Intervention de Stéphane Travert

Réunion du mercredi 11 avril 2018 à 16h30
Commission des affaires économiques

Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Nous en parlions depuis le 20 juillet 2017, jour de lancement des EGA. Et nous y sommes !

Après avoir échangé avec vous, dans cette commission des affaires économiques comme dans l'hémicycle à plusieurs reprises – ce fut le cas par exemple lors de la proposition de loi de votre collègue Arnaud Viala – nous sommes réunis pour mettre en oeuvre, non pas de simples ajustements techniques, mais pour opérer un changement de paradigme. C'est attendu à la fois par le monde agricole et par les consommateurs, bref par l'ensemble de nos concitoyens.

Nous partageons tous le même constat, la situation n'a que trop duré. Les agriculteurs subissent de plein fouet une guerre des prix et ne dégagent pas, ou plus, les marges de manoeuvre qui sont indispensables tant à la rémunération de leur travail ou de leur capital, qu'à la montée en gamme des productions alimentaires.

Cette guerre des prix se nourrit du déséquilibre de l'offre et de la demande, de l'absence d'organisation de la production, de la concentration toujours plus forte du secteur de la distribution. Elle se nourrit parfois aussi de la défiance des consommateurs et des injonctions contradictoires qu'ils envoient aux producteurs. Je ne crois pas que l'on puisse avoir des productions toujours plus saines, plus élaborées, plus durables, en ayant des prix toujours plus bas et des promotions toujours plus attrayantes. Cette perte de valeur a été préjudiciable à tous.

Entre 2000 et 2016, le prix du lait payé au producteur est passé de 30 à 32 centimes par litre. Soit deux centimes de plus par litre en seize ans. Pas deux centimes par an, mais bien deux centimes par litre en seize ans, alors que l'inflation durant la même période a été de plus de 27 % et que l'accroissement du produit intérieur brut (PIB) a été sur la même période de 45 %.

Ce qui vaut pour le lait vaut aussi pour de nombreuses autres productions agricoles, en viande bovine, en porc, en volaille, en productions végétales...

Sans nier le fait qu'il y ait eu des parenthèses plus favorables sur certaines productions, le sujet auquel il nous faut apporter des réponses est bien celui de la répartition et de la relance de la création de la valeur pour lutter contre la vente à des prix anormalement bas.

Ce projet de loi nous propose donc de conjuguer deux paris : le pari de l'intelligence collective et le pari de la morale et du respect de la parole donnée.

L'intelligence collective s'est pleinement exprimée pendant les cinq mois de concertation des EGA. Je salue d'ailleurs ici la présence de présidents d'ateliers et de participants aux ateliers, membres de cette commission. Je salue aussi ceux qui parmi vous ont organisé des tables rondes sur leurs territoires. J'ai pris connaissance des travaux que vous nous avez remis. Ils nous ont été bien utiles pour constituer la base du projet de loi.

Du 20 juillet au 21 décembre 2017, cette concertation nationale et territoriale a constitué un temps inédit de réflexion partagée et de construction collective de solutions concrètes autour de trois axes stratégiques : assurer la souveraineté alimentaire de la France ; promouvoir des choix alimentaires favorables pour la santé et respectueux de l'environnement ; réduire les inégalités d'accès à une alimentation de qualité et durable. Bref, favoriser le progrès social, le progrès économique et le progrès environnemental.

Ce projet de loi, c'est ensuite le respect de la parole donnée. C'est un outil destiné à favoriser l'action et l'initiative des acteurs de terrain, les agriculteurs, ceux qui font notre alimentation, préservent notre capital individuel, la santé, et notre capital collectif : notre environnement. C'est le sens de l'engagement du Président de la République. Redonner de la valeur à la production agricole, c'est redonner de la fierté à ceux qui se lèvent tôt chaque matin, c'est respecter ceux qui façonnent notre alimentation et qui font vivre les territoires ruraux. Redonner de la valeur, c'est aussi redonner des marges d'action à ceux qui sont en première ligne dans la lutte contre le changement climatique : les agriculteurs.

Ma priorité, c'est bien de redonner aux agriculteurs le juste prix de leur production et la visibilité indispensable à tout entrepreneur pour penser le temps long et ainsi produire une alimentation de qualité dans le respect de règles sociales, environnementales et sanitaires qui seront renforcées.

Premiers maillons de la chaîne de production alimentaire, les agriculteurs doivent se regrouper pour servir des transformateurs innovants qui valoriseront les matières premières sur le marché intérieur comme à l'international. Comment voulons-nous y parvenir ? En renforçant les organisations de producteurs pour permettre aux agriculteurs de peser collectivement et en leur permettant, ensemble, de définir le prix de vente de leurs produits.

Sachez que plus de la moitié des éleveurs livrant à une entreprise privée n'adhèrent pas, aujourd'hui, à une organisation de producteurs (OP) ou à une coopérative laitière. C'est vrai aussi pour le secteur de la viande et des fruits et légumes, qui comptent chacun plus de 250 OP parmi les 600 qui sont recensées en France.

Le projet de loi est donc le premier outil de mise en oeuvre de la feuille de route issue des EGA. Inversion de la construction du prix, encadrement des promotions, seuil de revente à perte fixé à 10 %, lutte contre les prix abusivement bas, sanctions, produits locaux ou sous signes de qualité dans la restauration collective, renforcement des organisations de producteurs et des interprofessions, travail sur le statut de la coopération, autant de dispositifs qui visent à redonner du poids à chaque maillon de la chaîne.

Si chacun des acteurs prend demain ses responsabilités, cette loi sera efficace et opérationnelle. Elle ne laissera pas la place aux interprétations en ce qui concerne la répartition de la valeur créée ! C'est sur ces bases que je vous soumets ce projet loi. Il s'agit bien sûr d'un outil et il n'est pas le seul, loin de là.

Parallèlement, nous menons une réflexion, à vos côtés, sur le foncier. Nous travaillons également sur le sujet de la fiscalité agricole et il y aura des mesures concrètes dans le prochain projet de loi de finances. Nous donnons aussi le cap sur la réduction de l'usage des produits phytosanitaires avec une nouvelle feuille de route ou encore sur la méthanisation.

Je suis convaincu – et je crois que vous l'êtes aussi dans cette commission – que le premier des défis qui attend nos modèles agricoles, c'est bien de recréer des marges financières pour offrir à la fois de la visibilité pour investir et transformer durablement nos modèles.

Pour y arriver, il y a deux titres dans ce projet de loi. Le premier est dédié à la juste rémunération des agriculteurs et à une meilleure répartition de la valeur ; le second est consacré au renforcement de la qualité sanitaire, environnementale et nutritionnelle des produits.

Pour y parvenir, le projet de loi propose plusieurs dispositions dans le champ économique pour inverser le processus de construction du prix payé aux agriculteurs en s'appuyant désormais sur les coûts de production des producteurs. Le contrat et le prix associé seront proposés par celui qui vend. Les producteurs seront invités à se regrouper pour peser ensemble : pour faciliter la réouverture des négociations commerciales en cas d'évolution des coûts de production ; pour lutter contre les prix abusivement bas ; pour faciliter et renforcer la médiation agricole et le rôle des interprofessions,

Ce projet de loi propose aussi de relever le seuil de revente à perte. Et, quoi qu'en dise un grand distributeur en prenant à témoin les consommateurs à coup de pages de publicité très onéreuses dans la presse quotidienne, « le Gouvernement ne marche pas sur la tête », « il ne sert pas des intérêts cachés », « il ne l'oblige pas non plus à vendre plus cher ». Et puisque ce distributeur, je le cite encore, « aimerait comprendre », je vais lui expliquer : la hausse du seuil de revente à perte et la fin des promotions excessives va induire pour lui, dans un premier temps, une hausse de marge et de chiffre d'affaires. Eh bien, il n'y a aucune fatalité à ce que ces hausses se traduisent par une augmentation globale des prix pour le consommateur. Il n'y a aucune fatalité à ce qu'il conserve cette nouvelle marge. Il peut faire d'autres choix.

Il peut faire, tout simplement, le choix de respecter les engagements qu'il a pris, en signant le 14 novembre dernier, une charte d'engagement avec toutes les organisations professionnelles agricoles, avec les représentants de l'agroalimentaire et avec ses principaux concurrents. Chaque distributeur va devoir faire des arbitrages sur l'utilisation de cette marge et de ce chiffre d'affaires supplémentaires. Et s'il respecte ses engagements, il reverra ses marges à la baisse sur d'autres produits, tout en augmentant le prix payé à ses fournisseurs, notamment les producteurs et les petites et moyennes entreprises (PME) de l'agroalimentaire.

Ce rééquilibrage des marges pourra se répartir sur un nombre si important de produits qu'au final, le distributeur qui voudra jouer le jeu, celui qui restera dans l'état d'esprit des EGA, pourra à la fois contribuer à la meilleure rémunération des agriculteurs et préserver le porte-monnaie des consommateurs.

Parallèlement, le titre II du projet, qui est à mes yeux aussi important que le précédent, vient soutenir la première jambe du texte, à savoir la finalité de la production agricole, l'alimentation de tous. Plus qu'un besoin élémentaire – les EGA l'ont souligné – la consommation de denrées alimentaires est un acte auquel nos concitoyens accordent un sens plus profond, une attention renforcée, presque politique dans le sens noble du terme.

Comment notre alimentation contribue-t-elle à nous maintenir en bonne santé ? Comment participe-t-elle à la protection de notre environnement ? Comment développer une alimentation à la fois sûre, saine, durable et, j'insiste sur ce point, accessible à tous ?

Cette préoccupation s'est particulièrement bien exprimée lors de l'examen du titre II en commission du développement durable et de l'aménagement du territoire et je veux ici remercier Mme la rapporteure Laurence Maillart-Méhaignerie pour sa mobilisation et son implication tout au long des EGA comme dans ce travail parlementaire.

Le projet de loi traduit la volonté du Gouvernement de porter une politique alimentaire favorisant des choix qui préservent le capital-santé de chacun et le capital environnement de tous.

En matière de commercialisation de produits phytosanitaires, le projet de loi propose de séparer les activités de vente et de conseil et de sécuriser le dispositif des « certificats d'économies des produits phytopharmaceutiques » par voie d'ordonnance. Par ailleurs, le texte qui vous est soumis propose d'interdire Les rabais, ristournes et remises lors de la vente de ces produits, par ses articles 14 et 15. Pourquoi ? Pour continuer à réduire le recours aux produits phytosanitaires.

En matière de sécurité sanitaire, les pouvoirs d'enquête et de contrôle des agents chargés de la protection de la santé, de la protection animale et de la sécurité sanitaire des aliments sont renforcés. Pourquoi ? Pour accroître l'efficience des contrôles de l'État.

En matière de sanctions dans le domaine du bien-être animal, il vous est proposé d'étendre le délit de maltraitance animale ainsi que les peines en cas de délit constaté lors de contrôles officiels : celles-ci seront doublées.

Enfin, le Gouvernement veut faire de la politique de l'alimentation un moteur de réduction des inégalités sociales. Nous le savons tous, l'accès à une alimentation variée et de qualité est encore aujourd'hui très corrélé à l'appartenance à une catégorie sociale : les chiffres de l'obésité et du diabète en témoignent. Pour tenter de réduire ces inégalités sociales, il vous est proposé à l'article 11 de faire de la restauration collective un levier d'amélioration de la qualité de l'alimentation pour tous dès le plus jeune âge. Comment ? La restauration collective publique représente plus de la moitié des 7,3 milliards de repas hors foyer servis en France chaque année. Aussi, le projet de loi propose que la restauration collective publique s'approvisionne avec au moins 50 % de produits issus de l'agriculture biologique, produits locaux ou sous signes de qualité à compter du 1er janvier 2022.

Enfin, ce projet de loi propose de lutter contre la précarité alimentaire et de limiter les conséquences environnementales du gaspillage. Les articles 12 et 15 du projet de loi ont donc pour objectif de réduire ce gaspillage alimentaire dans la restauration collective par la mise en place d'un diagnostic obligatoire et d'étendre à la restauration collective et à l'industrie agroalimentaire le don alimentaire.

Voilà, dépeint rapidement à grands traits, le panorama global du projet de loi sur l'agriculture et l'alimentation qui vous est soumis – et le cadre dans lequel il s'insère.

Je ne vais pas plus loin. Vous en avez déjà pris connaissance. Vu le nombre d'amendements déjà déposés, j'imagine que vous l'avez déjà tous lu en long, en large et en travers (Sourires). Je serai bien entendu à l'écoute de toutes les propositions d'amendements et de toutes les positions que vous formulerez pour améliorer le projet initial du Gouvernement. Il s'agit ici de nous inscrire collectivement et résolument dans une trajectoire qui respectera tant les hommes, du producteur au consommateur, que l'environnement dans lequel ils évoluent.

Il est temps pour moi de céder la parole à votre rapporteur M. Jean-Baptiste Moreau, que je veux sincèrement et chaleureusement remercier pour son dense travail d'audition ici à Paris mais aussi sur le terrain, qu'il connaît particulièrement bien ! Je veux aussi saluer l'ensemble des députés qui se sont mobilisés pour organiser, dans leur circonscription, des ateliers des EGA. Cela a contribué à construire un projet collectif et commun au service de la ferme France, au service de nos agriculteurs et au service de nos consommateurs.

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