaître des problèmes gravissimes... Je le vois, excusez-moi, tous les jours ! Alors, oui, nous allons essayer de trouver ce point d'équilibre.

Je sais bien que M. Éric Ciotti trouve toujours que, partout, c'est un peu mou. Faites attention, monsieur le député, ou vous finirez par vous retrouver avec certains qui peuvent être plus durs que vous ! Ne vous soupçonnant pas de partager cette idéologie, je pense qu'un peu d'équilibre ne vous nuirait pas. Si vous pouviez faire montre, dans vos interventions, de ce sens de la nuance qui vous caractérise, j'en serais extrêmement heureux. Cela nous permettrait un dialogue d'une grande qualité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.