Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques :

Il est vrai, monsieur le président, que cette donnée dégrade un peu la situation budgétaire 2017 et l'améliorera de fait en 2018, mais uniquement en comptabilité budgétaire. En comptabilité nationale, cela n'a strictement aucune conséquence, les 2,6 points de PIB de déficit intègrent bien sûr cette recette.

Manifestement, il y a eu un bug. La direction générale des finances publiques (DGFiP) met en avant un changement d'application informatique qui l'a conduit à modifier les modalités de comptabilisation des droits d'enregistrement. Cette recette de 1,5 milliard d'euros a bien été encaissée mais elle n'a pas été comptabilisée, du moins au niveau central, avant l'expiration de la période complémentaire prévue à l'article 28 de la LOLF. L'administration ne s'est aperçue de cette anomalie qu'après le 20 janvier, et il n'était effectivement plus possible d'intégrer cette recette. Nous examinons ce qui s'est passé, car ce dysfonctionnement peut entraîner quelques malentendus. Nous continuons nos investigations, mais vous pouvez bien sûr interroger le ministre.

L'exercice de ce matin est, je le reconnais, un peu frustrant. Si le Haut Conseil des finances publiques a raisonné, dans le cadre d'une mission limitée, par rapport à une évolution du solde structurel toutes administrations publiques confondues, les rapports de la Cour ne portent, eux, que sur le budget de l'État et son exécution.

Tout ce que vous vous demandez, Monsieur le rapporteur général, sur les relations entre l'État, la sécurité sociale et les collectivités territoriales, la mise en perspective de l'évolution de leurs situations financières respectives, un regard croisé avec les évolutions dans les pays comparables, notamment dans la zone euro, tout cela est l'objet du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Je ne suis donc pas en mesure de vous donner les explications souhaitées, mais, ce sera l'un des points forts de ce rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques : nous allons analyser la période 2007-2017 et porter ainsi un regard rétrospectif sur les dix dernières années, pour bien comprendre les évolutions de la situation financière de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales, et nous avons des éléments de comparaison avec les autres pays de la zone euro et de l'Union européenne.

Quant à la sincérité, la prévision des recettes est un exercice difficile, bien plus difficile que celui de la prévision des dépenses. Notre audit n'avait d'ailleurs pas tant soulevé la question des prévisions de recettes que celle des prévisions de dépenses. Nous avions relevé les risques les plus significatifs, soulignant qu'un certain nombre de dépenses étaient sous-budgétisées.

Le Haut Conseil des finances publiques estimait au mois de septembre 2016 que l'hypothèse d'une croissance de 1,5 % du PIB était optimiste. Le consensus des économistes partageait complètement ce point de vue, retenant, lui, le taux encore inférieur de 1,2 % ou 1,3 %. Au fil de l'année, le point de vue du Haut Conseil a changé, au point que nous avons estimé au moment de la présentation du programme de stabilité que les hypothèses de croissance du Gouvernement étaient plausibles, alors même que celles du consensus des économistes restaient sensiblement moins optimistes. Je ne sais pas si nous avions eu de l'intuition en l'occurrence, mais nous avions considéré que c'était effectivement plausible. La Cour elle-même avait également considéré, au moment de son audit, que c'était plausible, mais qu'il y avait de fortes incertitudes aussi bien des incertitudes à la hausse qu'un certain nombre d'aléas.

Aux mois de septembre et novembre 2017, nous avons considéré que la probabilité que l'hypothèse de croissance initiale soit dépassée était forte. De même avons-nous considéré qu'il était fort probable que le produit des prélèvements obligatoires soit légèrement supérieur à ce qui était prévu par le Gouvernement – nous avons d'ailleurs eu l'occasion de le dire au moment de la présentation du collectif. Il faut reconnaître que le consensus des économistes a mis du temps à apprécier la force de la reprise, et, si l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a révisé avec constance ses prévisions de croissance pour 2017, il a également tardé à prendre pleinement la mesure de la reprise, ce taux de 2,2 % n'étant présenté qu'au mois de février dernier. L'INSEE avait commencé à relever à 1,9 % son hypothèse de croissance à la fin de l'année 2017, mais cela s'est accéléré, notamment avec des révisions importantes des données relatives aux premier et deuxième trimestres. Nous le reconnaissons, ce n'est pas simple, et le montant des recettes est toujours, pour partie, imprévisible.

Cela dit, nous formulons un certain nombre de recommandations pour un peu plus de transparence encore en matière de recettes de l'État. Pour le moment, toutes ces prévisions restent totalement internes au ministère des finances et elles ne sont pas susceptibles d'être l'objet d'un audit, même a posteriori. Cela appelle une plus grande transparence dans les documents budgétaires. Le président Briet pourra y revenir, si vous le souhaitez ; nous pourrons aussi y consacrer une réunion spécifique avec vous.

On a moins de raisons de se tromper sur la dépense que sur les recettes. Les 2,6 points de PIB de déficit auxquels nous parvenons sont assez proches des 2,7 points envisagés en loi de finances initiale, mais le contenu en est complètement différent. Cette prévision se fondait sur une hypothèse de croissance du PIB de 1,5 %. Le déficit de 2,6 points est obtenu avec une croissance de 2,2 %. S'il n'y avait pas eu ces sous-budgétisations, la France aurait dû parvenir à un déficit de 2,3 % du PIB.

La construction du budget était affectée par ces quelques biais de construction que nous avons rappelés et que nous relevons dans tous nos rapports. Lors de leur audition, les anciens ministres M. Sapin et de M. Eckert ont dit que mes prédécesseurs ne se seraient pas conduits comme je me suis conduit et comme la Cour s'est conduite cette année. Ce n'est pas du tout le cas. Je leur ai adressé copie, comme à vous, d'observations et de recommandations de mes prédécesseurs, notamment de mon prédécesseur immédiat, Philippe Séguin, qui faisait d'ailleurs de la question de la sincérité des comptes un « point dur » de ses interventions. J'ai le souvenir d'un certain nombre de ses interventions en commission des finances, qui relevaient ces éléments d'insincérité, et Pierre Joxe faisait les mêmes observations avant même l'adoption de la LOLF. Le discours que tient la Cour n'est donc pas nouveau. Nous avons toujours relevé ce qui affectait la sincérité même si c'est ensuite au Conseil constitutionnel d'apprécier celle-ci globalement. D'ailleurs, nous n'avons jamais dit que la loi de finances initiale était insincère, nous avons dit qu'elle était affectée d'éléments d'insincérité, ce qui est un peu différent. Nous sommes tout à fait dans notre rôle en le disant et en soulignant cela régulièrement parce que cela peut « fausser » l'autorisation parlementaire.

Les économies qui sont la conséquence des sous-budgétisations ont permis de limiter le niveau des risques à financer, notamment sur la mission Travail et emploi, avec les contrats aidés, ou sur le logement – je songe aux aides personnalisées au logement, même si l'impact des mesures prises se fera surtout sentir en 2018.

Des économies ont été réalisées sur le budget général, pour un montant d'environ 4,2 milliards d'euros, qui ont contraint les gestionnaires les plus concernés par les annulations. Cela a impliqué qu'un certain nombre de dépenses de certaines missions soient exécutées en forte baisse, alors même qu'elles avaient pu être considérées prioritaires au moment de l'adoption de la loi de finances initiale.

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