Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du jeudi 31 mai 2018 à 9h30
Évolution du logement de l'aménagement et du numérique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

Messieurs les ministres, chers collègues, Jean-Luc Mélenchon et Bénédicte Taurine vous ont déjà expliqué les raisons de notre opposition à la logique générale de ce texte. Ce projet de loi relève de la logique générale de la politique de votre Gouvernement : libéraliser à tout prix, au mépris des impératifs sociaux et écologiques qui devraient guider une action publique fondée sur l'intérêt général. Toujours moins de règles, toujours moins de normes, toujours moins de régulation : qui, de bonne foi, peut croire qu'une telle ligne de conduite améliorera de quelque façon que ce soit le quotidien de nos concitoyennes et concitoyens ?

Votre projet de loi, nous en avons déjà beaucoup parlé, prévoit la création d'un bail mobilité. Encore un de ces jolis noms dont votre majorité a le secret, pour masquer la réalité de la mesure. Votre « bail mobilité », messieurs les ministres, est un « bail précarité ». Il n'est pas reconductible et concerne les étudiants, les personnes en formation, les stagiaires ou les personnes en mission professionnelle temporaire, bref des personnes déjà précaires.

Après la généralisation du CDI de chantier – sorte de CDD déguisé, mais sans prime de précarité – à tous les secteurs de la vie professionnelle, après l'invention de la rupture conventionnelle collective, vous inventez le bail précaire ! Non seulement l'emploi de nos concitoyens ne sera pas garanti dans le temps, mais ils pourraient en plus y perdre leur logement ! Notre travail, notre toit : à quoi donc le Gouvernement compte-t-il s'attaquer ensuite ?

Le Défenseur des droits, dans son avis du 18 mai dernier, a considéré que votre dispositif, messieurs les ministres, expose le public visé, principalement des jeunes, à une précarisation accrue des conditions de logement. C'est une société de la précarité généralisée que vous êtes en train de construire.

Vous auriez pu, au contraire, développer la garantie des loyers par l'État ainsi que le logement social et rendre obligatoire le dispositif d'encadrement des loyers dans toutes les zones tendues. Mais comme toujours, à la protection, vous préférez la précarisation !

Je me permets de vous dire que ce qui est cause, s'agissant de ce bail comme d'autres mesures prévues par le projet de loi, c'est votre rapport au réel. Prenons un exemple concret. La circonscription dont je suis députée se trouve dans le territoire 12. Mme Gaillot, également députée du Val-de-Marne, membre de la majorité, a indiqué en commission que l'obligation de fusion des offices publics de l'habitat n'était pas adaptée à notre territoire. Les débats vous ont donc amenés à prévoir une possibilité d'exemption, applicable si chaque office public de l'habitat – OPH – compte plus de 15 000 logements. Toutefois, votre ajout ne règle en rien le problème. En effet, le territoire 12 compte présentement huit OPH, pour un total de 27 500 logements sociaux. Par conséquent, la disposition correctrice que vous avez imaginée ne s'y applique pas.

Pensez-vous, messieurs les ministres, qu'une fusion de huit OPH – ce qui ne s'est jamais vu en France ! – avec une structure-mère qui se verrait attribuer le plan de patrimoine et pourrait donc obliger une structure-fille à vendre du patrimoine, voire à en liquider un avec, leur permettra de continuer à mener à bien leur mission ?

Ce n'est pas tout : ce manque de réalisme social est aggravé par une absence tragique de conscience des enjeux écologiques, qui doivent sous-tendre le rapport à l'habitat à l'heure du bouleversement majeur pour nos sociétés que constituent l'extinction des espèces et le changement climatique.

Ainsi, votre projet de loi multiplie les dispositifs dérogatoires en matière d'évaluation environnementale. Comme d'habitude, vous prétendez simplifier en complexifiant le droit et tout le monde y perd, les constructeurs qui n'ont aucune lisibilité et la société tout entière, pour laquelle il est évident que les normes environnementales ne sont pas un ornement superflu.

Sur au moins un sujet, nous espérions trouver un terrain d'entente rationnelle : l'arrêt de l'artificialisation des sols. Outre l'absurdité que celle-ci constitue à l'heure où il faut davantage lier les terres agricoles aux villes moyennes, développer les circuits courts et se prémunir des risques d'inondation, nous savons que de telles constructions soulèvent d'autres problèmes. Citons notamment des centres-villes qui se vident et des commerces qui y disparaissent au fur et à mesure que les grandes surfaces occupent des superficies colossales en périphérie.

L'artificialisation des sols s'accélère : l'équivalent d'un département français est coulé dans le béton tous les sept ans. Nous avons donc proposé un moratoire sur la construction de tout nouveau centre commercial en périphérie urbaine. À l'heure de l'urgence écologique, le temps n'est-il pas venu de mettre un terme à la multiplication des centres commerciaux, dont notre territoire est saturé ?

Mais vous avez évidemment repoussé l'amendement que nous avons présenté en commission, tant il allait contre l'esprit général du texte, dont le fil rouge est l'abaissement des normes environnementales. Toutefois, je vous rappelle qu'il est dangereux de jouer ainsi avec les normes, comme je vous l'ai déjà signalé en commission.

L'incendie de la tour Grenfell, en juin 2017 à Londres, qui a coûté la vie à soixante-douze personnes, était dû à l'absence de tests sur les matériaux de revêtement. Je le rappelle afin que nous ayons tous à l'esprit, chers collègues, le fait que les normes de construction ne sont pas là par hasard ou par goût de la production de règles, mais pour assurer notre sécurité à tous.

En outre, de nombreuses associations ont exprimé leur inquiétude, dont je me fais ici l'écho, à propos de la baisse des normes en matière d'accessibilité des logements aux personnes handicapées. Lorsque j'ai évoqué le problème, vous vous êtes emporté, monsieur le secrétaire d'État, arguant qu'il est tout à fait possible de construire du logement évolutif en vue d'accueillir une personne en situation de handicap. Pourtant, si on interroge les professionnels sur ce point, ils parlent d'enfumage.

En effet, avec votre projet de loi, on passe de l'objectif de 100 % de logements neufs accessibles, prévu par la loi Handicap de 2005, à 100 % de logements neufs évolutifs, dont 10 % accessibles immédiatement. Afin de vous démontrer l'absurdité d'une telle mesure, l'association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs a fait un calcul simple : cet objectif aboutit pour les HLM – dans le parc privé c'est encore pire – à un logement accessible pour 30 000 habitants.

Or, statistiquement, parmi ces 30 000 personnes, 16 seront victimes d'un accident de santé invalidant, un AVC par exemple, et 1 800 âgées de 80 ans ou plus. Il y a donc là une très forte sous-estimation des besoins. En outre, ce dispositif dénie aux personnes en situation de handicap, de l'avis même des personnes concernées, le droit de rendre visite à des amis et à de la famille.

Enfin, et la presse en a fait état au cours des derniers jours, vous vous en prenez à la loi Littoral. Non seulement vous refusez nos propositions relatives à la lutte contre l'artificialisation des sols, mais vous allez à l'encontre d'un consensus largement établi dans le pays : la lutte contre l'urbanisation du rivage. Selon un sondage IFOP réalisé il y a trois ans, 91 % des Français sont favorables à l'application pleine et entière de la loi Littoral.

Bien entendu, ce consensus ne va pas jusqu'à ceux qui pourraient tirer profit du contraire ! Nos côtes, messieurs les ministres, ne doivent pas être soumises à la prédation économique vorace. On ne peut les détruire qu'une fois. Comparer la Vendée aux rivages bretons vous en donnera une image frappante. Ainsi, vous prévoyez d'autoriser des dérogations à la loi Littoral sans les soumettre à une étude d'impact. C'est vrai : à quoi bon les normes environnementales ? À quoi bon les études d'impact ?

Les Bretons, les Corses et les Ultramarins tiennent à cette loi, qui a permis de préserver nos paysages côtiers. Dès lors, pourquoi l'affaiblir ? À la lecture de l'article 12, on comprend que des constructions nouvelles pourront être autorisées dans la bande littorale des cent mètres si elle est déjà bâtie et, découverte tout aussi splendide, que des décharges pourront être installées dans les espaces proches du littoral corse et dans les territoires ultramarins. Pourquoi là plutôt qu'ailleurs ? Aucune justification ne nous a été fournie. Ces dispositions ruinent trente-trois ans d'application de la loi !

Le littoral a toujours fait l'objet de nombreuses convoitises, sous forme de pressions foncières et d'urbanisation accélérée, au détriment du maintien des activités agricoles et maritimes locales, respectueuses de l'environnement et des espaces naturels riches en biodiversité. La multiplication des événements météorologiques extrêmes, tels que les tempêtes et les inondations, ainsi que l'élévation du niveau des océans, dont on estime quelle pourrait atteindre entre 50 cm et 1 m d'ici 2100, impose de gérer l'espace littoral avec mesure et prudence. Vous nous trouverez donc déterminés et fermes aux côtés de ceux qui luttent contre l'urbanisation sauvage du rivage.

Précarisation et mépris des règles environnementales, injustice sociale et inconséquence écologique : ce projet de loi n'est en rien adapté aux impératifs de notre temps !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.