Intervention de Pieyre-Alexandre Anglade

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 10h10
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPieyre-Alexandre Anglade, rapporteur :

L'avenir dira si ces initiatives seront un succès mais il faut d'ores et déjà s'interroger sur leur articulation avec l'OTAN.

S'il y a une chose qui est revenue comme un leitmotiv dans l'ensemble des auditions que nous avons menées, tant à Bruxelles que dans les capitales est-européennes, c'est le caractère incontournable de l'OTAN dans la défense européenne, à la fois pour des raisons politiques, juridiques et opérationnelles.

Politique, car outre le Royaume-Uni, vingt et un États membres de l'Union européenne sont également membres de l'OTAN et nombre d'entre eux, en particulier à l'Est, considèrent celle-ci comme l'instrument majeur – voire unique – de leur politique de Défense, avec toutefois des différences entre eux. Dans ces conditions, il est parfaitement clair que dans la situation actuelle et compte tenu des incertitudes entourant le futur de la Russie, la défense collective d'une part significative des États membres continuera à être assumée par l'OTAN. Celle-ci est également incontournable pour des raisons juridiques puisque l'article 42 du TUE, comme la Stratégie globale, la mentionnent en tant que telle dans la politique de Défense mise en oeuvre par les États membres.

Enfin, ce fait est moins connu, mais c'est peut-être le plus important dans la perspective d'un renforcement du caractère opérationnel de la PSDC. Comme l'Union européenne, l'OTAN a été confrontée, dès 1949, aux différences d'équipements, de doctrines et de procédures entre les armées de ses membres et, depuis soixante-dix ans, travaille à les rendre interopérables afin qu'elles puissent agir ensemble contre une menace commune. Dans ces conditions, sachant qu'outre le Royaume Uni, vingt et un États membres de l'Union sont également membres de l'OTAN, c'est par l'intermédiaire de celle-ci qu'elles seront interopérables dans le cadre de la PSDC.

De ce constat du caractère incontournable de l'OTAN, nous avons tiré deux conclusions :

– la première, c'est la nécessité pour les États membres de l'Union européenne et en particulier la France, de s'investir dans l'OTAN. Les initiatives françaises en matière de PSDC seront d'autant mieux reçues par nos partenaires, en particulier à l'Est, que celle-ci s'investira dans la présence avancée renforcée et dans les autres initiatives de l'OTAN ;

– la deuxième est la nécessité, pour l'Union européenne, d'approfondir sa coopération avec l'OTAN dans le domaine où celle-ci est indispensable, notamment dans la cyberdéfense.

Que l'OTAN soit incontournable dans la défense européenne ne fait cependant pas obstacle au développement de la PSDC en raison des spécificités de l'Union européenne, ni ne doit servir de prétexte pour ne pas avancer. En effet, aucune des crises actuelles qu'affronte l'Union, qu'il s'agisse de la crise migratoire, de la crise ukrainienne ou des multiples crises en Afrique ou au Proche-Orient, ne pourra être réglée par les seuls moyens militaires. Pour que soit assurée sa sécurité, l'Union devra donc avoir une approche intégrée et utiliser tous des moyens à sa disposition, les moyens militaires bien sûr, mais également l'aide au développement et humanitaire, le commerce ou le dialogue politique, essentiel par exemple, dans le conflit israélo-palestinien. Or, cette variété de moyens, l'OTAN n'en dispose pas.

En outre, la sécurité de l'Union se joue à l'Est, certes, mais aussi en Afrique où toutes les opérations militaires de l'Union européenne ont été lancées. Or, l'OTAN ne dispose pas des moyens ni du savoir-faire nécessaires pour régler les crises africaines ni, sur le plan militaire, de l'expérience du terrain qui est celle, par exemple, de l'armée française.

Enfin, la lutte contre le terrorisme exige une coordination parfaite entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. Organisation militaire tournée vers l'extérieur, l'OTAN n'a donc qu'une utilité marginale pour l'Union européenne dans la lutte contre le terrorisme, à la fois parce qu'elle ne dispose pas des moyens de sécurité intérieure mais aussi parce que les échanges de renseignements, en son sein, sont bloqués par la Turquie.

Dès lors, l'OTAN et l'Union européenne peuvent être parfaitement complémentaires : l'OTAN a été créée pour la défense territoriale collective de l'Europe et doit s'y concentrer. Le reste doit être le domaine de la PSDC, l'Union pouvant recourir aux moyens militaires de l'OTAN mais conservant la direction des opérations, en attendant d'être capable, un jour, de s'en passer.

Enfin, notre rapport fait de la prospective et s'interroge sur l'avenir de l'OTAN comme acteur de sécurité en Europe. En effet, la réorientation des intérêts stratégiques américains vers l'Asie, entamée par le président Obama, n'est pas remise en cause par Donald Trump qui, dans la nouvelle stratégie nationale de sécurité de décembre 2017, ne cite ni l'Europe, ni l'OTAN. En mai dernier, il avait suscité une inquiétude considérable en refusant de s'engager sur l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord, fondement de la défense collective en Europe. Cette inquiétude explique d'ailleurs probablement pourquoi même les plus atlantistes des États membres se soient ralliés an renforcement de la PSDC.

Le rapport s'interroge donc sur les conditions et les évolutions nécessaires pour que la PSDC devienne pleinement autonome du point de vue stratégique et opérationnel, au point de pouvoir se passer de l'OTAN si nécessaire. Elles sont au nombre de quatre :

– la création d'un véritable quartier général européen, sur le modèle du SHAPE de l'OTAN, donnant à l'Union les capacités de planification et de conduite d'opérations militaires qui lui font aujourd'hui défaut ;

– la définition d'une culture stratégique commune, incluant des règles et procédures communes, afin de garantir comme le fait aujourd'hui l'OTAN l'interopérabilité des armées européennes ;

– une force d'intervention rapide d'au moins 60 000 soldats, déployables rapidement n'importe où dans le monde ;

– la mise en commun des coûts, car il n'est évidemment pas envisageable de faire financer la défense de l'Europe, comme aujourd'hui, par un autre budget que celui de l'Union européenne.

Par ailleurs, une question se posera nécessairement à terme, surtout maintenant que le Royaume-Uni a décidé de quitter l'Union européenne : la dissuasion nucléaire française doit-elle être étendue à l'ensemble des États membres de l'Union européenne et si oui, dans quelles conditions ?

Il va de soi que ces conditions sont aujourd'hui impossibles à réaliser pour les raisons politiques, juridiques et opérationnelles dont j'ai parlé.

En conclusion, si le chemin vers l'autonomie opérationnelle et stratégique est encore long, l'Europe de la défense est à la croisée des chemins. En effet, les crises actuelles, pour terribles qu'elles soient, constituent une opportunité historique d'aller de l'avant dans la construction d'une véritable Europe de la défense. La saisir est une impérieuse nécessité pour l'Union européenne qui, dans ce domaine plus que dans les autres, joue sa crédibilité vis-à-vis des citoyens européens. En effet, les citoyens européens ont une forte attente en matière de sécurité et de Défense. Si l'Europe devait décevoir cette attente, elle nourrirait le sentiment anti-européen et la perception que décidément, l'Europe est coupée des réalités ou – et c'est peut être pire – incapable de les affronter en adoptant les mesures nécessaires. Dans tous les cas, c'est la construction européenne elle-même qui serait, une nouvelle fois, fragilisée. C'est pourquoi il importe de soutenir les initiatives européennes mais aussi d'alerter sur les risques auxquelles elles sont exposées, afin de mieux assurer leur succès. C'est l'objet de la PPRE que nous vous proposons d'adopter.

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