Intervention de Frédérique Vidal

Réunion du lundi 4 juin 2018 à 21h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

La compétition internationale dans le domaine de la recherche est en effet particulièrement intense. C'est une compétition rude dans laquelle la France se bat chaque jour pour faire valoir sa position de grande nation scientifique. Le financement de la recherche, comme la recherche elle-même, demande des efforts de tous les instants, interdit tout relâchement ; vous pouvez compter sur moi pour y veiller personnellement.

Je veux à cet égard insister sur l'importance de la recherche fondamentale. C'est une conviction profonde : c'est en déplaçant les lignes de la recherche fondamentale que nous pourrons faire progresser le savoir. C'est le premier objectif assigné à la science, et c'est à partir de ce savoir que peuvent ensuite se développer les innovations. Nous avons la chance de disposer en France d'organismes de recherche de rayonnement mondial et sur lesquels nous devons nous appuyer pour mettre en oeuvre des plans nationaux. C'est ce que nous avons commencé à faire en confiant à des organismes de recherche le pilotage de plans nationaux pour le compte de toute la communauté scientifique.

Des investissements importants ont été réalisés ces dernières décennies pour doter notre pays de pôles dynamiques, qui sont de véritables leviers dans la compétition internationale, notamment autour de l'innovation. Il faut évidemment pouvoir les financer, ce qui pose la question de la prise en compte des préciputs et des frais de gestion au bon niveau.

Enfin, il nous faut sortir des faux débats qui opposent le financement sur crédits de base et le financement sur projet : il faut faire les deux. C'est pourquoi, dans le cadre de la loi de finances pour 2018, j'ai pris une mesure pour doter les laboratoires de 25 millions d'euros de crédits de base supplémentaires et j'ai en même temps augmenté les crédits de l'ANR. Il faut sortir de ces querelles stériles ; il faut que nos laboratoires, nos universités, nos organismes continuent à produire la meilleure recherche possible. Cet engagement collectif a été appuyé par un effort financier conséquent qui n'a pas été démenti, ni dans l'exécution du budget 2017 ni dans la construction de la loi de finances pour 2018.

Vos questions recoupent trois séries d'enjeux cruciaux pour la recherche : l'administration et le financement de la recherche, la stratégie et la lisibilité des différents modes de financement de la recherche, enfin l'emploi et la condition des jeunes chercheurs, auxquels s'ajoutent les sujets de l'innovation et du CIR.

S'agissant des organisations scientifiques internationales (OSI) et des très grandes infrastructures de recherche (TGIR), vous avez raison de rappeler, madame la rapporteure spéciale, que jusqu'en 2017 les besoins réels n'ont pas toujours été budgétisés au bon niveau. Ce sont des investissements certes très lourds mais indispensables, car ce sont eux qui permettent à la science de progresser. La gouvernance de la décision a évidemment une importance capitale ; il faut savoir faire des choix et, là aussi, en tant que ministre, je veille tout particulièrement à ce que des choix pertinents soient faits, qu'il s'agisse du financement des OSI ou des TGIR. Ces infrastructures se sont par exemple illustrées à l'été 2017 avec la première détection conjointe des ondes gravitationnelles par les détecteurs américains Ligo mais aussi l'infrastructure européenne Virgo. C'est bien la démonstration que ces investissements sont capitaux pour la progression de la connaissance.

Nous avons travaillé depuis le mois de mai 2017 à la prise en compte des recommandations faites par la Cour des comptes, et ce, dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2018, et nous avons rétabli au bon niveau la contribution de la France aux OSI. Cela a été un effort supplémentaire de 314 millions d'euros en 2018, soit une progression de 26 % par rapport aux crédits alloués en 2017. Pour suivre cela sur le plan méthodologique, nous avons établi un tendanciel pluriannuel en lien avec les organisations concernées, partagé avec la direction du budget lors des conférences dites techniques. Certains facteurs d'évolution des contributions, comme la variation du taux de change, sont difficiles à anticiper mais, pour tout le reste, l'anticipation est faite. L'essentiel des besoins à couvrir en budgétisation sur les programmes 172 et 193 sont désormais connus, à la fois par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et le ministère des finances, et suffisamment tôt pour être pris en compte dans les projets de loi de finances initiale.

Vous avez également abordé la question de l'exécution du plafond d'emplois dans les organismes de recherche. La question se pose de la même façon qu'au sein des universités. Comme vous le savez, la contribution versée par le ministère est comptabilisée au niveau de l'État comme une dépense de fonctionnement, bien que les sommes soient dans de larges proportions dédiées à financer la masse salariale des opérateurs. Nous ne sommes donc pas sur des crédits du titre II mais sur du budget de fonctionnement qui est ensuite réattribué aux opérateurs, qui l'utilisent pour payer notamment les emplois. Au bout du compte, on se retrouve face à deux critères : le plafond d'emplois mais aussi et surtout la masse salariale. Les organismes sont évidemment très attentifs sur ce sujet et je tiens à souligner leur gestion responsable, comme d'ailleurs celle des universités. Cela correspond à ce que nous avons évoqué tout à l'heure en termes de déficit récurrent du fait d'un mauvais provisionnement.

Maîtriser sa masse salariale peut évidemment conduire à ne pas exécuter la totalité du plafond d'emplois, qui n'est jamais impératif, et ces décisions expriment une politique d'établissement dans le cadre d'une stratégie scientifique toujours à construire. C'est pour l'ensemble de ces raisons que, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, nous avons pris une décision inédite en prévoyant, pour la première fois, de budgétiser le GVT au bon niveau dans les établissements d'enseignement supérieur. Les plafonds d'emplois avaient été rehaussés pour accueillir une démographie étudiante en hausse et les crédits majoritairement utilisés pour combler notamment le GVT. Et comme le GVT a été correctement provisionné pour l'année 2018, les 30 millions d'euros supplémentaires qui ont été d'ores et déjà distribués aux universités pour la mise en place de la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants ont permis de faire de vrais recrutements, si je puis dire, puisque cette masse salariale n'était pas destinée à seulement combler un déficit budgétaire, mais bien à créer des emplois.

Ce même effort doit être réalisé au profit des opérateurs ; cela fait partie des échanges en cours. Cette question, qui donne lieu à des discussions annuelles, ne doit néanmoins pas éluder la nécessité de donner des perspectives et une vision de moyen terme aux organismes et aux chercheurs en ce qui concerne le financement des recherches. Je pense que c'était aussi le sens de votre question relative à l'ANR, ce qui revient à poser celle, plus générale, de la stratégie en matière de financement de la recherche. À l'ANR comme avec l'ensemble des opérateurs de recherche, un dialogue annuel a lieu entre le ministère et l'opérateur. C'est un moment important pour le pilotage, un échange en responsabilité, un échange, je tiens à souligner, exemplaire dans sa qualité et qui d'ailleurs doit nous inspirer pour mettre en place le dialogue à conduire avec les établissements d'enseignement supérieur.

Au-delà du dialogue se pose la question du contrat et de la pluriannualité de la vision des moyens budgétaires. Une réflexion est en cours pour faire évoluer les contrats d'objectifs et de performance (COP) des organismes vers une forme de contrats d'objectifs et de moyens (COM). La première expérimentation sur ce sujet, pour voir comment les choses peuvent se mettre en place, est programmée, notamment dans le cadre de la gestion de la flotte. Cela va nous permettre d'avoir une première expérience sur cette nouvelle façon de donner une réelle visibilité aux dispositifs financiers.

Concernant le déploiement du SI recherche, une des caractéristiques de notre système de recherche est la mixité entre le monde universitaire et les organismes. Un SI recherche doit être à la fois utilisable par les organismes et par les universités, tutelles des unités mixtes de recherche (UMR), qui sont des briques fondamentales du système. Le système des UMR est souple et flexible et permet de combiner la meilleure recherche des universités à la meilleure recherche des organismes. En théorie, il devrait aussi permettre une allocation des moyens beaucoup plus coordonnée entre les différentes tutelles. Le problème est qu'un laboratoire pouvant avoir plusieurs tutelles, il peut aujourd'hui avoir plusieurs systèmes de gestion financière. C'est un sujet clairement identifié depuis une dizaine d'années ; je souhaite maintenant une véritable exigence en termes de résultats. Il nous faut mettre en place un SI recherche, un « SI labo » pour simplifier la vie quotidienne des laboratoires, des directeurs de laboratoire mais aussi des organismes, des universités et donc, en fin de compte, le pilotage, et donner une vision globale et intégrée de tous les moyens dédiés à la recherche à travers un système partagé.

Il faudra néanmoins veiller également à ce que ce SI recherche soit interopérable avec les autres systèmes d'information spécifiques aux universités, de manière à avoir une vision consolidée. C'est un élément essentiel. Même s'il peut apparaître comme un enjeu de gestion au quotidien, c'est en fait quelque chose qui alourdit considérablement le travail des administrations comme celui des enseignants-chercheurs et des chercheurs.

Le rôle que le PIA a joué et joue dans l'enseignement supérieur et la recherche est important ; il a représenté un effort financier significatif. Néanmoins, la multiplicité de ses lignes et de ses programmes ainsi que le caractère limité dans le temps de ses financements ont conduit à une stratification des programmes et des projets qui a rendu difficilement lisible une véritable stratégie d'ensemble et de long terme cohérente. C'est pourquoi nous avons souhaité travailler sur ce sujet, et la transformation du Commissariat général à l'investissement en SGPI dénote d'ores et déjà les nouvelles méthodes de travail à l'oeuvre, qui permettront de redonner de la clarté à l'ensemble du système. Le ministère est naturellement à la disposition du Parlement pour accompagner la clarification du fonctionnement du PIA ; mais l'important est qu'il y ait désormais une stratégie très largement partagée et coconstruite entre le SGPI et les différents ministères au sujet de l'usage des différents crédits et des stratégies auxquelles ceux-ci sont dédiés. Ainsi, le cahier des charges des nouveaux cursus universitaires a été corédigé de manière à venir en soutien au déploiement du plan « orientation et réussite des étudiants », donc par le Premier ministre et l'ensemble du Gouvernement.

En ce qui concerne les questions liées à la stratégie en matière de recherche, vous avez souhaité faire un gros plan sur le secteur spatial, qui demeure, à la fois pour la France et l'Europe, une priorité, que l'on parle d'autonomie stratégique ou du rôle économique, technologique, sociétal majeur du spatial. La décision prise à la fin de l'année 2014 d'engager le développement d'Ariane 6 ne peut donc être que saluée et soutenue, ce nouveau lanceur étant mieux adapté qu'Ariane 5 à l'évolution des missions spatiales, et plus compétitif, à un moment où le prix devient un paramètre primordial. Le soutien à Ariane 6, dont il convient désormais d'achever le développement selon le calendrier prévu, se fait aussi dans le cadre d'une programmation financière pluriannuelle, d'ores et déjà actée.

Néanmoins, et vous l'avez aussi souligné, il nous faut soutenir l'innovation technologique. Des briques technologiques fortement innovantes ont d'ores et déjà été mises en développement – ainsi le moteur à bas coût réutilisable Prometheus ou les démonstrateurs d'étages réutilisables. Ces technologies doivent permettent de renforcer encore la compétitivité d'Ariane 6 et, le moment venu, de préparer une nouvelle génération de lanceurs.

L'objectif de la France est de rester une puissance spatiale de tout premier plan, surtout au moment où l'exploitation des données spatiales, la transmission des données par satellite deviennent des sources majeures de croissance économique et de nouveaux services offerts au citoyen. Là encore, la politique mise en oeuvre par le Gouvernement pour soutenir l'innovation de rupture est plus importante que jamais ; notre objectif est d'en faire bénéficier aussi le secteur spatial pour faire émerger un New Space européen.

Derrière l'administration de la science, il y a également les chercheurs, et la question des doctorants et des jeunes docteurs est un véritable point d'attention. L'accueil réservé à la jeunesse par la recherche est fondamental pour nourrir notre tissu scientifique dans les prochaines années et continuer à faire rayonner la recherche. L'entrée dans la recherche scientifique est un enjeu pour les jeunes ; dans le secteur public comme dans le secteur privé, les chercheurs ont leur place partout. Vous avez évoqué l'évaluation du CIR et les contrats CIFRE comme des leviers d'attractivité ; ce sont en effet des outils puissants. Le CIR comporte une disposition spécifique pour inciter au recrutement des jeunes docteurs. Il ne comporte pas en revanche de dispositions générales en termes de rémunération pour les docteurs, puisque les rémunérations des chercheurs sont des dépenses éligibles, que les chercheurs soient titulaires d'un doctorat ou d'un diplôme d'ingénieur. Plus de 1 600 entreprises ont utilisé le dispositif CIFRE pendant l'exercice 2014 – recrutements de jeunes doctorants en 2014 qui obtiennent leur diplôme à partir de 2017 –, et le nombre d'entreprises qui utilisent le CIR et le dispositif jeunes docteurs du CIR a été multiplié par quatre ces dix dernières années.

Le renforcement du CIR a eu aussi un impact positif sur l'embauche en contrat à durée indéterminée sur des postes de recherche et de développement pour l'ensemble des diplômés du supérieur, y compris pour les docteurs. Le rapport que vous avez demandé dans le cadre de la loi de finances pour 2018 permettra d'actualiser ces données. L'objectif de 1 500 CIFRE supplémentaires a été arbitré pour l'année 2018 ; et pour la première fois, le doctorat est inscrit au répertoire national des compétences professionnelles, ce qui nous permettra de mieux mettre en valeur les compétences de nos jeunes docteurs, dans le secteur public comme dans le secteur privé.

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