Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du mercredi 23 mai 2018 à 16h15
Commission des affaires sociales

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Voilà déjà une première série de questions consistantes…

En ce qui concerne le compte personnel de formation (CPF), trois possibilités sont offertes. La décision peut être prise à titre individuel, si le salarié est en mesure de financer sa propre formation et ne souhaite pas en discuter avec son employeur, notamment parce qu'il veut changer de métier ou d'entreprise. S'il désire continuer à se former, acquérir de nouveaux diplômes ou se faire connaître, dans l'objectif de consolider son poste ou d'être promu, il est dans son intérêt et dans celui de l'entreprise de trouver le moyen de cofinancer et de coconstruire ce droit. Deux cas de figure sont alors envisageables. L'accord de branche peut prévoir un cofinancement pour certains types ou certains niveaux de qualification qui font l'objet d'une pénurie ; certaines branches y travaillent, notamment pour les métiers en tension. Un cofinancement peut également être prévu dans le cadre d'un accord d'entreprise ou d'un accord bilatéral entre le salarié et l'employeur, selon diverses modalités – comme le partage du coût de la formation ou l'utilisation du temps de travail. Dans sa forme actuelle, assez lourde et peu pratique, le CPF n'est pas beaucoup utilisé ; du coup, on ne sait pas exactement quels seront les comportements. C'est pourquoi nous ouvrons l'ensemble des possibilités. J'ajoute que pour les branches et les entreprises la question porte plutôt sur la montée en compétences, car un manque commence à se faire sentir. Nous sommes donc dans un moment favorable pour instaurer une nouvelle culture du co-investissement et de la coconstruction, au-delà des seules décisions individuelles des salariés.

Vous avez évoqué les 15 milliards d'euros qui seront consacrés à la formation d'un million de jeunes et d'un million de demandeurs d'emploi, ces crédits incluant la « garantie jeunes ». Nous avons un plan de progression sur une durée de cinq ans, et je peux vous annoncer que 11 des 13 régions métropolitaines, ainsi que plusieurs régions d'outre-mer, ont déjà signé un accord de partenariat sur ce sujet ou sont sur le point de le faire. Il y aura donc une démarche commune. Nous ne nous situons pas encore au-delà du « plan d'investissement compétences » : il faut commencer par le réussir.

Le CPF permettra d'assurer une partie des reconversions longues. Pour l'heure, le congé individuel de formation (CIF) ne concerne que 40 000 salariés par an, ce qui est à la fois beaucoup et peu, compte tenu des aspirations et des besoins. Le dispositif est financièrement contingenté, alors que beaucoup de salariés disent vouloir utiliser le CPF comme un moyen de reconversion : avec 5 000 ou 8 000 euros, on peut accéder à un grand nombre de formations et de diplômes complets, d'autant que la durée sera davantage personnalisée en fonction des acquis antérieurs des salariés. L'hypothèse retenue par les partenaires sociaux et par le Gouvernement est qu'un nombre important de formations de reconversion pourront s'effectuer par le biais du compte personnel de formation. Néanmoins, cela ne suffira pas dans certains cas – je pense, par exemple, au secteur sanitaire et social où les formations sont longues. C'est pourquoi nous allons créer un CPF « transition » : ce sera en fait un CIF avec une durée modulée en fonction du complément qu'il faut apporter au CPF. Je suis bien consciente que cela n'épuise pas nécessairement le sujet : des discussions bilatérales sont en cours avec un certain nombre d'acteurs. Il est clair que les reconversions sont un sujet très important compte tenu de l'ampleur des mutations à venir, et je crois que nous pouvons encore progresser en la matière.

L'apprentissage conduit à de très bons taux d'insertion professionnelle, vous l'avez dit : 7 apprentis sur 10 trouvent un emploi dans un délai de 7 mois. Nous sommes très conscients, néanmoins, qu'il se pose un gros problème d'opinion publique et de mentalités. Si les jeunes, et leurs parents, considèrent que l'apprentissage constitue une voie d'échec et si les entreprises ne sont pas intéressées par ce type d'investissement dans la formation, nous aurons beau adopter toutes les lois possibles, peu de choses bougeront : on passera seulement de 420 000 à 440 000 apprentis par an. Un travail très important s'impose sur la valorisation de l'apprentissage. On sent qu'il y a quand même une véritable évolution depuis quelques mois : de plus en plus de médias communiquent sur le sujet et mettent en avant des témoignages. Tout cela montre qu'il y a un appétit croissant pour l'apprentissage, notamment du côté des jeunes. Parcoursup, où 800 000 jeunes ont formulé des voeux, a enregistré une hausse de 25 % des demandes concernant les diplômes universitaires technologiques (DUT) et de 18 % s'agissant des brevets de technicien supérieur (BTS), principalement en apprentissage. À l'évidence, quelque chose est en train de changer et c'est notre rôle à tous d'encourager et d'amplifier cette évolution.

S'agissant des démissionnaires, le texte prévoit en effet qu'il faudra cinq années continues d'ancienneté. On peut regarder la question des interruptions de quelques mois, mais en faisant attention aux aspects financiers.

En ce qui concerne les indépendants, le portage et le recours à des tiers de confiance peuvent faire partie de l'arsenal de protection, si j'ose dire, notamment lorsqu'on travaille pour une plateforme. Cela ne figure pas dans le projet de loi, à ce stade, mais des réflexions sont en cours sur ce sujet qui, au-delà de son aspect technique assez important, mérite d'être examiné.

On peut envisager d'enrichir le document de cadrage pour les négociations des accords d'assurance chômage en précisant les prévisions macroéconomiques, notamment en ce qui concerne les recettes fiscales. Je trouve, à chaud, que c'est une idée à explorer : plus nous donnerons de visibilité aux partenaires sociaux, plus nous pouvons espérer qu'ils prendront en compte ces éléments supplémentaires dans leurs simulations et les règles qu'ils décideront d'adopter. Encore faut-il les leur mettre à disposition.

Le handicap est un sujet très important. La concertation en cours porte notamment sur le mode de calcul de la contribution financière. On peut aujourd'hui prendre en compte, pour le respect du critère de 6 %, des emplois chez les sous-traitants, sous forme d'équivalents temps plein. Quand on sous-traite beaucoup à des entreprises adaptées, on peut ainsi être dispensé de toute obligation au plan interne. C'est une affaire qu'il faut examiner de près : on pourrait peut-être accepter une déduction des salaires, mais pas une exonération de toute contribution. Se pose aussi la question des dérogations, mais aussi celle de la déductibilité, selon les secteurs et les types de métiers ou d'entreprises. Nous pourrons revenir plus en détail sur la situation actuelle à la faveur de l'examen des articles. Il est difficile de s'y retrouver tant les exemptions sont nombreuses. Certaines d'entre elles ont peut-être eu une justification, à un moment donné, mais elles ne sont plus nécessairement valables1. Le raisonnement sous-jacent est que tout handicap est physique, ce qui n'est pas vrai : les handicaps dits « invisibles » sont plus nombreux, et nous savons désormais mieux les appréhender. L'accès à l'apprentissage fait également partie des sujets de réflexion : il n'y a que 1 % de jeunes handicapés dans les CFA alors qu'ils représentent 7 % d'une classe d'âge. Les personnes handicapées ont moins accès à la formation initiale et à l'apprentissage, puis à l'emploi. On peut se demander s'il faut mettre en place des référents ou demander aux CFA d'inciter les entreprises et les jeunes. Nous examinerons avec intérêt les fruits de la concertation et vos propres propositions.

S'agissant du détachement, nous avons bien sûr vérifié que le projet de loi ne posera pas de problème de conformité à nos engagements internationaux. Il y a deux enjeux à prendre en compte. En l'état actuel de la réglementation, une entreprise peut parfaitement rester en infraction tout en poursuivant son activité : de ce fait, certaines d'entre elles tardent à payer amende et à se mettre en conformité. Il faut impérativement pouvoir interrompre sans délai l'activité si l'infraction persiste. L'autre sujet relève de la simplification administrative : la France est le seul pays européen à avoir des règles difficilement compréhensibles et mal acceptées par ses voisins – à juste titre, car la réciproque n'existe pas. Nous considérons, par exemple, que les règles relatives au travail détaché doivent systématiquement s'appliquer, avec tout ce que cela implique en termes de déclaration préalable et de contrôle, y compris dans le cas d'un orchestre allemand qui vient jouer un soir en Moselle, ou de joueurs de football qui viennent en France pour un match ou d'exposants qui se rendent à la Foire de Paris… Tout cela est un peu absurde, et nous allons donc procéder à un toilettage dans un esprit pragmatique.

Quinze mesures sont prévues pour renforcer l'égalité professionnelle femmes-hommes, dont cinq concernant la prévention du harcèlement dans le monde du travail, et les dix autres l'égalité salariale. Elles ne sont pas toutes de nature législative, je pourrai revenir sur l'ensemble du dispositif lorsque nous examinerons le projet de loi : comme il s'agit d'un plan d'action complet, il est important de vous donner aussi connaissance des actions relevant du domaine réglementaire. Mais pour ce qui relève de ce projet de loi, l'idée de base est simple : nous avons besoin d'un instrument de mesure opposable afin de passer à une obligation de résultat. Si l'on ne sait pas mesurer les écarts de manière cohérente, on ne pourra rien imposer. Il faut donc une base solide. Le travail se poursuit avec les partenaires sociaux sur ce sujet, qui fait par ailleurs l'objet d'une mission confiée à Sylvie Leyre. Plusieurs options existent sur le plan technique, comme l'utilisation de la déclaration sociale nominative (DSN) ou le recours à un logiciel ad hoc qui s'intégrerait dans les logiciels de paie. Il faut surtout définir le cahier des charges, c'est-à-dire les critères à suivre. Les partenaires sociaux se sont mis d'accord pour que l'on ne regarde pas seulement les écarts de salaires à travail égal – de l'ordre de 9 % –, ce qui est le plus facile à faire, si je puis dire, mais aussi les écarts globaux sur l'ensemble des carrières – ils s'élèvent à environ 25 %. Cela servira de support à une négociation ultérieure sur les carrières des femmes dans les entreprises. Nous suivrons une approche pragmatique : on doit faire tout ce qui est possible et efficace, en évitant de créer une usine à gaz. Je sais que vous y veillerez aussi et que nous aurons l'occasion d'en reparler.

En ce qui concerne les conseils d'administration, le succès de la loi « Copé-Zimmermann » tient deux raisons : le dispositif choisi était clair et vigoureux, mais on a laissé aux entreprises le temps de s'adapter, sans pour autant leur permettre de repousser sans cesse leurs obligations puisqu'il y avait une planification sur cinq ans. Nous voulons suivre la même logique pour le rattrapage salarial. Que se passe-t-il à l'heure actuelle ? Si l'écart est important, il peut être difficile, voire impossible, de le combler en une année, et l'on se contente de refaire le même constat année après année. Résultat : une loi de la République qui n'est toujours pas respectée quarante ans après son adoption… Je tiens à appeler l'attention de la représentation nationale sur ce point : on trouvera toujours des gens qui contreviennent aux règles, mais rarement dans des proportions aussi massives. Nous avons donc besoin d'une approche tout à la fois graduelle et vigoureuse. Nous allons passer à une obligation de résultat : les entreprises seront tenues de rattraper l'écart salarial à travail égal, mais nous leur laissons trois ans pour ce faire. Nous nous sommes fondés sur l'expérience des entreprises qui ont réussi à combler l'écart : en général, elles ont négocié sur deux ou trois ans.

Nous n'avons pas choisi, en revanche, d'augmenter le taux fixé par la loi « Copé-Zimmermann » dans le cadre de ce projet de loi, ni dans celui de la future loi dite « Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises » (PACTE). Porter le taux à 50 % pourrait être compliqué, notamment parce qu'il est actuellement de 55 % dans certaines entreprises – il faudrait alors faire partir des femmes. Par ailleurs, il est intéressant de noter que l'on est allé un peu au-delà de l'obligation légale dans les sociétés du CAC 40. S'il en était de même sur tous les sujets, nous en serions très satisfaits…

J'en viens aux amendements de votre commission des affaires culturelles. L'orientation est un élément clef de la réforme de l'apprentissage, en effet, et il est prévu que les DRONISEP seront confiées aux régions. Il faudra regarder la question de la publication de la valeur ajoutée des établissements. Le même exercice a été couronné de succès en ce qui concerne les lycées d'enseignement général. C'est un indicateur intéressant, car il n'incite pas à sélectionner les élèves pour obtenir de bons résultats, mais à s'intéresser à la transformation réalisée : les résultats sont mesurés en fonction des élèves accueillis. Le projet de loi prévoit déjà que le taux d'insertion dans l'emploi sera rendu public, mais on ne raisonnera pas nécessairement selon les bassins d'emploi : l'important est que les jeunes aient un emploi, que ce soit au plan régional ou national. Il faudra aussi étudier la question du taux de rupture, comme vous le suggérez.

Vous avez évoqué les missions des CFA, notamment l'information qu'ils pourraient assurer sur les droits et les devoirs dans le monde professionnel, ainsi que sur la sécurité au travail. Certaines branches, notamment les plus exposées dans ce dernier domaine, souhaitent une évolution. Il faudra voir s'il est préférable d'avancer dans le cadre de la loi ou par la négociation de branche, mais la question est pertinente.

Il y a plusieurs manières de favoriser la diversité et l'intégration des personnes handicapées dans les CFA, sujet que j'ai déjà un peu évoqué. Rappelons qu'une personne en situation de handicap peut entrer en apprentissage à n'importe quel moment de sa vie, pour une durée pouvant aller jusqu'à quatre ans si le handicap le justifie. C'est évidemment intéressant, mais force est de constater qu'il n'y a pas de culture d'accueil des jeunes handicapés en apprentissage. Comment y remédier ? Par l'incitation ou par l'obligation ? Cela fait partie des sujets soumis à la concertation.

La question des CPRDFOP excède le strict champ de l'apprentissage et relève davantage du ministre de l'éducation nationale.

Nous sommes favorables à la mutualisation des plateaux techniques. Nous souhaitons ainsi encourager les campus de mutualisation. Ceux-ci font, du reste, l'objet d'un accord que nous avons conclu avec les régions car l'investissement dans les lycées professionnels et l'apprentissage relèvent de leurs compétences. Les contrats d'objectifs et de moyens entre les régions et les branches porteront sans doute notamment sur l'installation de plateaux techniques communs afin de favoriser les passerelles que vous avez évoquées.

Quant au préapprentissage, il relève plutôt, pour ce qui est des élèves de quatrième et de troisième, de l'éducation nationale et de la réforme des collèges. Cependant, nous avons prévu de consacrer une partie du Plan d'investissement dans les compétences au financement de « prépas apprentissage » destinées aux jeunes qui sont dans leur seizième année et ne sont donc plus soumis à l'obligation scolaire, mais qui ne savent pas encore de manière précise quelle formation ils veulent suivre. Je pense, par exemple, à ceux qui seraient très intéressés par les métiers de bouche mais qui hésiteraient encore entre la cuisine, la boucherie, la boulangerie, la pâtisserie… Plutôt que de commencer sans trop savoir au risque de rompre, le cas échéant, leur contrat et de devoir rechercher un nouvel apprentissage, mieux vaut qu'ils puissent, pendant une période de trois mois, découvrir différents métiers. Ce type de « prépa » pourrait également permettre à certains jeunes, qui peuvent entrer en apprentissage mais qui ne maîtrisent pas les codes relationnels ou sociaux – se lever le matin, travailler en équipe…–, d'acquérir ces savoirs relationnels fondamentaux.

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