Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du mercredi 23 mai 2018 à 16h15
Commission des affaires sociales

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Madame la présidente, mesdames, messieurs, laissez-moi vous dire mon plaisir de revenir devant vous pour ce second projet de loi, un texte essentiel, « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». Je suis heureuse de vous retrouver pour poursuivre les échanges constructifs que nous avions entamés le 10 avril dernier lors de mon audition « point d'étape » sur la rénovation de notre modèle social et au cours de laquelle j'avais déjà évoqué le présent texte.

La profonde rénovation dont il est question, je le rappelle, est un engagement fort du projet présidentiel et il est très attendu par nos concitoyens. En effet, le système de formation professionnelle et d'apprentissage mais aussi de sécurité et d'inclusion dans l'emploi ne parvient ni à endiguer le chômage de masse ni à protéger les plus vulnérables contre le manque de compétences, ou leur obsolescence, ni non plus à faire en sorte que les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) grandissent comme elles le pourraient, faute de trouver les compétences dont elles ont besoin sur le marché du travail. Il s'agit donc d'un enjeu social et d'un enjeu économique important.

Face à ce constat, notre devoir est donc non seulement de conforter le retour à la croissance en libérant les initiatives, mais aussi de faire en sorte que cette croissance soit riche en emplois, véritablement inclusive.

Pour mettre en oeuvre cet engagement présidentiel, rendre effective la rénovation de notre modèle social et ainsi permettre à nos concitoyens de se projeter dans l'avenir, nous devons agir avec pragmatisme en nous appuyant sur ce qui marche mais aussi en reconnaissant clairement ce qui ne marche pas pour le changer, à travers des transformations systémiques, profondes et cohérentes, engagées après une longue période de cinq mois de concertation ou de négociation – concertation sur l'apprentissage avec les régions, les partenaires sociaux et les praticiens de terrain ; négociation entre partenaires sociaux sur la formation professionnelle et sur l'assurance chômage.

Après la transformation du droit du travail, que nous avons réalisée ensemble via les ordonnances et via la loi d'habilitation et la loi de ratification, nous entendons favoriser l'émancipation sociale individuelle et collective par le travail à la formation.

C'est un double enjeu, économique et social. Enjeu économique : dans une société de la connaissance, la croissance est directement corrélée aux compétences – compétences d'un individu, d'une entreprise, d'une nation. La bataille mondiale des compétences est une réalité et à tous les niveaux de postes : il n'est pas seulement question ici d'emplois de très haut niveau. Cette réalité induit un défi : l'anticipation des besoins en compétences.

Enjeu social : la réussite des entreprises passe par la motivation, l'engagement et la formation, et par le développement des compétences de l'ensemble des salariés et des jeunes. Or les jeunes et les salariés qui choisissent leur voie professionnelle et qui peuvent donc exprimer leur potentiel d'innovation, d'engagement, de créativité et se réaliser sont ceux qui vont réussir.

Par ailleurs, la compétence, c'est très clairement et sans aucun doute la meilleure protection contre le chômage et la précarité – c'est ce que j'appelle « la protection active ». Il faut des filets de sécurité défensifs, notamment sur le plan financier ; mais la meilleure protection active, je le répète, c'est la compétence. Je rappelle que 50 % des emplois vont être profondément transformés par l'intelligence artificielle (IA), les mutations numériques, les mutations environnementales. Et cela ne concerne pas, encore une fois, que le secteur de l'industrie numérique, tant s'en faut : tous les secteurs sont concernés, toutes les tailles d'entreprise – qu'il s'agisse d'une petite entreprise du bâtiment, de la médecine, de l'industrie, de la banque, de l'artisanat, du commerce… je pourrais énumérer tous les secteurs d'activité : il n'en est pas un qui ne soit concerné.

Il faut donc éviter que ces changements soient synonymes pour nos concitoyens de rupture, voire de relégation. Ils doivent au contraire devenir, par le développement des passerelles, par le développement des droits à la formation, une opportunité de rebond pour que chacun puisse mettre en adéquation son parcours professionnel avec ses aspirations.

Ce midi, le Président de la République réunissait 120 dirigeants d'entreprise, nationaux et internationaux, à l'occasion d'un événement appelé « Tech for good » et dont le but était de faire réfléchir et de mobiliser les entreprises de technologie sur ce qu'elles vont apporter en matière d'inclusion, de formation, d'éducation aux plus vulnérables et pour ne pas créer une nouvelle rupture avec une partie de nos concitoyens.

Faire en sorte que beaucoup plus d'actifs puissent choisir et non subir leur avenir professionnel, c'est un défi que nous devons collectivement remporter, en particulier en permettant l'accès à l'atout majeur du XXIe siècle que sont, j'y insiste, les compétences. C'est précisément l'ambition qui est au coeur du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Je l'ai présenté le 27 avril dernier en conseil des ministres avec, pour la partie concernant l'apprentissage, mes collègues Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal. Il a été transmis immédiatement à l'Assemblée et renvoyé à votre commission. Nous entamons donc aujourd'hui la discussion parlementaire par cette audition, alors que les deux commissions saisies pour avis, la commission des affaires économiques et la commission des affaires culturelles et de l'éducation, ont examiné ce matin certains articles de la partie concernant l'apprentissage. Permettez-moi de saluer, à cette occasion, le travail des rapporteures pour avis Sylvie Charrière et Graziella Melchior. Enfin, j'aurai le plaisir demain matin d'échanger avec vos collègues de la délégation aux outre-mer puis, mardi 29 mai au matin, avec vos collègues de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, juste avant que nous n'entamions l'examen des amendements en commission des affaires sociales.

Revenons-en au contenu du projet de loi. Il compte 66 articles répartis en trois titres qui couvrent six domaines.

Le titre premier, le plus important par son ampleur, concerne la transformation de l'apprentissage et de la formation professionnelle ; le titre II, l'assurance chômage ; le titre III enfin concerne l'inclusion des travailleurs handicapés, l'égalité salariale entre les femmes et les hommes et la prévention du harcèlement, le travail détaché, ainsi qu'une disposition sur la fonction publique.

Quelles en sont les grandes lignes directrices ?

Il s'agit tout d'abord de créer de nouveaux droits pour les actifs tout au long de leur vie, des droits qui soient attachés à la personne et donc portables et non pas liés à un statut – on sait que les statuts évoluent tout au long de la vie –, des droits qui soient une véritable protection active contre le chômage et contre la perte de compétences, enfin des droits individuels, mais sécurisés par des garanties collectives.

La deuxième grande ligne directrice consiste à favoriser une croissance inclusive qui ne laisse personne au bord du chemin, en rétablissant l'égalité des chances qui n'existe pas aujourd'hui. On compte 1,3 million de jeunes qui n'ont pas d'emploi, qui ne sont pas en formation ni en apprentissage et dont la majeure partie n'a pas de qualification. Mais le taux de chômage dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), y compris pour ceux qui ont un diplôme équivalent au baccalauréat, est de 24 %, soit trois fois le taux de chômage national tous niveaux de diplômes confondus. Seulement 6 % des ouvriers et 12 % des employées disent avoir choisi leur formation, tous les autres non ; et les ouvriers et les employés ont deux fois moins de probabilité d'accéder à la formation des cadres – or tous en ont besoin. Un salarié d'une PME ou d'une TPE a deux fois moins de chances que celui d'une grande entreprise d'avoir accès à la formation – or les mutations majeures vont concerner toutes les TPE-PME, c'est-à-dire tous nos territoires.

Quarante-cinq ans après la promulgation de la loi qui oblige à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, il y a toujours entre eux 9 % d'écart salarial à travail de valeur égale et 25 % sur l'ensemble de la carrière. Quant au taux de chômage des personnes handicapées, il est deux fois supérieur à celui du reste de la population, avec 500 000 travailleurs handicapés inscrits à Pôle emploi.

Nous avons donc besoin d'une ambition forte pour lever les verrous en tous genres, administratifs, réglementaires et financiers, pour libérer le potentiel de chacun et le valoriser, pour permettre l'émancipation sociale et, in fine, c'est bien un changement de société et de culture qui, une fois de plus, est visé par ce texte.

Pour ce qui est de la transformation de l'apprentissage, premier volet du titre premier, les objectifs principaux sont au nombre de trois : libérer partout sur le territoire l'offre de formation en apprentissage en incitant tous les acteurs à créer et à développer une telle offre ; ensuite, inciter les entreprises à recruter en apprentissage ; enfin, inciter les jeunes à aller en apprentissage en disant la vérité sur l'excellence de ce qui est une voie de réussite mais réservée à trop peu de gens.

Pour libérer l'offre de formation, tous les centres de formation d'apprentis (CFA) doivent se développer – de nombreux réseaux le souhaitent et parmi les meilleurs : les compagnons du devoir, les maisons familiales rurales… La demande est également forte de la part de nombreux métiers – certains secteurs, le secteur industriel notamment, qui se sont moins investis par le passé, y sont désormais prêts.

À cette fin, il faut, encore une fois partout sur le territoire, permettre à beaucoup plus de jeunes d'accéder à l'apprentissage et donc ouvrir de nouvelles sections ou développer celles qui existent. Nous voulons également, avec mon collègue de l'éducation nationale, que tous les lycées professionnels puissent ouvrir des sections d'apprentissage, à commencer par les quartiers prioritaires de la ville. Enfin, que toutes les entreprises, tous les organismes de formation, toutes les collectivités territoriales créent eux aussi, s'ils le souhaitent, des CFA, ce qui est pour l'heure pratiquement impossible, sinon très difficile. En fait, l'énergie des acteurs est bridée non pas par la volonté des uns et des autres, mais par un système très lourd, très complexe, limité quant à la subvention d'un CFA.

Comment libérer cette énergie ? En supprimant l'autorisation administrative délivrée par la région pour créer ou développer un CFA ; en mettant en place une garantie de financement – tout contrat entre un jeune et l'entreprise sera financé grâce à un mécanisme de financement au contrat, système qui sera renforcé par une péréquation interprofessionnelle qui institue une solidarité et une égalité de traitement entre les branches. Nous financerons davantage de coûts au contrat, à moyens constants : nous ne proposerons pas d'augmentation des prélèvements obligatoires des entreprises. Premièrement, on observe une évaporation partielle assez importante de la taxe d'apprentissage : un nombre significatif de régions n'utilise pas toute cette taxe pour l'apprentissage – c'est leur droit, mais il en reste donc sous le pied, si vous me permettez l'expression. Deuxièmement, nous entendons rationaliser les coûts de formation : la même formation pour un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) de cuisinier est payée 2 500 euros ou 14 000 euros suivant les régions.

Nous accorderons une place particulière aux zones rurales et aux quartiers prioritaires de la politique de la ville, car nous sommes bien d'accord sur le fait qu'il faut, j'y insiste, offrir un accès à l'apprentissage partout sur le territoire. Nous proposons par conséquent une enveloppe dédiée à l'aménagement du territoire qui complétera le coût au contrat dans les zones rurales et dans les QPV et sera accordée aux régions qui en définiront l'usage. Le montant de cette aide sera de 250 millions d'euros.

Les régions resteront également le principal investisseur en matière d'apprentissage ; pour ce faire, elles bénéficieront, comme aujourd'hui, d'une fraction de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qui rapporte 190 millions, voire 200 millions d'euros et qui est une recette dynamique. Elles pourront ainsi influencer fortement la localisation des CFA et établir des contrats d'objectifs et de moyens (COM) avec les branches.

Nous développerons aussi les campus de métiers, qui rassembleront, comme cela existe, mais dans un nombre trop limité de lieux, à la fois des CFA, des lycées professionnels, voire des brevets de technicien supérieur (BTS), des diplômes universitaires de technologie (DUT) ou des masters, qui établissent des passerelles entre les différents cursus de formation et qui s'enrichissent mutuellement. Pour parler clair, nous voulons introduire un esprit non pas de concurrence entre les lycées professionnels et les CFA mais au contraire de complémentarité, car l'intérêt des jeunes, ce sont les passerelles, c'est de pouvoir passer par deux formes pédagogiques différentes : avec l'apprentissage, on fait pour apprendre ; avec le statut scolaire, on apprend d'abord et après on applique. Et cela correspond à des besoins différents et à des attitudes différentes à un moment donné.

Deuxième objectif, inciter les entreprises à recruter en apprentissage. Pour ce faire, plusieurs dispositions sont proposées : simplification de la réglementation ; fin de l'enregistrement, remplacé par un dépôt ; dispositions touchant à la durée du travail, aux travaux dangereux, à la rupture du contrat d'apprentissage ; simplification des aides aux entreprises – une seule aide au lieu de quatre aujourd'hui et qui ne sont pas toujours demandées du fait de leur complexité, aide qui sera directement versée aux entreprises et en temps réel ; création de formations qui correspondent aux besoins en compétences des entreprises ; « coécriture » du diplôme professionnel par les branches professionnelles et par l'État – ce sera à elles de dire quels sont les métiers de demain et les compétences nécessaires ; enfin les CFA seront certifiés en vue de garantir la qualité de la formation.

Troisième objectif, inciter les jeunes à entrer en apprentissage. La rémunération sera augmentée, une aide de 500 euros au permis de conduire est prévue, de même que la possibilité d'entrer tout au long de l'année en apprentissage. Les jeunes pourront également faire valoir leurs acquis pour raccourcir la durée de la formation ou, au contraire, en cas de difficulté, l'augmenter avec une « prépa apprentissage » – ce qui permettra d'avoir des contrats de six mois à trois ans. Enfin, nous garantirons la vérité sur l'orientation, le taux d'insertion dans l'emploi, le taux de réussite aux diplômes de tous les CFA et de tous les lycées professionnels. Nous avons par ailleurs d'ores déjà supprimé, dans le logiciel d'orientation après la classe de troisième, Affelnet, la case « redoublement ou apprentissage ». Toutes ces mesures correspondent à un progrès démocratique immense. Notre but, à Jean-Michel Blanquer et moi-même, c'est la fin de l'orientation par défaut vers l'apprentissage. Les mentalités mettront du temps à bouger ; mais, dès à présent, mettons en place le système qui soutiendra les pionniers, et ils sauront entraîner les autres.

Les conseils régionaux, dont la compétence « orientation » sera renforcée par le texte, ainsi que les rectorats organiseront une présentation concrète des métiers par des professionnels qui viendront dans les établissements scolaires, collèges et lycées, parler de leur passion, ouvrir le champ des possibles et rencontrer des jeunes et des parents.

Enfin, nous allons développer « l'Erasmus pro » grâce auquel les apprentis pourront passer un semestre dans un pays d'Europe, améliorer leur formation, apprendre d'autres techniques, découvrir d'autres cultures. Nous visons 15 000 jeunes par an d'ici à la fin du quinquennat.

Pour ce qui est du deuxième volet du titre premier, la réforme en profondeur de la formation professionnelle, notre ambition est de changer le rapport à la formation afin qu'elle devienne la chose de chacun et non pas de certains, que chacun s'y intéresse, que chacun y voie les moyens de changer de vie, de choisir sa vie professionnelle, de ne pas avoir peur des évolutions, mais aussi de s'émanciper. Ce qui permettra de libérer par ailleurs les initiatives des entreprises pour élever le niveau de compétence des Français.

Premier objectif, rendre la formation à chacun pour en faire un outil d'émancipation sociale avec un vrai droit à la formation, concret, utilisable, mobilisable. Grâce à une application dédiée, chacun, sur son compte personnel de formation et sans intermédiaire, pourra comparer la qualité des formations, les résultats, trouver la formation appropriée, s'inscrire et payer en ligne. Ceux qui le souhaiteront auront un conseil en évolution professionnelle gratuit, financé par la mutualisation, pour les accompagner dans leurs projets professionnels, ainsi que l'ont souhaité les partenaires sociaux dans leur accord.

Les droits acquis sur le compte personnel de formation (CPF) seront payés en euros : ce sera plus parlant, mais aussi plus juste que les actuels droits en heures qui privilégient ceux qui sont déjà au plus haut niveau de qualification et qui, à nombre d'heures égales, se retrouvent à disposer d'un budget supplémentaire de formation. Les droits augmentés pour les moins qualifiés et les temps partiels, à partir de mi-temps, seront de 500 euros pour tous, par an, et 800 euros pour les moins qualifiés, soit 5 000 euros sur dix ans pour les premiers et 8 000 euros pour les seconds. Une mesure devrait notamment – mais pas uniquement – bénéficier aux femmes : la capacité à mi-temps de bénéficier des mêmes droits qu'à temps plein.

La création d'un compte personnel de formation de transition, reprise de l'accord des partenaires sociaux du 22 février dernier, permettra de financer les formations longues pour les salariés qui souhaitent changer de métier ou de profession et pour lesquelles le CPF actuel est insuffisant. C'est en fait une adaptation du congé individuel de formation : ainsi, demain, un employé administratif qui travaille à mi-temps et dont le rêve professionnel est de devenir fleuriste, qui a travaillé pendant dix ans et qui a accumulé 5 000 euros pour se former, pourra prendre rendez-vous avec un conseil en évolution professionnelle, qui l'incitera à passer son CAP de fleuriste et, de la sorte, changer de vie professionnelle. Il en ira de même pour des promotions.

Autre objectif très important : la mutualisation des moyens de formation permettra de doubler les possibilités de formation accessibles aux salariés des TPE-PME, qui y ont le moins accès. C'est probablement là que nous aurons probablement les plus gros besoins pour suivre les évolutions technologiques et préparer les salariés.

Ensuite, nous entendons libérer les forces, les initiatives pour que la formation professionnelle se développe. Il faut une action de formation plus souple en favorisant l'innovation pédagogique, notamment les MOOC (Massive open online course, en anglais ; formation en ligne ouverte à tous, FLOT, en français) et la formation à distance, en simplifiant la réglementation du plan de formation et en mettant en place des opérateurs de compétences qui remplaceront les organismes paritaires de collecte et qui seront eux aussi paritaires. À ces opérateurs seront confiées quatre missions : la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, le support aux branches pour la construction des diplômes, le financement des CFA, c'est-à-dire le transit du coût au contrat, enfin les services de proximité et de conseil auprès des TPE-PME.

En matière de gestion, nous proposons une simplification radicale : un collecteur, les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) au lieu de cinquante-sept ; douze organismes gestionnaires au lieu de quarante ; une cotisation au lieu de deux ; et, pour réguler le dispositif, au lieu de quatre organismes paritaires, ou quadripartite, redondants, un établissement public administratif (EPA), France compétences, qui regroupera l'État, les régions, les partenaires sociaux, coresponsables de la régulation du système. Quant aux organismes de formation, ils seront obligatoirement certifiés lorsqu'ils feront appel à un financement public mutualisé.

Le titre II du projet de loi vise à garantir une assurance chômage plus universelle et plus juste. Il ne s'agit pas de la refondre mais d'apporter un complément, une sécurité financière supplémentaire, et d'esquisser une nouvelle protection sociale qui sécurise les mobilités sur le marché du travail, en allant de plus en plus vers une sécurité liée à la personne et non au statut, afin de prendre en compte la diversité des statuts au cours d'une vie professionnelle. Indépendants comme démissionnaires bénéficieront, sous certaines conditions, de ce filet de sécurité. Une personne ayant un projet professionnel – reconversion, création d'entreprise – pourra démissionner, être indemnisée par l'assurance chômage et donc disposer du temps nécessaire à la préparation de son projet.

Nous prévoyons également la possibilité de mettre en place un système de bonus-malus pour lutter contre le travail précaire, tout en laissant aux partenaires sociaux des branches professionnelles le soin de négocier des objectifs de réduction du nombre de contrats précaires jusqu'à fin 2018, comme ils l'ont demandé.

Nous envisageons en outre un meilleur accompagnement, plus précoce, des demandeurs d'emploi, avec la mise en place, à titre expérimental, d'un journal de bord partagé entre le conseiller professionnel et le demandeur d'emploi et, enfin, une politique de contrôle plus juste et plus efficace, avec un barème de sanctions équitable et la simplification du prononcé des sanctions.

Le titre III du projet de loi comporte des dispositions relatives à l'emploi.

Le chapitre Ier porte en premier lieu sur l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, les entreprises adaptées et la prise en compte des bénéficiaires de contrats aidés dans la représentation des salariés, pour des entreprises plus inclusives. Notre ambition, là aussi, est claire : aller vers une société plus inclusive dans laquelle les personnes en situation de handicap accéderont à tous les emplois et ne seront plus cantonnées, comme trop souvent, dans des emplois spécifiques. Nous maintenons et l'obligation d'emploi de ces personnes à hauteur de 6 % des effectifs, mais avec des clauses de revoyure tous les cinq ans, et la valorisation du recours aux entreprises adaptées. Les concertations que nous menons avec les partenaires sociaux et les associations, avec la secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, aboutiront début juin et feront donc l'objet d'amendements que nous proposerons à l'occasion de l'examen du texte en séance.

En ce concerne l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, le projet de loi comporte des avancées sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et sur l'égalité professionnelle. Comme l'a indiqué le Premier ministre aux partenaires sociaux le 7 mars, avec Marlène Schiappa et moi-même, l'ambition, ici encore, est forte : nous voulons ainsi passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultat quant aux écarts de salaires injustifiés. La concertation avec les partenaires sociaux s'est achevée le 9 mai dernier et le Gouvernement proposera par amendements les dispositions législatives retenues.

Pour ce qui touche à la prévention du harcèlement, un amendement vous proposera de créer des postes de référents auprès des élus du personnel et de référents auprès des services de ressources humaines dans les entreprises de plus de 250 salariés. Sont également prévues des mesures de formation et de sensibilisation de l'ensemble des acteurs. Un amendement sur le rôle des branches et des commissions paritaires régionales interprofessionnelles aura pour objet d'équiper les entreprises de dispositifs utiles à la prévention du harcèlement et à la façon dont le traiter car de nombreux acteurs sont démunis en la matière.

Un amendement portera par ailleurs sur l'action des branches en matière d'égalité professionnelle. Un autre prévoit le passage à l'obligation de résultat quant à l'égalité salariale à travail de valeur égale : méthodologie unique, obligation de transparence, obligation de consacrer une enveloppe de rattrapage et sanctions et résultats au bout de trois ans. Enfin est prévue l'information des instances de gouvernance en matière de mixité, ainsi que la délibération sur les résultats en matière d'égalité salariale.

En ce qui concerne le détachement des travailleurs, pour compléter, au niveau national, la révision de la directive européenne, obtenue à l'automne dernier et qui sera confirmée définitivement dans quelques semaines, courant juin, au niveau européen, le projet de loi nous donnera la possibilité de lutter plus efficacement contre la fraude, assez significative dans ce domaine, en prévoyant des sanctions plus dissuasives et les moyens d'un contrôle élargi, notamment par la création d'un nouveau cas de suspension de la prestation de service à l'égard d'un prestataire étranger dans le cas où, mis en défaut, il ne se serait pas acquitté du paiement des amendes administratives. En l'état actuel des choses, il est impossible d'arrêter le chantier s'il n'est pas en règle ; désormais, on le pourra. Dans le même temps, nous proposerons de faciliter la liberté de circulation et la liberté de prestation en aménageant les formalités administratives pour certaines situations spécifiques dans les zones frontalières ou pour les activités très courtes d'un ou deux jours de nature sportive et culturelle. Enfin, nous envisageons une disposition sur la mobilité de la fonction publique – disposition qui n'est pas la réforme de la fonction publique mais qui est un peu en avance de phase, si j'ose dire : il s'agit d'encourager les mobilités, les passerelles entre le public et le privé, pour enrichir l'expérience des femmes et des hommes au service de l'État.

Par les transformations systémiques et profondes envisagées, le projet de loi vise à créer davantage de liberté professionnelle, à donner à chacun l'envie de s'engager dans des projets, à apporter à tous les actifs de véritables protections, de nouveaux droits concrets, facilement mobilisables et adaptés à notre temps. Oui, nous voulons que nos concitoyens puissent librement déterminer leur avenir professionnel, beaucoup plus qu'aujourd'hui, c'est-à-dire choisir l'espace dans lequel ils pourront avoir confiance en eux, en exprimant leurs talents au bénéfice de tous. C'est pourquoi nous faisons le pari de notre capacité collective à nous mobiliser pour créer cet espace d'émancipation sociale et de compétitivité qui ouvre le champ des possibles. Faire en sorte que la société française soit plus unie, plus inclusive, qu'elle gagne la bataille mondiale des compétences, qui est un gage de prospérité économique et de progrès social, qu'elle ait donc confiance en l'avenir, c'est précisément ce que vous propose le projet de loi que j'ai l'honneur de défendre devant vous au nom du Gouvernement.

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