Intervention de Carole Grandjean

Réunion du jeudi 8 mars 2018 à 10h10
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCarole Grandjean, rapporteure :

Madame la Présidente, chers collègues, je vous présente une proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité à la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l'évaluation des technologies de la santé. Le Sénat français , le Bundestag allemand, les Parlement de Suède, de Lituanie et de Tchéquie ont déjà à ce stade du délai de 8 semaines mentionné par Mme la Présidente présenté un avis de non-conformité au principe de subsidiarité. En effet, ce texte empiète sur les compétences nationales des États membres en matière de santé.

La Commission européenne a publié le 31 janvier 2018 une proposition de règlement européen relatif à l'évaluation des technologies de la santé (« health technology assessment », HTA) qui vise à favoriser la coopération entre États membres en matière d'HTA. L'évaluation des technologies de la santé (ETS) est un processus pluridisciplinaire qui synthétise les informations sur les questions d'ordre médical, social, économique et éthique liées à l'utilisation de ces technologies de manière systématique, transparente, objective et rigoureuse. L'ETS répond à des questions d'ordre clinique (quels sont les avantages d'une nouvelle technologie par rapport aux autres technologies de la santé existantes ou pour quels patients fonctionne-t-elle mieux ?), mais aussi à des questions d'ordre économique (quel est le coût pour le système de santé ?). C'est donc un outil essentiel qui aide les États membres à garantir l'accessibilité, la qualité et la viabilité des soins de santé. La proposition de la Commission se concentre sur les aspects cliniques de l'ETS, c'est-à-dire la définition du problème, ainsi que la sécurité et l'efficacité clinique relatives d'une technologie de la santé par rapport aux technologies existantes.

La proposition de règlement sur l'évaluation des technologies de la santé (ETS) vise à jeter les bases d'une coopération européenne permanente et viable en matière d'évaluation clinique commune des nouveaux médicaments et de certains nouveaux dispositifs médicaux. Les États membres pourront utiliser des méthodes, des procédures et des outils communs d'ETS dans toute l'Union, collaborant principalement dans quatre domaines :

1) les évaluations cliniques communes, axées sur les technologies de la santé les plus innovantes et présentant le plus fort potentiel de répercussions sur les patients ;

2) les consultations scientifiques communes, qui permettront aux développeurs de technologies de la santé de demander l'avis des autorités responsables de l'ETS ;

3) l'identification des technologies de la santé émergentes, pour déterminer au plus tôt quelles sont les technologies prometteuses ;

4) la coopération volontaire dans d'autres domaines.

La proposition fait suite à plus de vingt ans de coopération volontaire dans ce domaine. À la suite de l'adoption de la directive sur les soins de santé transfrontaliers (directive 201124UE), un réseau européen volontaire d'ETS composé d'agences ou organismes d'ETS nationaux a été créé (en 2013) et a été chargé d'orienter la stratégie et la politique en matière de coopération scientifique et technique à l'échelon de l'Union. Cette proposition institue un groupe de coordination des États membres en matière d'ETS, composé de représentants des autorités et organismes d'ETS nationaux. Le groupe de coordination sera chargé de superviser les évaluations cliniques communes et autres travaux communs effectués par des experts nationaux désignés, organisés en différents sous-groupes consacrés aux types particuliers de travaux communs (par exemple le sous-groupe chargé des évaluations cliniques communes, le sous-groupe chargé des consultations scientifiques communes).

Le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité est une obligation prévue par l'article 5 du traité sur l'Union européenne. Son contrôle par les parlements nationaux est pour sa part prévu à l'article 6 du protocole n° 2 qui lui est annexé. Il s'agit, en définitive, de répondre à deux questions :

– l'Union européenne est-elle fondée à intervenir et à ne pas laisser les États membres agir seuls en la matière, car c'est à leur niveau, et non au niveau européen, qu'il est plus adapté et plus efficace d'intervenir ?

– si tel est le cas, le principe de proportionnalité est-il respecté ? Le dispositif proposé n'excède-t-il pas ce qui relève du niveau européen ?

Ces questions doivent être en l'espèce posées, puisque le texte intervient dans un domaine de compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres.

Les technologies de la santé visées par les évaluations cliniques communes sont les suivantes : les médicaments qui sont soumis à la procédure centralisée d'autorisation de mise sur le marché de l'Union, y compris les nouvelles substances actives et les produits existants pour lesquels une extension de l'autorisation de mise sur le marché à une nouvelle indication thérapeutique est demandée ; certains dispositifs médicaux, y compris les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, ayant fait l'objet d'un avis rendu par les experts concernés à l'échelon de l'Union européenne conformément aux nouveaux règlements européens UE2017745 et UE2017746.

Parmi ces produits, le groupe de coordination sélectionnera ensuite ceux pour lesquels l'évaluation clinique commune à l'échelon de l'Union européenne procurera la valeur ajoutée la plus importante, en fonction de critères tels que les besoins médicaux non satisfaits et l'incidence potentielle sur les systèmes de santé.

Sans action à l'échelon de l'Union, il est peu probable que l'on assiste à un rapprochement des règles nationales régissant la manière d'accomplir des ETS et le marché intérieur resterait fragmenté. S'il n'y a pas d'obstacle à ce que la Commission européenne propose un texte, on peut regretter en revanche qu'elle n'ait pas respecté les prérogatives des États membres sur deux points.

Tout d'abord, un processus qui empiète sur les compétences nationales des États en matière de fixation des prix des médicaments et des dispositifs médicaux Le fait que la proposition se limite à l'évaluation clinique (et non pas au processus complet d'HTA) ne signifie pas qu'il n'y aura pas d'impact sur les décisions que doivent prendre in fine les États et leurs choix en matière d'accès des patients aux produits de santé. À cet égard, il convient de rappeler que le « clinical assessment » occupe une place prépondérante dans les décisions nationales de prix et remboursement.

Ensuite, le mode de gouvernance présenté dans la proposition renvoie au problème fondamental de la compétence des États dans le processus proposé. Si la participation des États membres est formellement assurée dans un comité de coordination qui est créé à l'article 3, le rôle prépondérant que la Commission s'y octroie pose questions :

- la Commission copréside les réunions alors qu'il s'agit d'un groupe à compétences scientifiques et elle en assure le secrétariat, y compris scientifique, alors qu'elle n'a, à ce jour, aucune compétence en la matière. Dans ce cadre, il reviendrait plutôt au groupe de coordination de se prononcer car il n'apparaît pas possible que la commission puisse décider si le rapport d'évaluation répond ou non aux enjeux réglementaires comme ce projet le prévoit ;

- de leur côté, les États sont invités à décider par « consensus », ce qui est peu réaliste. Le texte prévoit l'éventualité de décisions et dans ce cas, chaque État dispose d'une voix, les décisions étant prises à la majorité simple. Ce mode de décision ne convient pas et ne reflète pas l'investissement français important en matière d'HTA.

En conclusion, je dirais, chers collègues, que le problème de subsidiarité posé ici relève essentiellement de la question du caractère obligatoire de la participation et de l'utilisation des résultats. Un tel caractère obligatoire pose problème, compte tenu de l'impact majeur qu'il pourrait avoir sur les décisions de prise en charge et de fixation des prix. La prise de décision en matière de tarification et de remboursement doit rester du domaine des compétences nationales en vertu de l'article 168.7 du TFUE.

Cet article stipule en effet que « l'action de l'Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l'allocation des ressources qui leur sont affectées ». Je vous propose par conséquent d'adopter la proposition de résolution européenne portant avis motivé sur le respect du principe de subsidiarité que je présente.

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