Intervention de William Dab

Réunion du jeudi 24 mai 2018 à 13h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

William Dab, titulaire de la chaire Hygiène et Sécurité du laboratoire de modélisation et surveillance des risques pour la sécurité sanitaire (MESuRS) du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) :

Il y a ce que j'appelle souvent une conspiration du silence. Je ne le dis pas dans une perspective machiavélique, mais je pense qu'il existe un problème culturel autour de la notion de multifactorialité des maladies chroniques. C'est d'abord un problème de compréhension médicale et scientifique : le modèle pasteurien – un facteur, une maladie – est encore très prégnant dans notre pays et empêche le développement d'un raisonnement, en matière d'évaluation des risques, qui tienne compte du progrès des connaissances. Ce phénomène est, de fait, instrumentalisé. Sur ce point, je renvoie dos à dos le patronat et les organisations syndicales. En ce qui concerne le patronat, la sous-déclaration des maladies professionnelles, avec les implications financières que cela comporte, n'incite pas à faire évoluer le système des tableaux qui suit le modèle pasteurien. Il en est de même pour les organisations syndicales, pour la raison que vous avez évoquée. Nous sommes plusieurs ici, je crois, à avoir passé du temps avec ces organisations, à avoir essayé d'expliquer la réalité épidémiologique. Elles la comprennent, mais craignent que cela ne serve de prétexte à exonérer les employeurs de leur responsabilité au regard des expositions professionnelles. La situation est bloquée et je n'ai pas encore trouvé la clef pour en sortir – j'ai pourtant beaucoup réfléchi à cette question et j'en ai parlé avec de nombreux acteurs. Le terme de conspiration, que j'ai employé, est peut-être un peu fort, car il sous-entend une préméditation, mais il existe quand même une complicité objective qui bloque.

Une solution existe, au plan technique, à laquelle nous pourrions réfléchir : de même que l'on finira par avoir un dossier médical informatisé et accessible par internet, pourquoi n'aurait-on pas un dossier d'exposition professionnelle qui suivrait chacun de nous pendant toute sa vie ? Le fameux document unique, obligatoire, servirait à assurer le repérage des expositions. Cet outil technologique permettrait peut-être de faire évoluer notre vision et d'aller vers une meilleure prise en compte de la plurifactorialité des maladies.

« Constances » est l'une des plus grandes cohortes au plan mondial : elle concerne 200 000 assurés du régime général, qui ont été tirés au sort – il se trouve que je l'ai été. Je connaissais le dispositif, car la direction générale de la santé a donné le premier financement qui a permis de construire le protocole. Je le vis maintenant de l'intérieur. Il y aura un suivi sur la totalité de la vie : tous les événements de santé sont enregistrés, c'est-à-dire tout ce qui fait l'objet d'une transaction passant par la carte Vitale – les médicaments, les hospitalisations, mais aussi les absences au travail. L'histoire professionnelle ainsi réalisée est très complète : le premier entretien prend près d'une heure, ce qui est tout à fait remarquable. Un bilan de santé initial est établi dans l'un des centres d'examens de santé de l'assurance maladie, qui commencent donc à avoir une utilité (Sourires), puis un autre examen aura lieu tous les cinq ans – il concernera les données biologiques et radiologiques, ainsi qu'un examen clinique complet, une exploration fonctionnelle respiratoire et un électrocardiogramme. « Constances » est une plateforme à la disposition des chercheurs, et non un projet. Ce n'est pas non plus un dispositif de financement : si le conseil scientifique de « Constances » estime qu'un projet est éligible, il faut trouver un financement.

Mon laboratoire a développé un indicateur de mesure de l'implication des entreprises dans la prévention, sur le terrain. Il y avait déjà des travaux canadiens, britanniques, américains et australiens. Notre idée est d'injecter le score dans la cohorte pour regarder dans quelques années s'il y a un lien entre l'évolution de l'état de santé et l'implication concrète des entreprises en matière de prévention. Le conseil scientifique de « Constances » a donné une réponse positive, considérant que c'est une excellente idée, mais je n'arrive pas à trouver de financement. Chaque rapport d'évaluation souligne que le projet est bien construit, ambitieux et nécessaire, mais on nous dit qu'il n'est pas dans le champ de l'appel d'offres. Nous n'entrons pas dans le cadre de l'ANSES, qui a un appel d'offres portant sur les agents chimiques, physiques ou biologiques, car notre projet est transversal. L'INSERM trouve que c'est formidable, mais souligne qu'il est question de santé au travail, alors que l'appel d'offres porte sur la prévention générale. On avance en bricolant, comme le font tous les directeurs de laboratoire, mais il va falloir valider le score et l'injecter dans « Constances » à un moment donné. Que l'on trouve un lien ou non, il y a des implications pratiques importantes pour la prévention sur le terrain. Et pourtant, il n'y a pas un seul appel d'offres en France pour financer ce projet. La prévention sert-elle à quelque chose et peut-on le mesurer ? C'est quand même le b.a-ba.

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