Intervention de Frédérique Vidal

Réunion du mercredi 19 juillet 2017 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

Madame la députée Mörch, le merveilleux métier de chercheur ou d'enseignant-chercheur est assez atypique : on y cherche beaucoup… de quoi travailler. Ce n'est pas banal, mais ce n'est pas en France que les chercheurs sont les plus mal lotis ; il est d'autres pays où ils cherchent d'abord… leur salaire. Il n'en est pas moins vrai que toutes ces démarches de justification sont de plus en plus lourdes. Il me paraît donc important de simplifier et de faire confiance a priori, pour vérifier ex post, mais il faut alors disposer d'éléments relativement exempts d'erreurs de gestion et de justification.

Pour progresser, il faut donc que le contrôle ex post soit possible – je parle là du contrôle financier et comptable qui s'impose, car il est parfaitement normal de rendre compte de l'usage que l'on fait de l'argent public. C'est un vrai sujet, auquel il faut travailler. Mon objectif est que nous puissions libérer du temps de recherche, mais je n'ai pas de solution miracle. Peut-être faudrait-il déjà que tout le monde utilise les mêmes logiciels de gestion ; cela éviterait par exemple de devoir en maîtriser trois différents dans un laboratoire à trois tutelles. Des réflexions et démarches de ce type ont déjà été lancées avant ma nomination, il faut aller plus loin.

Effectivement, madame la députée Rixain, Ariane 6 est le programme européen phare, d'une importance cruciale, car il nous offre un accès autonome à l'espace. Comme vous le savez, nous avons des concurrents, comme le lanceur SpaceX, réutilisable – le coût de lancement est donc deux fois moins élevé qu'avec Ariane 6. Il faut donc vraiment des tirs institutionnels européens avec Ariane 6. Ensuite, il faut soutenir l'innovation dans toutes les filières spatiales. Si nous pensons de nouvelles formes de moteur, si nous innovons sur le plan des matériaux, et pas seulement, nous retrouverons un avantage compétitif dans cet univers de plus en plus concurrentiel des lanceurs – on en annonce aussi en Chine. Continuons à soutenir fortement tous ces projets pour avancer, pour innover, pour préserver notre souveraineté en matière d'accès à l'espace. Et, comme je le disais tout à l'heure, il est aussi très important que les gens se rendent compte de tout ce que cet accès à l'espace leur apporte dans leur vie quotidienne. Son importance en matière de météorologie est à peu près comprise, mais cela vaut pour nombre d'autres domaines.

Bien sûr, le plan climat intègre cette dimension spatiale, mais n'oublions pas non plus la question des données, qui seront probablement à l'origine du prochain boom économique. Il faut inventer et innover en matière d'usages mais la quantité de données brutes acquises grâce aux programmes spatiaux vaut probablement de l'or. Il faut maintenant être capable de les traiter, d'en faire quelque chose, d'en faire un business. Cela vaut évidemment de l'or pour la recherche aussi.

L'agence spatiale européenne est un très bel outil, l'exemple même de l'une de ces très grandes infrastructures de recherche qui ne sont possibles que grâce à l'action conjointe et au financement de très nombreux pays ; seuls, nous serions aujourd'hui absolument incapables d'avoir une politique spatiale – ce serait beaucoup trop cher. La politique spatiale donne encore un peu plus de sens à l'Europe, à supposer que cela soit nécessaire.

La désaffection des filières scientifiques est fort ancienne, et, en fait d'explications, chacun avance la sienne propre. Sans doute une licence de mathématiques ou de physique fait-elle moins rêver qu'une licence de psychologie ou de sociologie, peut-être parce qu'on ne montre pas suffisamment tout ce que ces disciplines apportent, tout ce qu'elles peuvent expliquer, tous les objets de la vie quotidienne qu'elles ont rendus possibles. Je suis pour ma part persuadée qu'une part de la solution consistera à réenchanter la relation entre la société et les sciences ; ce lien s'est cassé. Aujourd'hui, la majorité des gens voient le chercheur comme un apprenti sorcier. Quand ils pensent sciences, ils pensent effets secondaires des vaccins, organismes génétiquement modifiés – uniquement des choses négatives. Par ailleurs, ils confondent vérité scientifique et croyance ; avoir une opinion, c'est bien, mais une opinion n'est pas un fait scientifique.

Peut-être cela tient-il à la gestion de l'information, l'information non hiérarchisée est tellement abondante… Je le disais tout à l'heure : il faut d'abord apprendre à hiérarchiser l'information – cela vaut même pour les enfants les plus jeunes. La désaffection tient peut-être aussi au nombre des filières d'ingénieurs, que beaucoup d'étudiants préfèrent finalement aux filières plus académiques. Au bout du compte, nous avons beaucoup de mal, dans les disciplines scientifiques, à trouver des enseignants pour le primaire et le secondaire, et les enfants ne sont pas motivés ; c'est un cercle vicieux. Il faudra y réfléchir, mais ce réel problème n'est pas spécifiquement français, c'est un fait de société européen et mondial : la désaffection pour les études scientifiques est générale.

Oui, madame la députée Dubois, il nous faut, je l'ai dit, une offre de formation supérieure la plus diversifiée possible, avec le maillage le plus serré sur l'ensemble du territoire. Cependant, tout cela a un coût très important – par exemple, toute antenne d'université, où que ce soit, requiert un minimum d'administration –, même si une utilisation judicieuse des outils numériques le réduit. Le coût n'est pas non plus le même si nous travaillons sur de tels projets avec les territoires concernés : il faut que le coût d'installation d'une antenne spécifique d'une université sur un sujet donné soit vraiment partagé avec le territoire, dans la mesure où cette antenne y stimulera l'emploi et l'économie. Si le coût est entièrement assumé par l'établissement supérieur, donc à la charge de l'État, cela devient vraiment compliqué. Il me paraît essentiel que toutes les universités aient une relation privilégiée avec leur territoire, c'est ce qui permettra de développer une formation très spécifique dans un cadre très précis : une formation autour des arômes et des parfums à Grasse, un projet sur le cinéma et le storytelling à Cannes, etc. Si tout reste à la charge de l'établissement d'enseignement supérieur, la tendance sera plutôt à la concentration, d'autant que toute antenne isolée tend à se détacher et à devenir autonome, ce qui pose notamment des problèmes de suivi. Trouvons de nouveaux modèles économiques, et ce sera possible.

Madame la députée Rilhac, les deux possibilités que vous évoquez pour le diplôme de bac+1 sont envisageables. Il est prévu que l'on puisse mettre en place des certifications particulières d'employabilité, avec les filières et les branches. Émergent également, dans le cadre des discussions et concertations sur l'accès à l'enseignement supérieur, des propositions reprenant le principe d'une année de propédeutique comme il en existait auparavant, d'une année« zéro » ou d'une année « un demi », dont l'objet consisterait à la fois en une part de remédiation et en un début d'enseignement de première année. Je ne préjuge pas de l'issue des travaux, et je ne suis pas certaine qu'un modèle unique doive s'imposer. Des universités pourront proposer des années de propédeutique, d'autres des systèmes mixtes, avec des licences en quatre ans.

Un bilan des discussions sera probablement fait à la fin du mois d'août, et des groupes de travail se réuniront au mois de septembre. Sans doute aurons-nous quelque chose d'à peu près abouti au mois d'octobre. Cela nous laissera le temps de préparer la rentrée à peu près sereinement.

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